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de neuf ans. Le prince de Pons, son fils aîné, étoit né en 1696; par conséquent il avoit vingt-quatre ans en cette année 1720, et il étoit marié en 1714 à la fille cadette du duc de Roquelaure'. Il pria le duc d'Elbeuf d'aller dire à Matignon de sa part qu'il se croyoit obligé de retirer l'hôtel de Matignon, qui étoit l'hôtel de Marsan que le comte de Matignon avoit acheté et payé, mais qu'il ne vouloit point que M. de Matignon songeât à en sortir, et qu'il l'y laisseroit toute sa vie. Le comte de Matignon, aussi surpris qu'indigné du compliment, répondit tout court qu'il espéroit avoir d'assez bonnes raisons pour ne devoir pas craindre ce retrait; qu'il le remercioit de la manière polie dont il lui avoit parlé ; mais qu'il l'assuroit en même temps qu'il ne profiteroit pas de la grâce que le prince de Pons prétendoit lui faire, et qu'il pouvoit lui dire que, s'il étoit assez malheureux pour perdre ce procès, il quitteroit sa maison le lendemain et n'y remettroit jamais le pied3. Les procédures ne tardèrent pas après de la part du prince de Pons, qui en fût extrêmement blâmé et universellement de tout le monde. Matignon soutint le procès; tout y étoit pour lui, hors la lettre de la règle. Il le perdit donc, uniquement par la qualité de tuteur qui acquiert de son mineur, et ce fut au grand regret du public et des juges mêmes. Le jour même de l'arrêt,

1. On a vu dans le tome XXIV, p. 172-173, le mariage de CharlesLouis de Lorraine-Marsan avec Élisabeth de Roquelaure.

2. Retrait est en interligne au-dessus de décret, biffé.

3. Saint-Simon copie l'article de Dangeau du 1er mai, p. 277. L'acquisition de l'hôtel avait été faite le 7 septembre 1710, pour deux cent mille livres, à la suite d'une sentence approbative du Châtelet du 3 septembre.

4. Il y a des mémoires et factums sur cette affaire dans le ms. Clairambault 490, fol. 213 et suivants (Catalogue des factums de la Bibliothèque nationale, tome IV, p. 507). L'arrêt ne fut rendu par la grand chambre que le 7 mai 1723; M. de Matignon devait rendre l'hôtel dans le délai d'un an, moyennant remboursement du prix d'achat et des dépenses et améliorations utiles et nécessaires faites par lui et

Matignon retourna loger chez le maréchal son frère et de dépit acheta et rebâtit presque la superbe maison que son fils occupe, et qu'il a si grandement augmentée et ornée'. Le comte de Matignon n'eut pas le temps d'y loger. Elle étoit tout près de le pouvoir recevoir, lorsqu'il mourut chez le maréchal son frère, en janvier 1725. Ce ne fut qu'à sa mort qu'il revit le prince de Pons et son frère2, avec qui les Matignons sont depuis demeurés fraîchement.

Il y a des choses qui occupent dans leur temps, et qui en vieillissant s'anéantissent. Je n'en puis toutefois omettre une de ce genre. Il y avoit une petite-nièce par femmes de M. de Fénelon, archevêque de Cambray3, qui, déjà veuve à peine mariée, sans enfants et sans biens', avoit

évaluées par un commissaire (Archives nationales, X1A 3417, fol. 25 vo à 28). Mathieu Marais (Mémoires, tome II, p. 454) explique ainsi la décision : « Il a été jugé par cet arrêt que l'avis des parents et l'estimation ne suffisaient pas pour l'aliénation du bien des mineurs et que, suivant un règlement de 1630, il faut encore des publications, affiches et autorisation en justice. Le prince de Pons auroit d'ailleurs de grandes obligations au comte de Matignon, qui lui a conservé tout son bien; mais la justice n'entre point dans cette reconnoissance, et elle a jugé le procès et non le procédé. »

1. Dès septembre 1723, M. de Matignon acheta du prince de Tingry le magnifique hôtel que celui-ci faisait bâtir, sur les plans de Jean Courtonne ou de Cortone, dans la rue de Varenne, et qui n'était pas achevé (Piganiol de la Force, Description de Paris, 1765, tome VIII, p. 99-101). Cet hôtel, devenu hôtel de Valentinois-Monaco, fut habité en 1848 par le général Cavaignac. Acheté ensuite par le duc de Galliéra, il fut, de 1898 à 1914, occupé par l'ambassade d'Autriche. 2. Jacques-Henri de Lorraine-Marsan, titré prince de Lixin tome XVI, p. 400 et 685.

