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Law se fait garder chez lui.

portefeuille, que sa femme avoit eu l'adresse de lui faire prêter, et qu'elle a été fort accusée d'avoir mis de côté. Quoi qu'il en soit, il a été perdu pour le mari et pour les siens, sans moyens contre la femme, qui en demeura brouillée avec tous les Bouillons, et qui n'a point eu d'enfants qui aient vécu'. Elle chercha, avant et depuis la mort de son mari, à faire un personnage; mais la défiance la fit rejeter partout. Elle se retrancha donc sur la dévotion3, la philosophie, la chimie, qui la tua à la fin, au bel esprit surtout, dans un très petit cercle de ce qu'elle put à faute de mieux.

Avec tout ce florissant Mississipi, il y eut des avis qu'on vouloit tuer Law, sur quoi on mit seize suisses du régiment des gardes chez lui, et huit chez son frère qui étoit depuis quelque temps à Paris.

1. Il y a ait vescu, par mégarde, dans le manuscrit. La princesse d'Auvergne eut au moins deux fils, le 20 décembre 1720 et le 23 août 1725 (Mémoires de Mathieu Marais, tome II, p. 32; Mercure de septembre 1725, premier volume, p. 2108); mais tous deux moururent jeunes.

2. Voyez dans le Journal de Barbier, en mai 1723 (édition Charpentier, tome I, p. 272) une anecdote sur une scène entre elle, le cardinal Dubois et le Régent.

3. Lors de sa mort, le duc de Luynes (Mémoires, tome II, p. 291) disait qu'elle était très janséniste, mais que, d'après le Roi, elle avait fait « abjuration »>.

4. Dangeau, p. 185. Nous verrons la même mesure prise encore à son égard l'année suivante (suite des Mémoires, tome XVII de 1873, p. 91).

5. Guillaume Law, frère du financier, né à Édimbourg le 24 octobre 1675, épousa à Londres, le 3 juillet 1716, Rebecca Desves, et vint en France auprès de son frère. Il eut cinq enfants : Jean, baptisé à Saint-Roch le 3 novembre 1719, Rébecca-Louise, baptisée à SaintNicolas-des-Champs le 23 novembre 1720, Jeanne-Marie, JacquesFrançois et Élisabeth-Jeanne, baptisés à Saint-Philippe-du-Roule les 8 novembre 1722, 27 février 1724 et 18 juin 1723. Guillaume Law fut arrêté en mai 1721, après la déconfiture de son frère. La National Biography ne le fait mourir qu'en 1752; cependant, en 1731, on voit sa veuve intervenir dans le règlement de la succession de Jean Law (Archives nationales, G7 1628). Ce furent ses enfants qui héritèrent

J'ai différé à ce temps, où Pezé1 eut enfin le régiment du Roi-infanterie, à parler plus à fond de lui et de Nangis qui le lui vendit, parce que tous deux ont fait en leur temps une fortune singulière. Celui-ci, porté haut sur les ailes de l'amour et de l'intrigue, déchut toujours; celui-là, avec peu de secours, mais par de grands talents, monta toujours, et par eux touchoit à la plus haute et à la plus flatteuse fortune, lorsque, arrêté au milieu de sa course, il mourut au lit d'honneur environné de gloire et d'honneurs qui, lui promettant les plus élevés et les plus distingués, lui laissèrent en même temps voir la vanité des fortunes et le néant de ce monde.

Nangis, avec une aimable figure dans sa jeunesse, le jargon du monde et des femmes3, une famille qui faisoit elle-même le grand monde', une valeur brillante et les propos d'officier, mais sans esprit et sans talent pour la guerre, une ambition de toutes les sortes, et de cette espèce de gloire sotte et envieuse qui se perd en bassesses pour arriver, a longtemps fait une figure flatteuse et singulière par l'élévation de ses heureuses galanteries et par le grand vol des femmes, du courtisan, de l'officier. Ce groupe tout ensemble forma un nuage qui le porta longtemps avec éclat, mais qui, dissipé par l'âge et par les changements, laissa voir à plein le tuf et le squelette. Il avoit le régiment d'infanterie du Roi, qui, sous le feu

en effet de leur oncle en vertu de l'arrêt du 12 mars 1735, et qui continuèrent la famille.

