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laquelle le cardinal de Bouillon, chargé lors des affaires du Roi à Rome, et surtout de s'opposer en son nom à la promotion du duc de Saxe-Zeitz, évêque de Javarin1, que l'Empereur vouloit absolument porter à la pourpre, la double friponnerie, dis-je, par laquelle il pensa tromper le Pape et le Roi en faisant passer l'évêque et l'abbé d'Auvergne avec lui, disant au Pape que le Roi ne consentiroit à l'évêque qu'à cette seule condition en faveur de son neveu par amitié pour lui, et mandant au Roi que, ne pouvant plus empêcher la promotion de l'évêque, il avoit au moins obtenu qu'un François fût promu avec l'Impérial, à quoi le Pape n'avoit jamais voulu consentir que pour l'abbé d'Auvergne, par amitié pour lui, cardinal de Bouillon. Le Pape, depuis si longtemps arrêté sur la promotion de l'évêque de Javarin par les plus fortes protestations du Roi, qui n'avoit jamais voulu écouter nulle condition là-dessus, fut si étonné de la proposition du cardinal de Bouillon, dont l'ambition étoit connue et la probité fort démasquée, que Sa Sainteté prit le parti de mander le fait au Roi par un billet de sa main, pour être éclairci par sa réponse, et de faire passer ce billet droit à Torcy, pour le remettre au Roi sans aucune participation de son nonce ni de ses principaux ministres à Rome. Le Roi lui répondit de sa main par la même voie, le remercia, lui témoigna toute son indignation, et, insistant également contre la promotion de l'évêque de Javarin, lui déclara qu'il aimeroit mieux qu'il le fit cardinal seul que de faire avec lui l'abbé d'Auvergne, qu'il ne souffriroit pas qu'il le fût. Ce mot n'est que pour en rappeler ici la mémoire; l'histoire entière se trouve mieux au temps où elle arriva et où elle a été ici rapportée2.

1. Christian-Auguste, duc de Saxe-Zeitz, évêque de Javarin ou Raab tome IV, p. 177.

2. Dans le récit du tome V, il n'est pas parlé du billet du Pape au Roi avec réponse de celui-ci, à moins qu'on n'y voie une allusion dans le dernier membre de phrase de la narration (p. 116), que nous avons

Disgression sur les alliances étrangères

du maréchal de Bouillon et de sa postérité.

Mais, à propos des raisons d'exclusion de l'abbé d'Auvergne sur Cambray par rapport à sa famille, je ne puis m'empêcher de remarquer ici, puisque cela s'y présente naturellement, l'esprit suivi des Bouillons depuis qu'Henri IV eut fait la fortune du vicomte de Turenne en lui faisant épouser l'héritière de Sedan, le fit maréchal de France pour y atteindre, et le soutint pour en conserver les biens contre l'oncle paternel et ses enfants, quoique le maréchal n'eût point eu d'enfants de leur nièce et cousine1. Je ne parle point de tout ce qu'il fit contre Henri IV et contre Louis XIII depuis qu'il se figura être prince, ni de ce que firent ses enfants. Je me borne ici à dire un mot de leurs mariages pour se fortifier au dehors pour leurs félonies, dont la vie de ce maréchal, depuis cette époque, et celle de ses fils n'a été qu'un tissu, et les mariages de leur postérité, quoique leur foiblesse et la puissance de Louis XIV depuis la paix des Pyrénées ne leur ait laissé que la volonté d'imiter leurs pères, sans leur en laisser les moyens. Ce n'est pas leur rien prêter: on le prouve par la désertion du prince d'Auvergne en pleine guerre, en plein camp, sans mécontentement aucun, et part la seule et folle espérance de devenir stathouder d'Hollande en se signalant comme il fit contre le Roi en propos et en service; on le prouve par la félonie du cardinal de Bouillon; on le prouve par le refus de se reconnoître sujets du Roi, comme le cardinal eut le front de le lui écrire, et comme son frère ainé aima mieux risquer tout dit avoir été ajouté après coup sur le manuscrit, probablement lorsque notre auteur, écrivant le présent second récit, s'est reporté au premier. On a vu (tome V, p. 115, note 5) qu'il n'y a pas trace de tout cela dans les correspondances du Dépôt des affaires étrangères.

