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dans le monde, surtout des gens de bien de tout parti, car en ce point l'excès du scandale les avoit réunis. Les plus raisonnables, qui ne laissèrent pas de se trouver en nombre, se contentèrent de le plaindre, et on convint enfin assez généralement d'une sorte d'impossibilité de s'en dispenser et de refuser'.

L'église fut superbement parée, toute la France invitée; personne n'osa hasarder de ne s'y pas montrer, et tout ce qui le put pendant toute la cérémonie. Il y eut des tribunes à jalousies préparées pour les ambassadeurs et autres ministres protestants. Il y en eut une autre plus magnifique pour M. le duc d'Orléans et M. le duc de Chartres, qu'il y mena. Il y en eut pour les dames, et, comme M. le duc d'Orléans entra par le monastère, et que sa tribune se trouva au-dedans, il fut ouvert à tous venants, tellement que le dehors et le dedans fut rempli de rafraîchissements de toutes les sortes, et d'officiers qui les faisoient et les distribuoient avec profusion. Ce désordre continua tout le reste du jour, par le grand nombre de tables qui furent servies dehors et dedans pour tout le subalterne de la fête et pour tout ce qui s'y voulut fourrer3. Les premiers gentilshommes de la chambre de M. le duc d'Orléans et ses premiers officiers firent les honneurs de la cérémonie, placèrent les gens distingués, les reçurent, les conduisirent, et d'autres de ses officiers prirent le même soin à l'égard des gens moins considérables, tandis que tout le

1. Duclos (Mémoires, édition Michaud, p. 562) excuse aussi Massillon. Voyez l'article de M. Gazier Massillon consécrateur de Dubois dans la Revue politique et littéraire du 4 décembre 1875, qui est dans le même esprit, et les Mémoires secrets de Dubois, publiés par M. de Sevelinges, tome II, p. 400 et suivantes. Au contraire l'abbé Dorsanne dans son Journal flétrit énergiquement la conduite de l'évêque de Clermont. 2. «Jalousie signifie aussi un treillis de bois ou de fer, au travers duquel on voit sans être vu » (Académie, 1718).

3. La Gazette d'Amsterdam, no XLIX, fait mention de ces tables servies au couvent même.

4. Il y a les mesme soin dans le manuscrit.

guet et toute la police étoit occupée à faire aborder, ranger, sortir les carrosses sans nombre avec tout l'ordre et la commodité possible. Pendant le sacre, qui fut peu décent de la part du consacré et des spectateurs, surtout en sortant de la cérémonie, M. le duc d'Orléans témoigna sa satisfaction à ce qu'il trouva sous sa main de gens considérables de la peine qu'ils avoient prise, et s'en alla dîner à Asnières avec Mme de Parabère1, bien contente de l'avoir fait aller au sacre, qu'il vit, et à ce qu'on lui imposa peutêtre trop véritablement, qu'il vit, dis-je, peu décemment depuis le commencement jusqu'à la fin. Tous les prélats, les abbés distingués, et quantité de laïques considérables furent invités pendant la cérémonie par les premiers officiers de M. le duc d'Orléans à dîner au Palais-Royal. Les mêmes firent les honneurs du festin, qui fut servi avec la plus splendide abondance et délicatesse, et apprêté et servi par les officiers de M. le duc d'Orléans et à ses dépens2. Il y eut deux tables de trente couverts chacune dans une grande pièce du grand appartement, qui furent remplies de ce qu'il y avoit de plus considérable à Paris, et plusieurs autres tables également bien servies en d'autres pièces voisines pour des gens moins distingués. M. le duc d'Orléans donna au nouvel archevêque un diamant de grand prix pour lui servir d'anneau. Toute cette journée fut livrée à cette sorte de triomphe, qui n'attira pas l'approbation des hommes ni la bénédiction de Dieu. Je n'en vis pas la

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1. Mme de Parabère avait acheté une maison de campagne dans cette localité en 1719, probablement des libéralités du Régent (E. Périer, Notes sur Asnières, p. 3).