:

3. Cambray est en interligne, au-dessus de Paris, biffé. Ce n'était point une petite-nièce, mais une vraie nièce de Fénelon, fille de sa sœur consanguine Marie, mariée à Henri de Beaumont, seigneur de Gibaut; elle était sœur de l'abbé de Beaumont, sous-précepteur du duc de Bourgogne (notre tome V, p. 154); elle s'appelait MadeleineFrançoise ou Madeleine-Geneviève de Beaumont et mourut le 13 ou 14 juillet 1720 aux environs de Paris (Dangeau, tome XVIII, p. 320).

4. Elle avait épousé en premières noces Henri-Benjamin de ValoisVillette, chevalier puis comte de Mursay, frère cadet de Mme de Cay

Mariage de la Noue avec Mme de Chevry. Quelles gens Add SS. 1666]

c'étoient.

une figure aimable, l'air et le goût du monde, un manège infini et beaucoup d'intrigue, et qui, sans avoir été religieuse et coureuse comme la Tencin, eut cette similitude avec elle qu'elle fit pour Monsieur de Cambray et son petit troupeau, conséquemment pour Mme Guyon et sa petite Église, le même personnage que l'ambition du frère et de la sœur fit faire à celle-ci pour la Constitution. La veuve dont je parle avoit trouvé ainsi le moyen de rassembler chez elle bonne compagnie'; mais elle mouroit de faim. Elle persuada à un vieil aveugle qui étoit riche et qui s'appeloit Chevry3, de l'épouser pour avoir compagnie et charmer l'ennui de son état. Il y consentit et lui fit toutes sortes d'avantages. Il se flatta d'au

lus, qui fut tué à Steinkerque le 3 août 1692, peu après le mariage. 1. L'Académie de 1718 admettait déjà coureuse au sens de «< femme prostituée ».

2. Dans une lettre de 1710 de Fénelon à Clairambault, où l'éditeur a lu son nom Chany (Cabinet historique, 1874, première partie, p. 311), il est dit qu'elle demeure rue de Tournon. On peut voir encore sur elle l'Histoire de Fénelon par le cardinal de Bausset, 1817, tomes III, p. 224, et IV, p. 357-358. Cinq lettres autographes de l'archevêque à cette nièce, datées de 1703-1704 et 1714 sont indiquées dans le Catalogue de la vente Dubois, 20 mars 1860, nos 59-63; d'autres sont en copies à la Bibliothèque nationale, ms. Nouv. acq. franç. 22125, fol. 300 et 311-312.

3. D'après les documents conservés au Cabinet des titres, Pièces originales, vol. 748, dossier 17039, nos 18, 151 et 153, les états de la maison du duc d'Orléans dans le registre ZIA 517 des Archives nationales, et l'État de la France, il s'appelait Adrien-Pierre de Chevry et était en 1698 lieutenant des gardes suisses du duc d'Orléans. Il mourut entre janvier et août 1712; car il figure encore au début de cette année parmi les officiers de ce corps, et sa femme se dit veuve en août : voyez sa lettre aux Additions et Corrections, ci-après. Nous ignorons la date du mariage; mais elle en eut un fils, Adrien-François-Pierre, qui était dès 1707 survivancier de la charge de son père. Elle mourut deux mois et demi après la déclaration de son mariage avec M. de la Noue. Son fils la suivit de près, probablement en 1724; car il ne figure plus en 1722 sur l'état des officiers de la maison du Régent. Fénelon parle de lui comme d'un jeune enfant en 1712-1713 (Correspondance, tome II, p. 137-138 et 235).

4. La fortune de M. de Chevry ne devait pas être aussi grande que

tant plus de mener avec elle une vie agréable qu'elle aimoit le monde, le jeu, la parure, et néanmoins fort dévote, se disoit-elle et disoient ses amis, et il le falloit bien, puisque en cela consistoit toute son existence et sa considération. Chevry, presque aveugle quand il l'épousa, le devint bientôt après tout à fait. Il fut doux, bon homme, s'accommoda de tout, et, quoique compté presque pour rien, il avoit toute sorte de complaisances, hors celle de mourir, et il ennuyoit fort sa femme et cette troupe d'amis'. Il mourut enfin, et ce fut un grand soulagement dans la maison, et une grande joie pour les amis qui trouvoient là une bonne maison et opulente, où rien ne contrarioit plus leur conversation. Mais les vapeurs qui avoient gagné la dame pendant la vie de son aveugle ne s'en allèrent pas avec lui; à ces vapeurs, qui étoient devenues énormes, se joignirent [la pierre et] la gravelle', qui, mêlées, la mettoient dans des états étranges, après quoi, presque en un instant, il n'y paroissoit pas3. Une le dit Saint-Simon : il y a dans le carton G7572 aux Archives nationales quatre lettres, de décembre 1709 et février 1710 adressées par Mme de Chevry au contrôleur général pour demander le paiement de sa pension de mille écus, où elle parle de ses pressants besoins; peut-être le mari serrait-il les cordons de sa bourse.