1. Saint-Simon va répéter tout ce qu'il a dit si souvent sur les félonies des Bouillons; voyez notamment nos tomes XIV, p. 178 et suivantes, et XX, p. 55 et suivantes, et le Mémoire sur les maisons de Lorraine, de Rohan et de la Tour, publié par P. Faugère dans le tome III des Écrits inédits de Saint-Simon.

2. Tome X, P. 247-251.

que de s'avouer tel, comme cela est expliqué ici p. 1029 jusqu'à 1032', et l'adresse fort étrange par laquelle Daguesseau, lors procureur général, le sauva sans s'avouer sujet. Mais revenons à leurs mariages.

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Henri de la Tour, vicomte de Turenne, qui se fit huguenot, à quoi il gagna tant, et qui servit si bien Henri IV jusqu'à ce que ce prince lui fit épouser l'héritière de la Marck, dame de Bouillon, Sedan, etc., et qui lui fut depuis si perfide, si ingrat et si félon, lui et sa postérité, et à celle de ce monarque, qui l'avoit fait maréchal de France pour ce mariage, si connu auparavant sous le nom de vicomte de Turenne, et depuis sous celui de maréchal de Bouillon, n'avoit point eu de mères que de la noblesse françoise. Veuf sans enfants de cette héritière, qui avoit un frère de son père et des cousins germains, il conserva par force et par la protection d'Henri IV, qui s'en repentit bien depuis, comme on le voit par les Mémoires de Sully et par tous ceux et les Histoires de ce temps-là, il conserva, dis-je, toute la succession de l'héritière, qui lui servit à figurer contre son roi et son bienfaiteur au dedans et au dehors du royaume, en s'appuyant des huguenots françois et étrangers, et par des mariages étrangers qu'ils lui facilitèrent. Ainsi il se remaria à la fille puînée du célèbre Guillaume de Nassau, prince d'Orange, fondateur de la république des Provinces-Unies', qui, cherchant de son côté à s'assurer des huguenots de France, pour se faciliter et se continuer l'appui si nécessaire de cette couronne à sa république naissante et à la continuité de la grandeur et de la puissance qu'il y avoit acquise, et la transmettre aux siens, fit volontiers ce mariage de sa fille,

1. Ces mentions de pages du manuscrit ont été ajoutées en interligne; elles correspondent aux pages 51 à 66 de notre fome XX.

2. La phrase est embrouillée : il veut dire que les la Tour d'Auvergne jusqu'à ce maréchal de Bouillon n'avaient contracté d'alliance qu'avec des Françaises.

3. Charles-Robert de la Marck, comte de Maulévrier: tome V, p. 267. 4. Isabelle de Nassau: tome X, p. 250...

et d'une autre encore, fort peu après, avec Claude1 de la Trémoïlle, second duc de Thouars, pair de France, qui étoient les deux plus grands seigneurs huguenots de France. Mais, pour montrer quelles alliances celle-là leur donna au dehors, il faut voir ici les enfants que ce célèbre prince d'Orange eut de quatre femmes qu'il épousa successivement. D'Anne d'Egmont, fille du comte de Buren3, il laissa Philippe-Guillaume, qui, à sa mort en 1582 par un assassin, à cinquante et un ans', étoit entre les mains des Espagnols, fut catholique et attaché à eux toute sa vie, et n'eut point d'enfants d'une fille du prince de Condé mort à Saint-Jean d'Angély, et de Charlotte de la Trémoïlle. Il étoit mort particulier en 16187, un an avant son épouse. Sa sœur unique de même lit fut la comtesse d'Hohenlohe. D'Anne, fille de Maurice électeur de Saxe, il eut Maurice, prince d'Orange, qui succéda à ses charges et à sa puissance dans la république des Provinces-Unies, et ne s'y rendit pas moins célèbre; mais il ne se maria point, et mourut en 1625, à cinquante-huit ans 10; Louis, comte de Nassau, mort sans alliance aux 1. Le manuscrit porte Ch. (Charles), par erreur.

