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retourner, elle alla appeler du Plessis, et le renvoya par où il étoit venu. Il fut longtemps encore dans les transes de la mort, avec la nécessité de paroître aux fonctions de sa charge et y faire bonne mine, et parmi les gens qu'il voyoit, quoique, avec M. le duc d'Orléans, qui avoit du temps pouvoit compter de bien sortir d'affaire, comme il arriva en effet.

L'abbé Dubois, à qui sûrement le Régent ne cacha pas une chose si importante, n'avoit garde de le pousser; il vouloit être maître de l'affaire en total, par les raisons qui en ont été rapportées, et non-seulement il ne l'étoit plus en poussant le premier président, mais il ne pouvoit douter que ses dépositions apprendroient à M. le duc d'Orléans tout ce que lui Dubois lui avoit caché de toute cette conspiration pour en demeurer lui seul le maître, et c'en étoit bien plus qu'il n'en falloit pour sauver le premier président, parce que ce n'étoit pas moins que de se sauver lui-même d'une si perfide et noire infidélité. Ainsi toute pensée d'agir contre de Mesmes tomba bientôt, et la chose demeura entièrement secrète. C'est la Chausserais elle-même qui la conta longtemps depuis au procureur général telle que je la viens d'écrire, et je l'ai écrite aussitôt qu'il me l'a eu racontée, pour l'insérer ici dans l'exactitude précise qu'il me l'a rendue bien des années après la mort de M. le duc d'Orléans, de ce coquin de Mesmes, si fort scélérat par excellence, et si prodigieusement impudent, qui mourut avant le Régent comme il avoit vécu2, et de la Chausserais, qui mourut longtemps après3.

1. Notre tome XXXVI, p. 147 et suivantes.

2. Nous verrons sa mort en août 1723 (Suite des Mémoires, tome XIX de 1873, p. 151), quelques jours après celle de Dubois et trois mois avant le Régent.

3. En mars 1733. Elle avait beaucoup « profité sur les actions >> : en 1720, Buvat raconte (Journal, p. 15-16) qu'elle venait d'acheter pour cent cinquante mille livres le petit hôtel de Noailles, rue SaintHonoré près les Jacobins, et l'hôtel d'Orval rue Plâtrière, pour douze

Il n'est pas étrange que M. le duc d'Orléans ne m'ait jamais parlé de cette terrible aventure, tenu d'aussi court qu'il l'étoit alors par l'abbé Dubois, qui le détournoit avec empire de tous ceux de sa confiance, et de moi plus que de pas un, parce que la sienne pour moi étoit plus entière, plus fondée, plus de tous les temps, surtout qu'il l'empêchât de s'ouvrir à moi, sur une matière dont il s'étoit rendu seul maître, et sur laquelle ma haine pour le duc du Maine et pour le premier président, qui auroit pu augmenter ma force et ma liberté ordinaire de parler à M. le duc d'Orléans, auroit fait courir à Dubois le risque de se voir forcer la main, par conséquent celui de sa ruine, par la manifestation de tout ce qu'il avoit caché au Régent, et que les dépositions du premier président et de bien d'autres nécessairement arrêtés sur les siennes, auroient mis au net et au grand jour; mais, ce qui est on ne sait si plus inconcevable ou plus déplorable, peu de mois passèrent si bien non pas l'éponge1, mais effacèrent si bien les pointes de l'impression de cette affaire dans M. le duc d'Orléans, qu'il se servit depuis du premier président, qui le trompa encore, et que, après en avoir été servi de la sorte, et conduit par là à la nécessité de faire l'éclat d'envoyer le Parlement à Pontoise, moins de quatre mois après, le premier président eut le front, et assez de mépris pour soi-même et pour le Régent, pour oser lui demander de l'argent, et en quantité, en dédommagement de ce qu'il lui en avoit coûté à Pontoise à tenir table ouverte à tout le Parlement, à s'y moquer de lui avec cette Compagnie de la manière la plus indécente et la moins mesurée, comme on le verra en son lieu, et que l'extrême merveille est qu'il en obtint plus de quatre cent mille francs, à la

cent mille francs, à Armenonville, qu'elle autorisait à y demeurer sa vie durant, moyennant un loyer de vingt mille livres.