1. Hubert de Courtarvel, marquis de Pezé tome XXXV, : p. 320. Saint-Simon a raconté alors comment Nangis, après avoir voulu vendre le régiment du Roi, s'était ravisé. Dangeau enregistre l'achat au 13 décembre (p. 181).

2. Blessé grièvement à la bataille de Guastalla, il mourut quelques jours après, 23 novembre 1734.

3. Voyez le portrait déjà fait en 1704 tome XII, p. 271.

4. Il a dit dans le tome XII que la mère et la grand'mère de Nangis l'avaient produit tout jeune dans le grand monde, << dont elles étoient une espèce de centre ».

Caractère et fortune de Nangis et de Pezé, qui obtient le régiment du Roi

d'infanterie, et Nangis force graces. [Add. SS. 1620]

Roi, étoit un emploi de grande faveur', et qui sembloit devoir mener à la fortune par les distinctions et l'affection particulière qu'il donnoit à ce régiment par-dessus tout autre, et par les privances attachées à l'état du colonel, qui travailloit directement avec le Roi sur tous les détails de ce corps, sur lequel nul inspecteur ni le secrétaire d'État de la guerre n'avoient rien à voir. Après la mort du Roi, l'âge de son successeur et l'incertitude éloignée du goût et du soin qu'il prendroit de ce régiment dégoûtèrent Nangis. On a vu ici en son temps qu'il le voulut vendre au duc de Richelieu, puis à Pezé, et de quelle façon capricieuse, et pire, il cessa de le vouloir vendre. Il ne lui avoit rien coûté, non plus qu'à ses prédécesseurs, et le vendre étoit une grâce que M. le duc d'Orléans auroit bien pu, pour ne pas dire dû, se passer de lui faire. On a vu aussi en son lieu3 comment et pourquoi j'y étois fort entré pour Pezé, auquel il faut venir maintenant, aux dépens peut-être de quelque répétition, pour mettre mieux le tout ensemble.

Pezé étoit du pays du Maine, bien gentilhomme, mais tout simple, parent éloigné du maréchal de Tessé par la généalogie, et tout au plus près par la galanterie : il avoit

1. Déjà dit plusieurs fois, et particulièrement tome XIII, p. 149. 2. Tome XXXV, p. 320-322.

3. Ibidem, p. 321.

4. Avant du pays, il a biffé un Gentilho®.

5. Saint-Simon dira plus loin, p. 121, « de la plus petite noblesse ». Cependant la famille de Courtarvel avait une généalogie suivie depuis le milieu du treizième siècle, qui figure dans tous les grands recueils généalogiques. Elle tirait son nom d'un fief de la paroisse de MontSaint-Jean, dans le canton actuel de Sillé-le-Guillaume (Sarthe); on en trouve divers actes d'état civil dans les registres paroissiaux (Inventaire des archives départementales de la Sarthe, tome I, série E supplément, p. 122-124). Des papiers de famille sont conservés aujour d'hui dans le chartrier d'Hunolstein; les preuves de page de LouisRené, en 1692, sont au Cabinet des titres, Franç. 32111, fol. 243.

6. Nous avons dit dans le tome XXXV, p. 321, n'avoir pu retrouver la parenté.

une mère que le maréchal avoit trouvée aimable'. Pezé étoit un cadet; il en prit soin, et le mit de fort bonne heure page de Mme la duchesse de Bourgogne, dont il étoit premier écuyer. Courtarvel, frère aîné de Pezé, avoit du bien, mais pour soi seul, et plantoit ses choux chez lui3. Leur grand-père avoit épousé la fille aînée d'Artus de Saint-Gelais, seigneur de Lansac, et d'une fille du maréchal de Souvré dont la famille s'étoit crue heureuse de se défaire honnêtement de la sorte par la disgrâce de son corps, et le mari qui la prit s'estima très honoré de faire cette alliance à quelque prix que ce fût'. L'autre fille de M. et de Mme de Lansac épousa Louis de Prye, seigneur de Toucy", et de ce mariage vint Mme de Bullion, grandmère de Fervacques, chevalier de l'Ordre en 17247, et la maréchale de la Motte, laquelle étoit ainsi cousine germaine du père de Pezés, et lui, par conséquent, issu de germain des duchesses d'Aumont, mère du duc d'Humières,

1. Cette mère était Marie-Madeleine de Vassan, fille d'un conseiller au Parlement, mariée au marquis de Pezé le 10 juillet 1673. Sa liaison avec Tessé ne fit pas grand bruit.