2. Claude, duc de la Trémoïlle, et sa femme Charlotte-Brabantine de Nassau tome XV, p. 306.

3. Fille de Maximilien d'Egmont, comte de Buren, elle mourut en 1559. Saint-Simon se sert du Moréri pour tout cet exposé généalogique. 4. Les mots à 51 ans ont été ajoutés en interligne. C'est le père et non le fils qui fut assassiné le 10 juin 1584, et non 1582. 5. C'est la phrase même du Moréri.

6. Éléonore de Bourbon, fille de Henri Ier de Bourbon, prince de Condé, et de sa seconde femme Charlotte-Catherine de la Trémoïlle, fut mariée en 1606 et mourut le 20 janvier 1619.

7. Le 20 février 1618; il était revenu aux Pays-Bas depuis quelque temps.

8. Marie de Nassau, mariée le 17 février 1595, à Philippe, comte de Hohenlohe, morte en 1616.

9. Anne-Marie, mariée 10 août 1561, fille de Maurice (1521-1553), électeur de Saxe après son père, le 19 août 1541.

10. Maurice de Nassau n'avait que dix-huit ans à la mort de son père en 1584; il mourut sans alliance le 23 avril 1625.

guerres des Pays-Bas '; et une fille mariée à un bâtard du bâtard don Antoine, prieur de Crato, qui se prétendit roi de Portugal, après la mort du cardinal-roi, lorsque Philippe II envahit cette couronne sur la branche de Bragance, qui y fut depuis rétablie2. Ce gendre du prince d'Orange courut les mers en qualité de vice-roi des Indes3, et n'eut point de postérité. De Charlotte de Bourbon, professe et abbesse de Jouarre, qui en sauta les murs, se fit huguenote et se sauva chez l'électeur palatin, fille du premier duc de Montpensier, mariée 1572, morte 1582 de la peur qu'elle eut à Anvers du premier assassinat de son mari, manqué et blessé légèrement d'un coup de pistolet, à table auprès d'elle', il eut Louise-Julienne, épouse de Frédéric IV, électeur palatin, qui de luthérien se fit calviniste, et qui mourut en 16105. Il eut d'elle quantité d'enfants, entre autres Frédéric V, électeur palatin, qui se perdit en usurpant la couronne de Bohême, et fut

1. Saint-Simon lit mal le Moréri. Outre Maurice, Anne de Saxe n'eut que deux filles Anne, qui épousa, paraît-il, son parent Guillaume-Louis, prince de Nassau, et celle qui va suivre.

2. Émilie de Nassau épousa en 1597 Emmanuel de Portugal, fils naturel d'Antoine, dit le prieur de Crato, né en 1534, qui prit le titre de roi de Portugal en 1580 à la mort du roi Henri, et mourut à Paris le 25 août 1395. Emmanuel mourut à Bruxelles le 22 juin 1628, ayant perdu sa femme en 1624. Le cardinal-roi est Henri, cinquième fils du roi Emmanuel le Grand, né le 31 janvier 1512, qui fut successivement archevêque de Braga (1533), d'Evora (1540) et de Lisbonne (1564), fut créé cardinal en 1545, et succéda en 1578 à son petit-neveu le roi Sébastien ; il mourut le 31 janvier 1580, et les rois d'Espagne s'emparèrent alors de la couronne de Portugal. Le prieur de Crato était un bâtard du duc de Beja, second fils du roi Emmanuel; il était grand prieur de l'ordre de Malte en Portugal et possédait à ce titre le prieuré de Crato, ville de la province d'Alemtejo.

3. Après la conquête du Portugal par Philippe II, il se retira au Brésil en qualité de vice-roi, ce pays n'ayant pas été soumis par les Espagnols.

4. Il a été parlé de cette abbesse de Jouarre, princesse d'Orange. dans le tome XIV, p. 193, ainsi que de son père.

3. Ibidem, p. 183. 6. Tome VIII, p. 258.

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