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et M. le duc d'Orléans eut à se repentir de s'y être laissé

entraîner.

du Conseil, de retour de

Nantes, s'assemble

encore

Châteauneuf, qui avoit présidé à la commission de La commission Nantes, revint en ce temps-ci avec tous ceux qui l'avoient composée, mais pour subsister encore, et s'assembler à l'Arsenal pour achever de juger ceux des exceptés de l'amnistie qui ne l'avoient pas été à Nantes'; et peu après le maréchal de Montesquiou fut rappelé du commandement de Bretagne où il avoit eu le malheur de se barbouiller beaucoup et de ne contenter personne*.

3

M. le comte de Charolois arriva enfin de ses longs voyages; Monsieur le Duc, content de ce qu'il avoit obtenu pour lui, lui avoit mandé de revenir, et le fut attendre à Chantilly avec les familiers de la maison3. Turményes©

1. Lettres patentes du 14 avril transférant à l'Arsenal la chambre de justice de Nantes (AD + 758, avril, no 26). Dangeau annonce dès le 29 le retour des divers juges (p. 276). B. Pocquet (Histoire de Bretagne, tome VI, p. 151) dit qu'elle ne se réunit jamais; ce qui semble exact. Lémontey (Histoire de la Régence, tome I, p. 255) estime que ce fut par économie; son séjour à Nantes avait en effet coûté plus de trois cent mille livres. Sur les dix accusés exceptés de l'amnistie, quatre, les seuls qu'on eût entre les mains, furent relâchés au bout d'un an. 2. Toute cette dernière partie de la phrase a été ajoutée dans le blanc resté à la fin du paragraphe et sur la marge.

3. Nous avons eu se barbouiller, au sens de se compromettre, dans le tome V, p. 23. « On dit figurément qu'un homme s'est bien barbouillé, pour dire qu'il a gâté sa réputation » (Académie, 1718).

4. Le maréchal fut rappelé au milieu de mai et arriva à Paris le 5 juin (Dangeau, p. 286, 287 et 298). Tout le monde s'accorde sur la maladrssse de son administration: voyez le tome VI de l'Histoire de Bretagne. Nous le verrons néanmoins (ci-après, p. 309) entrer au conseil de régence. Saint-Simon ne parlera pas de la nomination de son successeur, le maréchal d'Estrées, qui, plus doux, plus habile et bien secondé par sa femme, réussit à rétablir le calme et le bon ordre dans la province.

5. Il arriva à Chantilly le 1er mai (Dangeau, p. 277; Gazette d'Amsterdam, no xxXVIII).

6. Jean de Turményes de Nointel: tome XXXI, p. 201, qui mourut le 31 mars 1727 et fut enterré à Saint-Jean-en-Grève.

à l'Arsenal. Peu après le maréchal

de

Montesquiou rappelé de

son

commandement

de Bretagne. [Add. S1S. 1663]

Retour du comte de Charolois

de ses voyages.

Bon mot de Turményes ; quel étoit

[Add S&S. 1664]

s'y trouva avec eux. Il avoit été maître des requêtes et intendant de province avec réputation, et y auroit fait son chemin au gré de tout le monde ; mais, à la mort de son père, qui étoit garde du Trésor royal', il préféra le solide si abondant de cette charge aux espérances des Turményes. emplois qu'il avoit. C'étoit un garçon de beaucoup d'esprit, de lecture et de connoissances, d'un naturel libre et gai, aimant le plaisir, mais avec mesure et pour la compagnie et pour le temps, fort mêlé avec la meilleure compagnie de la cour et de la ville, habile, capable, droit et obligeant dans sa charge, sans se faire valoir, estimé et accrédité avec les ministres, fort bien avec le Régent, et sur un pied de telle familiarité avec Monsieur le Duc et M. le prince de Conti pères et fils, qu'ils trouvoient tout bon de lui, et ce qu'ils n'auroient souffert de personne. Le voisinage de l'Isle-Adam, la chasse, la table, l'avoit mis sur ce ton là avec les pères; il avoit su se le conserver avec les fils. C'étoit un homme qui sentoit très bien la force de ses paroles, mais qui ne retenoit pas aisément un bon mot. L'impunité avoit aiguisé sa har