1. Tome XVII, p. 430.

2. Ci-après, p. 361.

3. Tout cela sera raconté plus loin,

p. 361-367.

vérité en cachette, mais non pas telle que je ne l'aie su dès lors, et bien d'autres gens avec moi. Voilà de ces prodiges que je comprends qu'on a bien de la peine à croire, quand on ne les a pas vus, et pour ainsi dire quand on ne les a pas touchés avec la main, et qui caractérisent le Régent d'une façon bien étrange'.

La duchesse de Villars' fut nommée pour conduire Mlle de Valois, avec trois3 dames de qualité, qui furent Mmes de Simiane, de Goyon et de Bacqueville, dont on parlera après*.

Duchesse* de Villars et dames nommées

pour conduire ** la princesse de Modène jusqu'à Antibes.

Remarques sur le cérémonial, le voyage

Mme de Villars, qui voyoit tous les jours contester les choses les plus établies et les plus certaines, ne voulut pas s'exposer à aucune difficulté et fit décider jusqu'à ce qui n'avoit pas besoin de l'être il le fut donc qu'elle auroit partout le même traitement que Mlle de Valois, à la main près, c'est-à-dire un fauteuil, un cadenas à table, une soucoupe, un verre couvert, les cuiller, fourchette et couteau de vermeil, les assiettes de même; le tout pareil à ceux de la princesse: Mlle de Valois en avoit; et le même genre de domestique qu'elle pour la servir à table, et rien de tout cela pour aucune des dames de qualité qui mangeoient avec Mlle de Valois et la duchesse de Villars. Ces [Add. SS. 1643]

1. Ce dernier membre de phrase a été ajouté dans le blanc resté à la fin du paragraphe.

2. La duchesse de Villars-Brancas, Marie-Angélique Fremin de Moras, et non pas la maréchale-duchesse de Villars.

3. Il y a deux, par erreur dans le manuscrit.

4. Ci-après, p. 175. La désignation des trois dames est notée par Dangeau au 1er mars (p. 244), et celle de la duchesse de Villars dès le 26 janvier (p. 219). Voyez le Mercure, décembre 1719, p. 175176, qui donne les noms des «< officiers » d'accompagnement.

5. Cet ustensile de table a été décrit dès notre tome I, p. 95. 6. Les huit mots le tout pareil à ceux de la Ps ont été ajoutés en interligne.

Saint-Simon avait d'abord écrit cette manchette presque entière sur la marge intérieure de son manuscrit; il l'a biffée pour la remettre sur la marge extérieure.

** Conduire est en interligne, au-dessus d'accompagner biffé.

et

l'accompagne

ment.

Fiançailles et mariage de cette princesse.

distinctions déplurent à ces dames; mais, ne les pouvant empêcher, elles firent en sorte que Mlle de Valois, qui s'arrêtoit partout et allongeoit tant qu'elle put son voyage jusqu'à un excès dont on se plaignit de Modène à M. le duc d'Orléans', se mit souvent à manger seule en public'. La duchesse de Villars sentit l'affectation, mais ne voulut pourtant pas prendre le cadenas et les autres distinctions en mangeant avec les dames, lorsque Mlle de Valois mangeoit seule, quoi[que] les duchesses les eussent toujours prises dans la vie ordinaire et commune jusque vers le milieu du règne du feu Roi. Elle se contenta donc de rendre compte de l'affectation de manger souvent seule en public, sur quoi Mlle de Valois reçut un ordre de Monsieur son père de manger toujours avec la duchesse de Villars et les dames, ce qui fut toujours exécuté depuis. Je dis ceci d'avance, pour n'avoir plus à y revenir, ainsi que tout ce qui regarde ce mariage.