2. Louis-René de Courtarvel, marquis de Pezé, né le 16 avril 1676, page du Roi en 1692, retourna dans sa province et y épousa sur le tard, en 1732, une la Rochethulon, veuve du marquis de Montifaut. Saint-Simon écrit Courtalvert.

3. Locution déjà rencontrée dans le tome XIX, p. 268 et 563.

4. C'est l'arrière-grand-père de Louis-René et de Hubert, René de Courtarvel, qui épousa le 17 octobre 1621 Marie de Saint-Gelais-Lusignan, fille de M. et de Mme de Lansac (tome XIV, p. 349). Cette Marie de Saint-Gelais a une historiette dans Tallemant des Réaux (tome IV, p. 428-429).

5. Louis de Prye, marquis de Toucy, et Françoise de Saint-GelaisLansac (tome XVII, p. 11).

6. Charlotte de Prye: tome V, p. 133.

7. Anne-Jacques de Bullion: tome XV, p. 438 et 616.

8. Saint-Simon fait erreur d'un degré : Mme de Bullion et la maréchale de la Motte-Houdan court étaient cousines germaines du grandpère, et non du père, de notre Pezé, et les trois filles de la maréchale étaient cousines issues de germaine de son père et non de lui-même.

de Ventadour et de la Ferté, toutes trois filles de la maréchale de la Motte. Cette alliance si proche le tira du régiment des gardes, où il étoit entré en sortant de page, et le fit gentilhomme de la manche du Roi'. C'étoit un jeune homme de figure commune, avec beaucoup d'esprit et de physionomie, plein de manéges, d'adresses, de finesse, de ressources dans l'esprit, liant et agréable, le ton du grand monde et de la bonne compagnie, où il étoit agréable et bien reçu, et d'une ambition qui lui fit trouver toutes sortes de talents pour arriver à la plus haute fortune. Il fit si bien qu'il persuada au monde que le Roi l'avoit pris en amitié, que cette raison le fit compter, lui acquit des amis considérables à qui il ne manqua jamais [Add. SS 1621] en aucun temps, et lui fraya le chemin à tout. Je crois avoir reçu la dernière lettre qu'il ait jamais écrite; il m'a vu toujours très soigneusement et m'a toujours parlé de tout à cœur ouvert. On a vu en son temps que le duc d'Humières fit que je lui fis obtenir le gouvernement de la Meute dès que le Roi eut cette maison, puis le régiment du Roi, quand Nangis eut la permission de le vendre, et Pezé ne l'oublia jamais. Enfin Nangis, lassé de ne point vendre, chercha à profiter du desir de Pezé et de l'incroyable facilité de M. le duc d'Orléans, à laquelle je n'eus point de part, mais bien à l'agrément d'acheter exclusif de tout autre. Pezé donna donc cent vingt mille livres, desquelles Nangis donna soixante-cinq mille livres

1. Du jeune Louis XV, le 1er avril 1716.

2. Il est curieux que notre auteur, parlant si longuement de Pezé, n'ait pas mentionné une aventure qui lui arriva le 26 mai 1720 avec le jeune roi, qui lui donna un soufflet à la suite d'une impertinence et qui fut obligé par le maréchal de Villeroy de faire des excuses à son gentilhomme de la manche (Journal de Dangeau, tome XVIII, p. 293, avec une Addition de notre auteur que nous plaçons ici en regard, sous le numéro 1621).

3. Tome XXXV, p. 291.

4. Tome XXXV, p. 320-322.

5. Toute la combinaison qui va être expliquée est énoncée par le Journal de Dangeau à l'article du 13 décembre (p. 181).

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