1. Ce père s'appelait aussi Jean et avait déjà la terre de Nointel. Il fut reçu en septembre 1669 receveur général triennal des finances à Amiens, acheta en outre en 1676 une charge de secrétaire du Roi, puis en janvier 1682 une des deux charges de trésorier général de l'extraordinaire des guerres et de la cavalerie légère (la Touanne avait l'autre). Le 26 mai 1696, il fut pourvu de celle de garde alternatif et mi-triennal du Trésor royal, à la place de J.-B. Brunet, auquel il paya huit cent mille livres (Archives nationales, G 1096), et fut nommé en même temps grand trésorier de l'ordre de Saint-Lazare et du MontCarmel et receveur général de l'hôtel des Invalides. En mars 1702, il obtint de faire passer à son fils sa charge du Trésor royal, et mourut le 28 avril 1702: voyez le Mercure de ce mois, p. 388-391, et la Gazette, p. 215. Il y a des arrêts du Conseil relatifs à sa succession aux Archives nationales, E 1919, 29 avril, et E 1930, no 55; voyez aussi V7 506.

2. Saint-Simon veut parler, outre du duc de Bourbon et du prince de Conti alors vivants, du premier Monsieur le Duc, Louis III, mort en 1710, et de François-Louis, prince de Conti, mort en 1709.

diesse, qui d'ailleurs n'étoit que liberté, sans aucun air d'insolence et sans jamais se déplacer avec personne. Il étoit petit, grosset, le col fort court, la tête dans les épaules, avec de grands cheveux blonds qui lui donnoient encore l'air plus engoncé, et qui lui avoient valu le sobriquet de Courtcollet'. Monsieur le Duc, averti que Monsieur son frère arrivoit, alla, suivi de toute la compagnie, le recevoir au débarquer de sa voiture et l'embrasser. Tout ce qui étoit là les environna et s'empressa à faire sa révérence'. Après les premiers mots entre les deux frères, Monsieur le Duc lui présenta la compagnie, que M. le comte de Charolois se contenta de regarder fort indifféremment sans dire un seul mot à personne, pendant un assez long temps que ce cercle demeura autour d'eux, dans la place où il avoit mis pied à terre dans la cour. Turményes, voyant ce qui se passoit et s'en ennuyant, se tourne à la compagnie: «Messieurs, lui dit-il froidement, mais tout haut, faites voyager vos enfants, et dépensez-y bien de l'argent,>> et tout de suite passa d'un autre côté. Cet apophthegme fit du bruit, et courut fort. Il ne s'en défendit point, et Monsieur le Duc et M. le comte de Charolois n'en firent que rire. Monsieur le Duc devoit y être accoutumé: au commencement des actions de Law, Monsieur le Duc se vanta chez lui, devant assez de monde, et avec complaisance, d'une quantité considérable qu'il en avoit eue. Chacun se taisoit, lorsque Courtcollet, impatienté : « Fi, Monsieur, répondit-il, votre bisaïeul n'en a jamais eu que cinq ou six, mais qui valoient bien mieux que toutes les vôtres. » Chacun baissa les yeux, et Monsieur le Duc se prit à rire, sans lui en savoir plus mauvais gré3. Il en a

1. Sur ce surnom, voyez les Correspondants de Balleroy, tomes I, p. 239, et II, p. 11, 32-33 et 40, où sont racontées diverses anecdotes sur Turményes et sur sa femme.

2. Il avait d'abord écrit : et s'empressa à luy faire la révérence. 3. Ces deux anecdotes sont reproduites par Duclos (Mémoires, édition Michaud et Poujoulat, p. 567), qui les a prises à Saint-Simon.

Retrait de l'hôtel

de Marsan.

quelquefois lâché de bonnes à des ministres du feu Roi, et depuis la Régence à M. le duc d'Orléans lui-même, qui n'en faisait que rire aussi. Il ne vécut que peu d'années après, quoique point vieux', et fut fort regretté, même pour les affaires de sa gestion. Il ne laissa point d'enfants. M. de Laval, le même de la conspiration du duc et de la duchesse du Maine, épousa sa sœur, qui étoit veuve de Bayers, dont il a eu beaucoup de bien et des enfants'. Les apophthegmes de Turményes n'étoient pas réservés aux princes du sang. Il ne s'en contraignoit guères pour personne et avec cela rien moins qu'impertinent; il avoit trop d'esprit et de monde pour l'être.

