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confondu, perdit toute contenance, fit le plongeon1 et tenta de s'évader; mais sa partie, qui s'étoit flattée de l'enferrer comme elle fit, s'étoit, à tout événement, pourvue de trois ou quatre gaillards, qui, sans faire semblant de rien, s'étoient mis à portée de l'abbé, et l'empêchèrent de sortir de sa place. Cependant Mesmes, premier président, alla aux opinions, qui ne durèrent qu'un instant, et où M. le prince de Conti ni les pairs qu'il avoit menés ne furent point, parce qu'ils n'avoient pas assisté aux plaidoiries précédentes. Le premier président, remis en place, prononça un arrêt sanglant contre Tencin, avec dépens et amende, qui est une flétrissure, puis fit avancer Tencin, et l'admonesta cruellement, sans épargner les termes les plus fâcheux, et de la voix la plus intelligible. Il la finit par le condamner à une aumône, qui est une peine infamante. Alors les huées recom

1. Tomes XVI, p. 87, XIX, p. 27, XX, p. 243.

2. Le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne donnait ce verbe au figuré qu'au mode réfléchi : « On dit figurément s'enferrer pour dire se nuire inconsidérément à soi-même par ses paroles, par sa conduite. »

3. C'est pour cela que le greffier dira (ci-après Additions et Corrections) que le premier président ne demanda les opinions que des ducs de Brissac, de la Meilleraye et de Roannois, « qui étoient des juges ».

4. Toute cette scène est absolument controuvée, et on ne comprend pas que Saint-Simon, qui, il est vrai, n'assista pas au procès, mais qui était alors à Paris, ait pu la raconter d'abord dans l'Addition à Dangeau, pour la reproduire ensuite dans ses Mémoires. Aucun contemporain n'en parle, et il serait étonnant que les nombreux ennemis de l'abbé de Tencin n'aient point relevé le faux serment, le coup de théâtre de la preuve, et l'admonestation du premier président. Mais il y a mieux : c'est que le greffier du Parlement lui-même, qui n'en dit rien non plus, établit implicitement que l'abbé de Tencin n'était pas présent, puisqu'il note son départ pour Rome avec le cardinal de Bissy l'avant-veille même du jugement (Archives nationales, U 364, au 1er avril). Un seul point est exact dans le récit de notre auteur : la satisfaction de l'assistance et du public.

5. Il n'est point parlé d'aumône dans le prononcé du jugement, mais seulement d'une amende de douze livres en plus des dépens, ce qui

mençèrent, et, comme il n'y avoit plus rien à ajouter, l'abbé Tencin ne trouvà plus d'obstacle pour se couler honteusement dans la presse et se dérober aux regards des honnêtes gens et aux insultes de la canaille. Ce jugement se répandit à l'instant par tout Paris, avec l'éclat et le scandale qui en étoit inséparable1.

Tout autre que l'abbé Dubois auroit changé d'agent pour Rome; mais celui-ci se trouvoit tellement à son point et dans ses moeurs, et ses talents lui semblèrent si difficiles à rassembler dans un autre, qu'il le fit partir dès le lendemain pour le faire disparoître, et par là faire cesser plus tôt ce que sa présence eût renouvelé. Dubois eut raison sans doute. Ce n'étoit ni du mérite ni de la vertu qu'il attendoit le cardinalat. Son négociateur étoit supérieur à tout autre pour faire valoir utilement l'or, l'intrigue et les divers ressorts où l'abbé Dubois avoit établi toutes ses espérances. Les manèges de son agent à Rome se trouveront en leur lieu3.

Law fut fort touché d'une aventure si infâme et si

Law achète

publique arrivée à son convertisseur, qui ne fit pas l'hôtel Mazarin honneur à sa conversion, qui avoit déjà bien fait parler

était en effet une sorte de flétrissure, le Parlement ne l'infligeant qu'en cas d'appel manifestement injuste ou de procédés malhonnêtes.

1. Le 5 avril, M. Caumartin de Boissy écrivait à la marquise de Balleroy : « Le convertisseur a perdu son procès à la grand chambre tout d'une voix. L'assemblée y étoit belle, nombreuse, force pairs; le public y a battu des mains » (Les Correspondants de Balleroy, tome II, p. 306-307); voyez aussi les Mémoires de Mathieu Marais, tome II, p. 108, 112 et 113-114; la Gazette d'Amsterdam, 1721, no xxx. 2. Voyez ce qui est dit dans les Correspondants de Balleroy, p. 307, sur la pression exercée par le Régent sur le cardinal de Bissy pour que celui-ci emmenât Tencin à Rome.