Les fiançailles se firent à l'ordinaire dans le cabinet du Roi, sur les six heures du soir, le dimanche 11 février, par le cardinal de Rohan, la queue de Mlle de Valois portée par Mlle de Montpensier sa sœur, depuis reine d'Espagne, M. le duc de Chartres chargé de la procura[Add. SS. 1644] tion du prince de Modène3. Il ne se trouva personne ou

1. Voyez plus loin, p. 174-175.

2. Ceci est confirmé par Dangeau, p. 271. Mme de Villars avait reçu des instructions écrites très précises, datées du 1er mars, sur tout ce qui regardait la conduite de la princesse et le cérémonial.

3. Le mariage avait été décidé le 26 octobre (notre tome XXXVI, p. 321), et on crut d'abord qu'il aurait lieu à la fin de novembre. Mais il y eut des retards successifs : le 6 novembre, la princesse, passant à cheval à la porte Maillot, se blessa à la tête; puis, la rédaction du contrat subit quelques difficultés et les articles ne revinrent signés de Modène que le 26 novembre; enfin ce fut la dispense ecclésiastique qui n'arrivait pas de Rome et qu'on ne reçut que le lendemain de Noël. On crut pouvoir fixer le mariage au 25 janvier; une omission dans la publication des bans en Italie retarda encore, et la cérémonie des fiançailles ne se fit que le 11 février (Dangeau, p. 148, 150, 157, 165, 190-194, 195, 211, 222 et 232; Gazette, p. 83). Dès le 12, on

rien

comme personne de la cour aux fiançailles, parce que n'est pareil aux fantaisies, aux hauts et aux bas des François. Il est très certain que les princes et les princesses du sang ont toujours prié à leurs fiançailles; il ne l'est pas moins que les fils de France n'ont jamais prié aux fiançailles de leurs enfants. M. le duc d'Orléans étoit le premier petitfils de France qui eût à marier ses enfants. Mme la duchesse de Berry épousant un fils de France n'étoit pas dans le cas; il ne se présentoit qu'ici pour la première fois, et M. le duc d'Orléans, supérieur en rang aux princes du sang, et régent, ne songea pas à faire prier personne, de manière que les fiançailles se firent fort solitairement1, et cette même foule qui l'environnoit, hommes et femmes et de toutes qualités, jusqu'aux plus grandes, qui lui prostituoient toutes sortes de bassesses pour en obtenir et souvent en arracher des grâces, se tint chacun chez soi comme de concert pour n'avoir pas été conviée'. Mme la duchesse d'Orléans le sentit, et le Régent s'en moqua. Le Roi donna à Mlle de Valois un beau collier de diamants et de perles, et, une heure après les fiançailles, alla lui dire adieu au Palais-Royal', et voir Madame et M. et Mme la

expédia à Mlle de Valois un brevet de conservation des honneurs de princesse du sang, on donna l'ordre nécessaire pour les logements sur sa route, et la permission de la suivre à un valet de chambre, un clerc de la chapelle du Roi, l'abbé de Saint-Bon, à deux écuyers, six pages de la petite écurie, six grands valets de pied et quatre petits (reg. O1 64, fol. 42 vo, 43 et 48 vo).

1. Dangeau dit : « Il y avoit beaucoup de monde aux fiançailles, mais peu de dames considérables; on n'y avoit convié personne; mais on croyoit qu'il s'y en trouveroit davantage. » C'est à ce propos que Saint-Simon avait fait l'Addition indiquée ci-contre.

2. Dans l'Addition, il avait ajouté : Peut-être aussi que le désespoir des suites du Mississipi, qui étoient alors dans toutes leurs horreurs, donnèrent lieu à ce dépit pour en passer la mauvaise humeur sur quelque chose. » A la rédaction des Mémoires, s'apercevant sans doute qu'il anticipait, il n'a pas reproduit ce passage.

3. Dangeau, p. 232. Selon la Gazette d'Amsterdam, no xvi, le collier valait huit cent mille livres, l'ensemble des bijoux plus de deux

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