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frère de Téligny, que la faim avoit fait gouverneur de M. le comte de Clermont, et d'un lieutenant des gardes du corps'. C'étoient de fort simples gentilshommes et fort pauvres ; leur nom est Cordouan ; j'en ai parlé ailleurs. Il n'avoit d'esprit qu'un simple usage de médiocre monde, et anciennement de jeu et de galanterie bourgeoise3, et rien plus, avec un peu d'effronterie. Il avoit servi toute sa vie dans le subalterne, avoit attrapé une place d'écuyer à l'hôtel de Conti, puis le régiment de ce prince', dont la jalousie lui ôta l'un et l'autre en le chassant de chez lui. M. le duc d'Orléans en eut pitié, et lui donna une inspection. Ce fut donc ce vieux bellâtre qu'elle épousa, mais dans le dernier secret, tant elle en fut honteuse. Ce secret dura quatre ans, après lesquels ce beau mariage se déclara. Ce fut un étrange vacarme parmi les amis de la à deux mille écus (Journal de Dangeau, tomes XV, p. 374 et 442, et XVIII, p. 230). Dangeau annonce la déclaration du mariage le 2 mai (p. 279); il remontait à quatre ans environ.

1. Augustin-Benjamin de Cordouan, marquis de Téligny, et son frère Henri, comte de Langey tome XXXVI, p. 271, note 3. Lorsque Téligny fut nommé gouverneur du comte de Clermont, Dangeau (tome XVII, p. 228) le qualifiait d'« homme de bonne maison, fort sage, fort pauvre et qui vit dans une grande retraite ». Il y a dans le carton G 596 des Archives nationales une lettre qu'il écrivit à Desmaretz souffrant de la goutte, le 4 avril 1715, pour lui donner la recette d'un remède dont usait contre ce mal son père le marquis de Langey.

2. Nos tomes XXXI, p. 5, et XXXVI, p. 271.

3. Cet adjectif a été ajouté en interligne; il ne se trouvait pas dans l'Addition à Dangeau.

4. Ce régiment de cavalerie, levé en 1667 par le marquis de Tilladet, avait été acheté en 1718 par le prince de Conti, qui en nomma M. de la Noue colonel-lieutenant et l'emmena en 1719 à l'armée d'Espagne.

5. On ne sait pour quelle cause M. de la Noue se brouilla avec le prince en mai 1722; mais le régiment de Conti fut alors donné au vicomte du Chayla.

6. Mot déjà employé plusieurs fois par notre auteur, et notamment tome XXIII, p. 302.

7. Dans un mémoire imprimé de 1738, conservé dans le volume

Fruits amers du Mississipi.

Rare contrat de mariage du marquis d'Oise.

maison, qui de ce moment ne fut plus, ni depuis, à beaucoup près si fréquentée, et déchut enfin de cet état de tribunal où tout ce qui se passoit étoit jugé, et où elle présidoit avec empire1. Le mari déclaré fut toujours amant soumis et respectueux; mais cela ne dura guères ; elle ne put soutenir une telle décadence: elle mourut, et la Noue ne profita de rien'.

L'extrême folie d'une part, et l'énorme cupidité de l'autre, firent en ce temps-ci le plus étrange contrat de mariage qui se soit peut-être jamais vu. C'est un échantillon de celle que le système de Law alluma en France, [Add. SS 1667] et qui mérite d'avoir place ici. Qui pourroit, et qui en voudroit raconter les effets, les transmutations de papiers, les marchés incroyables, les nombreuses fortunes dans leur immensité, et encore dans leur inconcevable rapidité, la chute prompte de la plupart de ces enrichis par leur luxe et leur démence, la ruine de tout le reste du royaume, et les plaies profondes qu'il en a reçues et qui ne guériront jamais, feroit sans doute la plus curieuse et la plus amusante histoire, mais la plus horrible en même temps, et la plus monstrueuse qui fut jamais. Voici donc, entre autres prodiges, le mariage dont il s'agit. Le contrat en fut dressé et signé entre le marquis d'Oise, âgé lors de trente-trois ans, fils et frère cadet des ducs de Villars-Brancas, avec la fille d'André, fameux Mississipien,

748 des Pièces originales indiqué ci-dessus, p. 266, note 2, il est fait allusion à ces noces secrètes avec La Noue.

1. Les mots avec empire sont en interligne, au-dessus de toujours, biffé.

2. Nous avons vu que la femme ne survécut que deux mois et demi à la déclaration du mariage; quant au mari il vécut jusqu'au 20 mai 1732; il avait alors environ soixante ans (Gazette, p. 252).

