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Affaire

et caractère

de l'abbé

auditeur

de rote; sa conduite à Rome,

où il mourut

dans cet emploi. [Add. S'S. 1660]

que M. le duc d'Orléans auroit pu faire un meilleur choix, si Dieu me donne le temps d'écrire ici mon ambassade en Espagne1.

L'abbé de Gamaches étoit à Rome depuis assez longtemps, qu'il y avoit été envoyé succéder au cardinal de de Gamaches, Polignac à la place d'auditeur de rote pour la France 2. Il étoit fils de Gamaches qui avoit été mis auprès de Mgr le duc de Bourgogne avec Cheverny, d'O et Saumery, en qualité de menins3. Le frère de cet abbé avoit épousé une fille de Pomponne frère de Mme de Torcy, et Torcy, ministre et secrétaire d'État des affaires étrangères, lui avoit valu cet emploi. Le père de Gamaches étoit chevalier de l'Ordre de 1661, et tous deux avoient épousé les sœurs de MM. de Loménie et de Brienne, père et fils, et secrétaires d'État des affaires étrangères, que le fils quitta parce que sa tête se dérangea, et a vécu longtemps et est mort enfermé. Le nom de l'abbé de Gamaches est Rouault. Il étoit fort glorieux, encore plus ambitieux et fort plein de lui-même; il faut dire aussi qu'il n'étoit

1. Voyez suite des Mémoires, tome XVII de 1873, p. 373 et suivantes (notre prochain volume) où est racontée la « conduite énorme >> qu'il eut avec Saint-Simon.

2. Louis-Aloph Rouault, abbé de Gamaches, avait remplacé le cardinal de Polignac en 1714 notre tome XXIV, p. 203.

3. Claude-Jean-Baptiste-Hyacinthe Rouault, d'abord connu sous le nom de comte de Cayeux (tome I, p. 105), puis de Gamaches, menin du duc de Bourgogne en 1699: tome VI, p.

357.

4. Jean-Joachim Rouault, marquis de Cayeux, avait épousé en 1715 Catherine-Constance-Émilie Arnauld, fille de Nicolas-Simon, marquis de Pomponne, comme cela a été raconté dans le tome XXVI, p. 198199.

5. Il a été parlé dans le tome V, p. 98, de Nicolas-Joachim Rouault, mort en 1689 et de ces deux Loménie, marquises de Gamaches, et p. 93-97, de la folie du jeune Brienne.

6. Vieille famille du Poitou dont le premier connu, André, fut anobli en vertu de lettres patentes du roi Philippe le Long du 8 mai 1317, publiées par P. Guérin dans les Archives historiques du Poitou, tome XI, pièce LIX. Joachim Rouault fut maréchal de France sous Charles VII.

pas sans mérite, et qu'il avoit du savoir et de l'esprit pour toute sa race; mais il ne souffroit pas aisément de supérieur, ne démordoit point de ce qu'il avoit entrepris, et savoit parfaitement être ami et ennemi. Avec ces qualités, il s'appliqua fort à la rote, et y acquit la réputation d'un des plus capables de ce tribunal. Quand il s'y fut ancré et qu'il eut acquis des amis et de la considération dans Rome, son génie et son humeur se déployèrent, et son ambition se développa. Il ne songea qu'à plaire à la cour de Rome et à ceux qui la gouvernoient ou qui pourroient la gouverner à leur tour, et se mit en tête de se faire cardinal par cette voie. Dans ce plan de conduite il ne craignit pas de se lier étroitement avec les personnages principaux et autres qu'il se crut utiles, quoique déclarés contre la France, et de marcher ainsi tête levée dans toutes les routes qui pouvoient favoriser son projet.