2. Ces quatre mots ont été ajoutés en interligne.

3. Tous les récits du sacre (ci-dessus, p. 202, note 2) parlent de ce festin.

4. On l'estimait à cent mille livres, d'après la Gazette d'Amsterdam, n° LI.

5. Livrée est en interligne, au-dessus de donnée, biffé.

6. Le comte de Seilhac (L'abbé Dubois, tome II, p. 79-80) cite quelques-uns des pamphlets et libelles qui coururent à cette occasion.

Les Anglois
opposés
au roi

Georges

ou

Jacobites chassés de France à son de trompe.

moindre chose, et jamais M. le duc d'Orléans et moi ne nous en sommes parlé1.

Dans le même temps que Dubois fut nommé à l'archevêché de Cambray, on publia à son de trompe une ordonnance pour faire sortir en huit jours de toutes les terres de l'obéissance du Roi tous les étrangers rebelles, qui en conséquence furent recherchés et punis avec la dernière rigueur3. Ces étrangers rebelles n'étoient autres que des Anglois, et ce fut un des effets du voyage à Paris Add. SS 1652] du comte Stanhope; ce ne fut que l'exécution, jusqu'alors tacitement suspendue, d'une clause infâme du traité fait par Dubois avec l'Angleterre, qui y gagnoit tout, et la France rien, rien que la plus dangereuse ignominie.

1. Il faut remarquer ici que la disgrâce du garde des sceaux d'Argenson, que Saint-Simon ne racontera que beaucoup plus loin, p. 332, se produisit deux jours avant le sacre de Dubois, 7 juin, et que la déconfiture du Système de Law était alors imminente.

2. Dans le temps de la nomination (février) et non pas à l'époque du sacre qui vient d'être raconté.

3. Dangeau, p. 243. L'ordonnance, du 7 février, débute ainsi : « Sa Majesté s'étant fait représenter l'article 3 du traité conclu à la Haye le 4 janvier 1717 entre Elle, le roi de la Grande-Bretagne et les ÉtatsGénéraux des Provinces-Unies, et le quatrième article du traité conclu à Londres, le 2 août 1718, entre Elle, l'Empereur et le roi de la Grande-Bretagne, lesquels articles portent entre autres choses la promesse de ne donner asile dans son royaume à aucuns des sujets des puissances contractantes qui auroient été déclarés rebelles, même de les faire sortir des terres de son obéissance dans l'espace de huit jours après que la réquisition en aura été faite,.... ». L'exemplaire imprimé qui en existe aux Archives nationales, carton AD +757, est contresigné par le nouveau lieutenant général de police, comte d'Argenson, et suivi de cette mention : « L'ordonnance ci-dessus a été lue et publiée à haute et intelligible voix, à son de trompe et cri public, en tous les lieux ordinaires et accoutumés, par moi Marc-Antoine Pasquier, juré crieur ordinaire du Roi en la ville, prévôté et vicomté de Paris,.... le 28 février 1720, à ce que personne n'en prétende cause d'ignorance, et affichée ledit jour ès dits lieux. »