Une affaire purement particulière fit alors grand bruit dans le monde. Matignon et M. de Marsan avoient épousé [Add. SS. 1665] les deux sœurs, filles uniques et sans frères du frère aîné de Matignon: lui l'aînée, M. de Marsan la cadette, veuve alors avec des enfants de M. de Seignelay, ministre et

1. Il mourut en 1727, ayant environ soixante ans.

2. Avant ne Saint-Simon a biffé n'estoit point marié, ce qui était en effet une erreur. Jean de Turményes avait épousé le 10 janvier 1698, Élisabeth-Geneviève de Maupeou, fille d'un conseiller au Châtelet; elle mourut à trente-six ans le 22 janvier 1719 et fut enterrée à Saint-Jean-en-Grève; voyez les Correspondants de Balleroy, tomes I, p. 239, et II, p. 11.

3. Déjà dit dans notre tome XXXI, p. 201. Une copie de leur contrat de mariage, du 4 novembre 1721, est parmi les papiers de Salignac dans le carton M 537 des Archives nationales.

4. Deux fils Guy-André-Pierre, créé duc de Laval en 1758, et Louis-Joseph, évêque d'Orléans, puis de Metz, et deux filles qui épousèrent le marquis de Grave et le comte de Loos.

5. Il s'agit de Jacques III de Goyon, comte de Matignon, qui ne mourut qu'en 1725 (tome II, p. 134) et de Charles de Lorraine-Armagnac, mort en 1708 (tome III, p. 14).

6. Henri Goyon de Matignon, comte de Torigny (tome XI, p. 281, note 1), gouverneur de Granville, Cherbourg et Saint-Lô, lieutenant général de Normandie, mort le 28 décembre 1682. D'une le Tellier, il avait eu trois fils morts jeunes, et, outre ses deux filles mariées, quatre autres religieuses.

7. Charlotte de Matignon: tome VI, p. 425.

secrétaire d'État, fils aîné de M. Colbert'. Un intérêt commun les avoit étroitement unis: c'étoit l'amitié de Chamillart, dont ils avoient tiré des trésors en toute espèce d'affaires de finance. Le comte de Marsan fit par son testament M. de Matignon tuteur de ses enfants, avec l'autorité la plus étendue et les plus grandes marques de confiance3, et tout le monde est convenu que le comte de Matignon y répondit sans cesse par tous les soins, l'application et les tendresses d'un véritable père, et le succès d'un homme habile et accrédité. Le comte de Marsan, qui n'avoit de soi point de bien, ne s'en étoit fait que d'industrie, de grâces et de rapines, avoit mangé à l'avenant, et laissé ses affaires en mauvais état. Matignon estima qu'un effet tel que l'hôtel de Marsan, à Paris, étoit trop pesant pour des enfants en bas âge, dont le prix aideroit fort à liquider les biens, et crut aussi, à la conduite qu'il avoit eue dans leurs affaires, le pouvoir acheter quoique tuteur. Il l'acheta donc, y dépensa beaucoup, y alla loger et céda la sienne au maréchal son frère . M. de Marsan étoit mort en 1708, veuf pour la seconde fois depuis près

7

1. Catherine-Thérèse de Matignon: tome III, p. 8.

2. Tomes IX, p. 36-37, XV, p. 381, XVI, p. 397-398, etc.

3. Matignon était déjà leur subrogé tuteur depuis la mort de la sœur de sa femme en décembre 1699.

4. Voyez ce qui a été dit lors de sa mort, dans le tome XVI, p. 394401.

5. D'après le Dictionnaire de l'Académie de 1718, « effet signifie aussi une portion, une partie du bien d'un particulier, d'un homme d'affaires, d'un marchand. »

6. Ancien hôtel Tambonneau, acheté par M. de Marsan en 1698 : nos tomes IV, p. 113, note 3, et XVI, p. 400, note 5. Il était à l'entrée de la rue de l'Université.

7. Il y a la dans le manuscrit, parce que, dans l'Addition à Dangeau indiquée ci-contre, que notre auteur reproduit, il avait dit la maison, et non l'hôtel. C'est ce qui explique que deux lignes plus loin, il y ait et céda la sienne, et que, neuf lignes après, les participes acheté et payé soient au féminin dans le manuscrit.

8. Tome VI, p. 239, note 3.

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