:

3. Saint-Simon n'en parlera qu'assez brièvement en 1721 suite des Mémoires, tome XVII de 1873, p. 222. Voyez l'ouvrage de Maurice Boutry, Une créature du cardinal Dubois; intrigues et missions diplomatiques du cardinal de Tencin (1902); M. le marquis d'Argenson, dans sa Correspondance du comte d'Argenson, ministre de la guerre (1922), a donné plusieurs lettres du cardinal à ce ministre.

et y

établit sa banque.

le monde'. Il acheta un million l'hôtel Mazarin, pour y mettre sa banque, qui avoit été jusqu'alors dans la maison qu'il louoit pour cela du premier président, et dont il n'avoit pas besoin par sa place, qui donne un magnifique logement au Palais aux premiers présidents du Parlement. Law acheta en même temps cinq cent cinquante mille livres la maison du comte de Tessé".

1. Ce procès n'arriva qu'un an et demi après la conversion de Law, et alors que celui-ci avait déjà quitté la France après l'effondrement du Système. Saint-Simon brouille les temps.

:

2. L'hôtel Mazarin (on disait plutôt le palais Mazarin) comprenait au temps du cardinal presque tout le quadrilatère compris entre les rues Vivienne, Neuve des Petits-Champs, de Richelieu, et une ruelle qui est aujourd'hui la rue Colbert. Après sa mort, il fut partagé en deux la partie sur la rue de Richelieu revint au duc de NeversMancini, celle sur la rue des Petits-Champs et la rue Vivienne, au duc de la Meilleraye-Mazarin celle-ci conserva le nom de palais Mazarin. Par actes du 10 mai 1719, Law avait acheté l'hôtel de Nevers pour la Banque, ainsi que la maison du sieur de Varennes au coin de la rue de Richelieu, aux prix respectifs de quatre cent et de cent vingt mille livres; en novembre, il fit l'acquisition du palais Mazarin pour y mettre la Compagnie des Indes, qui y resta après la déconfiture de Law, et c'est là où, à partir de 1724, se tint la Bourse, tandis que l'hôtel de Nevers fut affecté à la Bibliothèque royale en 1721, lorsque la Banque fut supprimée. Dès qu'il eut l'hôtel Mazarin, Law y fit de grands remaniements et notamment reconstruire la porte d'entrée (A. Vitu, La Maison mortuaire de Molière, p. 189-194; Le Cabinet historique, tome III, 1857, p. 135-137; Piganiol de la Force, Description de Paris, édition 1765, tome III, p. 57-58; Dangeau, p. 163; Journal de Buvat, tome I, p. 462).

3. Dans la rue Sainte-Avoye (tome XVIII, p. 109); nous avons vu le duc du Maine l'habiter en 1716 (tome XXIX, p. 325).

4. Après place, Saint-Simon a biffé de Pr Pt.

5. Cet hôtel a été nommé dès le début des Mémoires: tome II, p. 75; voyez aussi tome XV, p. 346.

6. Dangeau écrivait le 21 novembre: « M. Law a acheté un million l'hôtel Mazarin, et, outre cela, il achète la maison du comte de Tessé cinq cent cinquante mille livres, et la prête pour deux ans à M. de Mazarin sans intérêts, afin que M. de Mazarin eût le loisir d'en faire bâtir une autre pendant ce temps-là. » Le comte de Tessé, René-Mans de Froullay, était le fils aîné du maréchal (tome VII, p. 24), et avait épousé

Mort

Conflans', homme de beaucoup d'esprit et de savoir, mourut assez jeune1. Il exerçoit une des deux charges de de Conflans; premier gentilhomme de la chambre de M. le duc d'Orléans pour le fils encore enfant d'Armentières, son frère, qui l'avoit, et cet enfant après sa mort'. Le chevalier de Conflans, troisième frère, en eut l'exercice"; très savant aussi, avec beaucoup d'esprit.