3. Marie-Joseph de Brancas, marquis d'Oise, fils de Louis et frère de Louis-Antoine, ducs de Villars-Brancas, né le 18 octobre 1687, capitaine-lieutenant des gendarmes d'Orléans en juillet 1715, brigadier de cavalerie en février 1719, eut une inspection générale de la cavalerie en février 1725, et fut nommé maréchal de camp en août 1734.

qui y avoit gagné des monts d'or', laquelle n'avoit que trois ans, à condition de célébrer le mariage dès qu'elle en auroit douze. Les conditions furent cent mille écus, actuellement payés, vingt mille livres par an jusqu'au jour du mariage, un bien immense par millions lors de la consommation, et profusions en attendant aux ducs de Brancas père et fils. Les discours ne furent pas épargnés

Il n'alla pas au delà et ne mourut que le 9 mars 1783, dans son appartement du Luxembourg, à l'âge de quatre-vingt-quinze ans, doyen des maréchaux de camp et des chevaliers de Saint-Louis.

1. Jean André, seigneur de Montgeron. Buvat (Journal, tome II, p. 49) le qualifie d'ancien chef du gobelet du Roi et d'italien d'origine. On trouve en effet dans l'État de la France, en 1698 et 1712, un chef ordinaire du gobelet appelé André de Caterby; mais ce ne peut être celui qui nous intéresse et Buvat a dù faire erreur; car, dans un des factums dont il sera parlé plus loin (p. 273, note 1), il est dit qu'André était à peine majeur, c'est-à-dire âgé de vingt-cinq ans, lors du mariage en question. Mathieu Marais (Mémoires, tome I, p. 266) dit qu'il était fils d'un peaussier de Montélimar et s'était anobli en achetant une charge de secrétaire du Roi. Cela semble plus exact; car il se qualifie ainsi dans le contrat. En tout cas, il avait commencé de bonne heure à se mêler d'affaires de finance et à gagner « des monts d'or », puisqu'il fut taxé à quatre cent vingt mille livres par la chambre de justice de 1716. Cette même année, il se maria avec Marguerite le Clerc, sœur d'un huissier de la chambre de Madame et veuve avec un enfant du banquier Charrier; il eut soin de stipuler la non-communauté de biens; sa femme lui donna cinq enfants. En 1719, il avait acheté la belle terre de Montgeron et venait d'encourir, au début de 1720, une amende de dix mille livres pour avoir conservé chez lui des espèces (Buvat, tome II, p. 49). Le marquis de Vogüé a publié dans le tome VI des Mémoires de Villars, p. 215, des vers composés pour un divertissement offert par le financier à la maréchale de Villars. Voyez aussi sur lui les Mémoires de Luynes, tome IX, p. 497-498.

2. Elle s'appelait Marie-Charlotte André, et n'avait que vingt mois ou environ. Elle ne se maria point et vivait encore à l'époque de la Révolution (A. Delahante, Une famille de finance, tome II, p. 362). Ses parents habitaient en 1720 rue de Richelieu, paroisse Saint-Roch.

3. Nous connaissons le texte du contrat de mariage, qui est imprimé à la suite d'un des factums engendrés par les procès dont il sera mention plus loin, Bibliothèque nationale, Fm 254. Il fut passé le 11 mai 1720, au Palais-Royal, dans l'appartement qu'y occupait la duchesse

sur ce beau mariage'. Que ne fait point faire auri sacra fames? Mais l'affaire avorta avant la fin de la bouillie de la future épouse, par la culbute de Law. Les Brancas, qui s'en étoient doutés, le père et les deux fils, s'étoient bien fait payer d'avance; le comble fut que les suites de cette de Brancas, par devant les notaires Lauverjon et Remy. Voici quelles en étaient les clauses : le mariage devait se faire dès que la future serait d'âge nubile ; la dot était de soixante mille livres de rente en fonds de terre ou en valeurs mobilières (ce qui, au taux de deux pour cent fixé par l'édit du mois de mars précédent, ci-dessus, p. 253, faisait trois millions en capital); à dater du jour du contrat, le marquis d'Oise jouissait du tiers de la dot (vingt mille livres de rente), soit dix-sept mille livres en espèces et le revenu de la terre de la Jonchère, paroisse de Saint-Cyr-en-Val, près Orléans, estimé à trois mille livres ; il faut noter que cette terre avait été achetée par André du duc de Brancas, père du futur, pour trois cent mille livres, quinze jours auparavant, 25 avril ; la possession de cette terre était irrévocablement assurée au futur, même si le mariage ne s'accomplissait pas ; pour les dix-sept mille livres, le marquis d'Oise en jouirait sa vie durant, si le mariage se rompait du fait de la demoiselle André par refus de consentement ou par choix d'un autre état ; il devait au contraire restituer tout ce qu'il aurait reçu si la rupture se produisait par son fait; le duc de Brancas, le père du futur, se faisait attribuer par André une rente viagère de six mille livres, payable même si le mariage ne s'accomplissait pas ; de son côté, la duchesse de Brancas dotait son fils, contre renonciation à leur succession, d'une somme de trois cent dix-sept mille livres, représentée par des actions de la Banque, par un terrain à Paris qu'elle disait avoir acheté soixante-deux mille livres sous le nom d'André, et par la valeur de la charge de capitaine des gendarmes d'Orléans payée cent vingt mille livres. Il semble bien qu'en fait la plus grande partie de la dot du futur avait été fournie par André.