L'abbé Dubois avoit des agents secrets à Rome pour son chapeau. Gamaches les découvrit, les suivit, chercha inutilement à avoir par eux quelque part en leurs menées. Il fut piqué du mystère qu'ils lui en firent, se brouilla avec eux, se mit à les traverser de dépit, et aussi pour faire sentir à l'abbé Dubois qu'il avoit besoin de lui. Dubois en fut bientôt averti; la fureur le saisit contre l'abbé de Gamaches, qu'il trouva plus court de le rappeler, dans la puissance où il se trouvoit de tout faire1. Un autre que Gamaches en auroit été accablé; mais il l'avoit prévu et s'étoit préparé à en soutenir le choc. Il commença par s'excuser, continua par se plaindre; mais,

1. On ignora à peu près dans le public l'aventure que Saint-Simon va raconter. Dangeau écrit dans son Journal le 1er avril (p. 261) : « On fait revenir de Rome M. l'abbé de Gamaches, qui étoit auditeur de rote. On prétend qu'il a voulu se mêler de trop d'affaires. Il a envoyé à sa famille plusieurs lettres qui le justifient fort; mais ici on l'a trouvé trop entreprenant. » Puis il n'en est plus question. Les correspondances politiques de Rome au Dépôt des affaires étrangères contiennent diverses lettres à ce sujet.

comme il s'aperçut que cette conduite n'opéroit point de changement à son rappel, il chaussa le cothurne1 et osa se déclarer. Il déclara donc à l'abbé Dubois que ce rappel n'étoit point en sa puissance, pour couler doucement qu'elle n'étoit pas en celle du Régent, par conséquent en celle du Roi même. Il avança nettement que le feu Roi, en le nommant à l'auditorat de rote pour la France, avoit consommé son pouvoir; que, du moment qu'il étoit pourvu, agréé à Rome et en possession, il étoit devenu magistrat d'un des premiers tribunaux du monde; que dès là il ne dépendoit plus du Roi, ni pour sa place, ni pour ses fonctions, ni pour sa personne; que, si on pouvoit juridiquement prouver des crimes, un auditeur de rote comme tout autre magistrat en subissoit la punition, mais instruite devant le Pape et prononcée par lui, lequel étoit le souverain de Rome et de la rote, sous l'autorité et la protection duquel elle faisoit ses fonctions; que de crimes ni même de mauvaise conduite il ne craignoit point qu'on lui en pût imputer, encore moins prouver; qu'il s'en tenoit là avec d'autant plus d'assurance qu'il n'avoit à répondre que devant le Pape, de l'intégrité et de la bonté duquel il ne pouvoit prendre de défiance. A cette dépêche, Dubois sauta en l'air'; mais, quand il eut bien tempêté, il craignit de se commettre avec une cour dont il espéroit tout, et de s'y rendre odieux. Il écouta donc volontiers ce qu'on lui voulut dire en faveur de l'abbé de Gamaches; mais, comme il desiroit passionnément aussi de tirer de Rome un homme qui lui pouvoit beaucoup nuire, et qui étoit sur les pistes de tous ses agents, car il en entretenoit trois ou quatre à Rome inconnus les uns aux autres, il lui offrit l'archevêché d'Embrun, vacant par la mort de Brûlart-Genlis, le plus ancien prélat de

1. Locution déjà rencontrée dans le tome XIX, p. 134.

2. Le Dictionnaire de l'Académie ne donne pas sauter en l'air, mais la locution analogue sauter aux nues, pour dire « se mettre en grande colère ou s'impatienter »>.