Le fameux P. Quesnel mourut à Amsterdam où la persécution l'avait fait retirer. Si la violence lui avoit refusé d'être écouté sur son livre si singulièrement condamné par la constitution Unigenitus, et refusé plusieurs fois, malgré toutes ses instances, ses lettres au Pape, et toute la soumission la plus entière, chose qu'on ne refuse pas aux hérétiques ni aux hérésiarques, qu'on presse même de s'expliquer, il eut au moins la consolation d'avoir vécu et de mourir en bon catholique, et de faire en mourant une profession de foi qui fut aussitôt rendue publique, et qui se trouva tellement orthodoxe qu'on ne put jamais

Mlle Bouchu. Nous n'avons pu trouver où il demeurait, ni l'acte de cette acquisition.

1. Alexandre-Philippe, marquis de Conflans: tome III, p. 336. 2. Il mourut le 2 décembre (Gazette, p. 600; Dangeau, p. 167); il n'avait que quarante-deux ans.

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3. C'est-à-dire que cet enfant avait la charge après la mort de son père. Lorsque, en 1717, Saint-Simon avait annoncé la mort d'Armentières (tome XXXI, p. 178-179), il n'avait pas dit que M. de Conflans n'exerçait la charge qu'à la place de son jeune neveu, Louis de Conflans, marquis d'Armentières (tome XXII, p. 142).

4. Philippe-Alexandre, chevalier, puis bailli de Conflans: tome III, p. 337.

5. C'est Dangeau qui dit cela, p. 168, et qui ajoute que M. de Conflans s'était beaucoup enrichi au Système.

6. Il mourut le 2 décembre, à quatre-vingt-quatre ans. Notre Gazette ne mentionna pas cette mort; Dangeau la nota dans son Journal, p. 169, et les gazettes de Hollande durent en parler; mais les exemplaires que nous avons pu consulter des Gazettes d'Amsterdam, de Rotterdam et de Leyde étant malheureusement incomplets pour le mois de décembre, il nous a été impossible de nous en assurer.

MÉMOIRES DE SAINT-SIMON. XXXVI

du célèbre

P. Quesnel; [Add SS. 1617 et 1618]

de Blécourt,

obtient le

de

y toucher'. Ce savant homme, et si éclairé, s'est acquis une si grande réputation partout, que je ne m'y étendrai pas davantage. Il avoit plus de quatre-vingts ans et travailloit toujours dans la solitude, la prière et la péni

tence.

Blécourt mourut fort vieux2. C'étoit un ancien officier dont Louville fort attaché au maréchal d'Harcourt, qui l'avoit mené avec gouvernement lui en Espagne. Il y fut chargé des affaires du Roi pendant les absences d'Harcourt, et il étoit seul à Madrid à la mort de Charles II, comme on l'a vu ici en son temps3. Le gouvernement de Navarrenx qu'il avoit, fut donné à Louville 5.

Navarrenx;

de la princesse de Guémené.

Retour

La princesse de Guémené, qui étoit Vaucellas, mourut en même temps encore assez jeune”.

Le maréchal de Berwick, qui avoit fini sa campagne

1. Dangeau dit que cette profession de foi fut insérée dans les gazettes de Hollande; elle fut reproduite dans une courte brochure in-12, qui parut dès 1719, intitulée Relation abrégée de la maladie et de la mort du P. Pasquier Quesnel et dont l'auteur serait Jacques Fouillou, d'après la Bibliothèque historique du P. Lelong; on publia aussi une Apologia, en vers latins, et une sorte de placard intitulé Circonstances principales de la vie du R. P. Quesnel et ses principaux écrits: voyez les Mémoires de Mathieu Marais, tome 1, p. 286287.

2. Jean-Denis, marquis de Blécourt: tome VII, p. 123. On ignore la date exacte de sa mort, que Dangeau relate au 13 décembre (p. 181). 3. Voyez notre tome VII, p. 123, 211-212, 248, 288, 291-293 et 316-317.

4. Tome XVIII, p. 207. Blécourt avait eu ce gouvernement en 1703: ibidem, p. 206, note 3. Saint-Simon écrit Navarrins.

5. Pour le récompenser des pensions qu'il touchait de l'Espagne, dit Dangeau, et que Philippe V lui avait retranchées.

6. Charlotte-Élisabeth de Cochefillet de Vaucellas: tome V, p. 260. 7. Elle mourut le 24 décembre, à soixante-deux ans (Gazette de 1720, p. 11). Elle se trouva mal dans son carrosse, en revenant de la messe, et expira en arrivant chez le prince de Rohan, où elle allait (Dangeau, p. 189; Buvat, p. 477). Certaines généalogies ne lui donnent que cinquante-sept ans. Son portrait en Diane se trouve dans les gravures de mode de Bonnart.

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