1. Il ne paraît pas que M. de Chevry fût aussi facile que le dit SaintSimon. Dans une lettre du 30 octobre 1710, Fénelon le qualifie de << vieillard aveugle, bizarre, connu pour tel, et sans conséquence dans de monde » ; il avait alors de mauvais procédés à l'égard de sa femme, à laquelle il faisait «< des sorties bien extraordinaires ». Le dissentiment aboutit à une sorte d'accommodement (Correspondance de Fénelon, tome II, p. 126-129, 132-133). La mort du mari dut peu après mettre fin à cette situation tendue, mais la laissa dans une position gênée: voyez ci-après aux Additions et Corrections.

2. Saint-Simon a écrit dans son manuscrit se joignirent la gravelle. Pour expliquer ce pluriel et ceux qui suivent, il faut ajouter les mots la pierre et, qui sont dans l'Addition à Dangeau.

3. Fénelon parle longuement de cette maladie étrange (sorte d'affection nerveuse, que vint compliquer la pierre, pour laquelle Mme de Chevry fut soignée par Chirac) dans ses lettres à ses neveux entre 1709 et 1714 (Correspondance de Fénelon, tome II, p. 108-284 pas

pointe de merveilleux faisoit merveilles' parmi ce monde qui abondoit chez elle. Elle étoit les délices et la vénération de toute cette petite Église et le ralliement de tout ce qui y tenoit. C'étoit là où se tenoit le conseil secret, et, comme il s'y joignoit souvent d'autre bonne compagnie, sa maison étoit devenue un petit tribunal qui ne laissoit pas d'être compté dans Paris. Tout cela flattoit sa vanité, l'amusoit et l'occupoit agréablement, avec ce talent de s'attirer du monde avec choix et de soutenir cet abord par la bonne chère. Mais elle n'avoit jamais eu de mari, et elle s'en donna un dont on ne l'auroit jamais soupçonnée, la petite Église par vénération, les autres commensaux par la croire de meilleur goût, tous par l'état de sa santé. La Noue3, espèce de chevalier d'industrie, s'étoit introduit chez elle par hasard'; la table l'y attira souvent. Il étoit sim). D'après une lettre inédite du 28 juillet 1704 écrite à elle-même par son oncle (Bibliothèque nationale, ms. Nouv. acq. franç. 22125, fol. 300), sa santé était déjà mauvaise à cette époque.

1. Ce mot merveilles, oublié en passant de la page 2493 du manuscrit à la page 2494, a été ajouté après coup à la fin de la première. Il est à remarquer que cette phrase n'était pas dans l'Addition à Dangeau.

2. Après la disgrâce de Fénelon, elle lui servit d'intermédiaire pour sa correspondance avec le duc de Chevreuse et d'autres personnes ; il lui demandait aussi de petits services (Correspondance de Fénelon, tomes 1, p. 313, et II, p. 154 et 165). Le prélat semble l'avoir beaucoup aimée et estimée ; il écrivait à son neveu le marquis de Fénelon, en 1713 : « Ayez grande estime, grande amitié, grande confiance en Mme de Chevry; elle le mérite au-delà de tout ce que je puis exprimer », et plus loin : « Ayez soin de Mme de Chevry, qui m'est très chère» (Ibidem, tome II, p. 163 et 165). En 1709, le duc de Chevreuse lui reconnaissait « un bon cœur, de bonnes intentions, mais un tempérament très vif, très actif, un peu âpre et noir » (Ibidem, tome I, p. 312).

3. René de Cordouan, appelé le comte de la Noue notre tome XXXVI, p. 271, note 3.

4. Quand il s'était converti au catholicisme, il avait eu une pension de cinq cents écus, qui fut doublée en mars 1715; au mois de juin suivant il fut blessé en arrêtant les chevaux emportés d'une calèche où était le prince de Conti. A la suite de sa campagne de 1719 à l'armée d'Espagne, où il avait accompagné son maître, sa pension fut portée

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