France, et un des plus saints et des plus résidents évêques'. Gamaches, incapable d'abandonner ses vues, le refusa tout net, et déclara qu'il ne vouloit quitter ni Rome ni la rote; mais, profitant avec esprit de cet adoucissement, il fit le reconnoissant, offrit ses services à Dubois, et lui en rendit en effet pour le gagner, et de fort bons. Avec tous ces manéges, il demeura auditeur de rote; mais il en résulta un véritable scandale. Jamais auditeur de rote n'avoit encore imaginé ne pouvoir être rappelé. C'est un tribunal où, non sans abus, il se porte des affaires, et souvent très considérables, de toutes les parties de la catholicité ; c'est pour cela qu'il est composé de juges de toutes les nations catholiques, et que chaque roi, ou république, même quelques villes qui l'ont été autrefois, ont la nomination du juge de sa nation. Ce juge est son sujet ; il cesse si peu de l'être par sa nomination, qu'il n'en fait les fonctions qu'à ce titre, et à titre de sujet, par conséquent révocable par le pouvoir d'un souverain sur son sujet. Cet exemple de prétention de ne pouvoir l'être étoit donc monstrueuse et très punissable; mais la punir n'étoit pas l'intérêt du maître des affaires de France, qui les tournoit toutes et les sacrifioit pour avoir un chapeau. Cette affaire fit donc grand bruit, et peu d'honneur à l'autorité du Roi, à laquelle elle a porté une blessure qui doit bien faire prendre garde à l'avenir au choix des auditeurs de rote. Quoique toutes les puissances qui en nomment aient le même intérêt, on n'a vu autre chose que Rome s'avantager de tout, et l'emporter sur choses bien plus essentielles, et, s'il se peut, encore moins fondées, contre l'intérêt général, et quelquefois le plus important et le plus sensible de toutes les puissances de sa communion.

1. Saint-Simon fait erreur. Charles Brûlart de Genlis était mort en 1745 (tome XXVI, p. 98) et avait été remplacé par M. d'Argenson. L'évêché d'Embrun n'en était pas moins vacant par le transfert de celui-ci à l'archevêché de Bordeaux (tome XXXVI, p. 192).

2. Notre tome V, p. 36 et ci-après, aux Additions et Corrections.

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Gamaches, enflé d'un succès qu'il devoit à sa hardiesse, et aux conjonctures qui viennent d'être expliquées, ne se contint plus. Il avoit toujours devant les yeux les exemples de MM. Séraphin', la Trémoïlle et Polignac, qui d'auditeurs de rote pour la France étoient devenus cardinaux ; mais c'en étoit trois seuls, et en plus d'un siècle. Il se brouilla dans la suite avec le cardinal de Polignac, chargé des affaires du Roi à Rome, dont les défauts n'étoient pas de manquer de douceur, d'agréments, et de tout mettre de sa part dans le commerce d'affaires et de société. La brouillerie s'augmenta avec tant d'éclat, que Gamaches perdit tout respect et toutes mesures en discours publics et en conduite à son égard, ne le vit plus, et cessa de lui rendre tous les devoirs auxquels il étoit obligé envers lui comme cardinal et comme ministre public du Roi; il ne vécut pas mieux avec d'autres cardinaux attachés à la France, pour avoir pris le parti du cardinal de Polignac. Tout cela fut su et souffert, parce qu'on avoit laissé gagner ce terrain à Gamaches, et, dans les fins aussi, parce qu'ici on se plut à mortifier le cardinal de Polignac. Ce n'étoit pas que depuis quelques années Gamaches n'eût donné de fortes prises sur soi, et même une qui dura longtemps, et qui fit du bruit à Rome, mais dont il ne fut autre chose. Gamaches, que rien n'arrêtoit pour aller à son but, avoit quantité d'amis dans le sacré collège, dans la prélature, dans la principale noblesse, dans l'intérieur de la maison du Pape, dans le subalterne important et accrédité; quoiqu'il ne fût pas sans ennemis, on pouvoit dire que tout rioit à ses espérances. C'est la situation où le duc de Saint-Aignan le trouva en arrivant à Rome, avec le caractère d'ambassa

1. Bâtard du chancelier Olivier (tome XI, p. 188), cardinal en 1604.

2. Les mots p' la France ont été ajoutés en interligne.

3. Le cardinal de Polignac fut ambassadeur à Rome de 1724 à 1730.

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