4. Ci-dessus, p. 160.

5. Saint-Simon avait d'abord écrit qui y gagnoit et la France rien; il a ajouté en interligne tout et le second rien.

Les François, depuis la révocation de l'édit de Nantes réfugiés en Angleterre, ne pouvoient donner la plus légère inquiétude en France', où personne n'avoit droit à la couronne que celui qui la portoit, et sa maison d'aîné mâle en aîné, et le réciproque stipulé par ce même traité ne pouvoit avoir d'application aux François, dont pas un n'étoit rebelle, ni opposé à la maison régnante. Ce réciproque n'étoit donc qu'un voile, ou plutôt une toile d'araignée pour faire passer, non l'intérêt des Anglois, mais celui du roi d'Angleterre et de ses ministres, qui craignoient jusqu'à l'ombre du véritable et légitime roi, bien que confiné à Rome, et des Anglois de son parti ou qui par mécontentement favorisoient ce parti sans se soucier du parti même. La cour sentoit que, quelque éloignement qu'eût toute la nation angloise de revoir sur le trône le fils d'un roi catholique qu'elle avoit chassé, d'un roi qui avoit attaqué tous leurs priviléges, un roi élevé en France, qui y avoit pris les leçons du roi son père, qui y avoit été nourri au milieu de l'exercice le plus constant et le moins contredit du pouvoir plus qu'absolu, la nation toutefois ne desiroit pas l'extinction de sa famille, sentoit la justice de son droit, vouloit y trouver un appui, et de quoi montrer sans cesse à la maison d'Hanovre que son élévation sur le trône n'étoit que l'ouvrage de sa volonté, qui également la3 pouvoit chasser, et bien plus justement qu'elle n'avoit ôté la couronne aux Stuarts, et tenir ainsi en bride perpétuelle le roi Georges, sa famille et ses ministres. La position de la France à l'égard de l'Angleterre les inquiétoit sans cesse sur les Jacobites qui s'y étoient réfugiés par la facilité de leurs commerces et de leurs intelligences en Angleterre, et par la facilité d'y passer promptement. Quelque honteuses preuves qu'eût le gouvernement d'Angleterre de

1. Les mots en Fr. sont aussi en interligne dans le manuscrit.

2. Les mots le fils d' ont été ajoutés après coup en interligne, et la suite de la phrase a été corrigée en conséquence de cette modification. 3. Il y a le dans le manuscrit.

l'abandon de celui de France à ses volontés, depuis que Dubois en étoit devenu l'arbitre unique, ces habiles ministres sentoient combien cette conduite étoit personnelle; qu'elle ne tenoit qu'au desir de la pourpre, que Dubois espéroit du crédit du roi Georges auprès de l'Empereur, qui, en effet, pouvoit tout à Rome; que cette conduite étoit essentiellement contraire à l'intérêt de la France et singulièrement odieuse à toute la nation françoise, grands et petits; conséquemment qu'elle pouvoit facilement changer, et qu'il étoit de l'intérêt le plus pressant de la maison d'Hanovre et de ses ministres de profiter de leur situation présente avec la France pour la mettre à jamais, autant qu'il étoit possible, hors de moyens de troubler l'Angleterre, d'y favoriser utilement les Jacobites, encore plus d'y faire des partis et quelque invasion en faveur des Stuarts. Pour arriver à ce point, il falloit deux choses, s'ôter toute inquiétude à l'égard de la France en la dépouillant de tous ceux qui leur en pourroient donner, et ruiner en Angleterre tout crédit et toute confiance en la France par la rendre conjointement avec eux la persécutrice publique et déclarée du ministère de la reine Anne, et de tout ce parti qui seul avoit sauvé la France des plus profonds malheurs par la paix particulière de Londres, la séparation de l'Angleterre d'avec ses alliés, enfin par la paix d'Utrecht, dont la reine Anne s'étoit rendue la dictatrice et la maîtresse, et qui avoit sauvé la France au moment qu'elle alloit être envahie, et la couronne d'Espagne à Philippe V à l'instant qu'il l'alloit perdre sans la pouvoir sauver. Le ministère du roi Georges avoit voulu faire sauter les tètes de ce ministère précédent', précisément pour avoir fait la paix de Londres et forcé les alliés aux conditions de celle d'Utrecht, et n'avoit cessé depuis de persécuter ce parti avec la dernière fureur. Mettre la France de moitié de

1. Mot déjà rencontré dans le tome XII, p. 92 et 436. 2. Tomes XXVI, p. 185-186, et XXXIV, p. 319.

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