1. Les contemporains qui en parlent (Dangeau, p. 284-285; Mathieu Marais, tome I, p. 266; les Correspondants de Balleroy, tome II, p. 163) ne s'exclament pas sur cette singulière convention; l'agiotage produisait alors de si extraordinaires opérations. Mathieu Marais ajoute seulement ce détail amusant : «< Toutes les petites filles ne veulent plus avoir de poupées et demandent des marquis d'Oise pour jouer. »

2. Virgile, Énéide, chant III, vers 56-57 :

....Quid non mortalia pectora cogis

Auri sacra fames!

Avant que, au commencement de la phrase, Saint-Simon a biffé mais.

affaire produisirent des procès plus de quinze ans après, qui furent soutenus sans honte1; ces Brancas-là n'y étoient pas sujets.

M. le duc d'Orléans, qui prodiguoit tout de plus en plus, accorda à Dreux la survivance de sa charge pour son fils".

1. André exécuta pendant quelques années les conditions du contrat, quoique devenu très onéreux pour lui par suite de la banqueroute de Law. Mais, en 1725, le marquis d'Oise s'avisa que les droits seigneuriaux dus pour la terre de la Jonchère devaient être payés par son beau-père. Il lui intenta un procès, qu'il gagna. C'est alors que les André demandèrent l'annulation du contrat du 11 mai 1720, et c'est à cette occasion que furent publiés trois factums qui nous sont parvenus (Catalogue des factums de la Bibliothèque nationale, tome I, p. 35) et qui nous ont fourni tous les détails de cette édifiante convention matrimoniale. Le procès dura longtemps, plus de quinze ans, dit SaintSimon; nous en ignorons le résultat; mais nous savons que le mariage ne s'accomplit pas, ainsi qu'il a été dit dans une note précédente. Ne serait-ce pas une suite de cette affaire qui produisit l'arrêt intervenu en septembre 1749 entre André d'une part, Mme de Mézières et les Moras d'autre part (Mémoires de Luynes, tome IX, p. 497-498)? En effet le marquis puis duc de Brancas, frère du marquis d'Oise, avait épousé Mlle de Moras.

2. Michel Dreux, marquis de Brézé, né le 15 juin 1700, entré aux mousquetaires en décembre 1717, avait eu dès le mois de mars suivant le régiment d'infanterie de Guyenne. Il passa brigadier en février 1734, maréchal de camp en mars 1738 et céda alors son régiment à son frère cadet. Ses brillants services sur le Rhin, en Bohême avec Maillebois, en Flandre, où il fut maréchal-général des logis de l'armée du maréchal de Saxe, lui valurent en mai 1744 le grade de lieutenant général, et le fructueux commandement de Tournay en mai 1745. Lorsque cette place fut rendue à l'Autriche, le Roi lui donna en février 1749 le commandement de la province de Flandre. Inspecteur d'infanterie dès mars 1741, il a laissé divers travaux sur l'administration militaire. Grand maître des cérémonies par provisions du 19 mai 1720, avec un brevet de retenue de deux cent cinquante mille livres (reg. 01 64, fol. 140 et 143 vo), par suite de la démission de son père, qui conserva néanmoins l'exercice de sa charge sa vie durant, il n'entra en fonctions qu'à la mort de celui-ci, mars 1749, et eut en même temps à sa place les gouvernements de Loudun et des îles Sainte-Marguerite ; il fut encore pourvu de la charge de grand maître des cérémonies de l'ordre du Saint-Esprit le 24 mai 1749. Il mourut le 17 février 1754 (Gazette, p. 96; Mémoires de Luynes, tome XIII, p. 161-163).

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Dreux obtient la survivance

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