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que cette bagatelle excita, dont chacun se tint offensé. On ne parla d'autre chose pendant quelques jours, et sans ménagement, non sans quelques éclaboussures sur quelques autres du ballet'. Enfin le public fut content: la petite vérole prit au fils de Law, et à cause du ballet, dont il ne pouvoit plus être, ce fut une joie publique 2. [Add SS. 1638] Ce ballet fut dansé plusieurs fois3, et le succès ne répondit en rien aux desirs du maréchal de Villeroy : le Roi fut si ennuyé et si fatigué d'apprendre, de répéter et de danser ce ballet, qu'il en prit une aversion pour ces fêtes et pour tout ce qui est spectacle, qui lui a toujours duré depuis, ce qui ne laisse pas de faire un vuide dans une cour, en sorte qu'il cessa plus tôt qu'on ne l'avoit résolu, et que le maréchal de Villeroy n'en osa plus proposer depuis.

Force grâces

J'obtiens

M. le duc d'Orléans, par sa facilité ordinaire, ou pour pécuniaires. adoucir au monde la nouvelle élévation de Law à la place de contrôleur général, fit quantité de grâces pécuniaires : d'augmentation il donna six cent mille livres à la Fare, capitaine de ses

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1. Tout ceci semble fort exagéré.

2. La sœur du jeune Law ayant été prise de la rougeole, dont il y avait alors une grave épidémie à Paris, on craignit la contagion pour le jeune Roi; Saint-Simon, emporté par sa passion, lit mal Dangeau (p. 229). Notre auteur se garde bien de dire que son fils aîné, le duc de Ruffec, fut également malade (ibidem, p. 235), et ne put danser.

3. Les 7, 10, 17, 21 et 24 février. Dangeau (p. 199 et 218-240 passim) fait beaucoup d'éloges de la danse du jeune roi, et Caumartin de Boissy écrit à la marquise de Balleroy (tome II, p. 118): « Le Roi a dansé dans la dernière perfection. » Le correspondant de la Gazette d'Amsterdam lui écrivait de Paris le 9 février (no XIV): « Avant-hier, on représenta au palais des Tuileries la comédie de l'Inconnu, entremêlée de ballets, où S. M. a dansé avec beaucoup de grâce, de même que le duc de Chartres et divers seigneurs de la cour »; voyez aussi l'Extraordinaire Ix de la même gazette, et le Mercure de février, p. 182-186. C'était Lalande qui avait composé les « divertissements >> et Ballon qui réglait les danses. Le 21 février, les gens du Roi au Parlement furent invités à la représentation et y assistèrent en robes (Archives nationales, U 363).

d'appointe

ments

sur mon

de Senlis,

qui n'en valoit

que trois mille.

gardes; cent mille à Castries, chevalier d'honneur de Mme la duchesse d'Orléans; deux cent mille livres au vieux prince de Courtenay, qui en avoit grand besoin; gouvernement vingt mille livres de pension au prince de Talmond; six mille livres à la marquise de Bellefonds, qui en avoit déjà une pareille', et, à force de cris de M. le prince de Conti, une de soixante mille livres au comte de la Marche, son fils, âgé à peine de trois ans. Il en donna encore de petites à différentes personnes. Voyant tant de déprédation et nulle vacance à espérer, je demandai à M. le duc d'Orléans d'attacher douze mille livres en augmentation d'appointements à mon gouvernement de Senlis, qui ne valoit que mille écus, et dont mon second fils avoit la survivance3, et je l'obtins sur-le-champ*.

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Tout ce que je voyois de jour en jour du gouvernement et des embarquements de M. le duc d'Orléans, au dedans et au dehors, m'affligeoit de plus en plus, et me convainquoit de plus qu'il n'y avoit de remède que par le conseil étroit que je lui avois proposé, tel qu'on l'a vu

1. Dangeau annonce les grâces faites à la Fare et à M. de Castries le 10 janvier (p. 204); le 1er février la pension du prince de Talmond, avec cent mille écus pour payer ses dettes (p. 222); le lendemain, les quatre mille livres (et non six) de pension à Mme de Bellefonds (p. 224); enfin, le 6 février, les deux cent mille livres de M. de Courtenay (p. 229), qui préféra cela à vingt mille livres de pension. Tous ces gros présents étaient en papier de la Banque.

2. Brevet du 15 février (Archives nationales, reg. 01 64, fol. 46; Dangeau, p. 235).

3. Dès la fin de 1715: notre tome XXIX, p. 122 et note 8.

4. « On assure que M. le duc de Saint-Simon a obtenu pour le cadet de ses enfants une augmentation considérable d'appointements pour le gouvernement de Senlis qu'il lui a cédé » (Dangeau, p. 231, 14 mars). L'arrêt du Conseil du 4 mars, qui lui accorde dorénavant six mille livres d'appointements comme gouverneur et six mille comme bailli de Senlis, est dans le registre E 2012 des Archives nationales. Il obtint en outre, le même jour, une ordonnance de paiement de douze mille livres d'appointements arriérés (reg. O1 64, fol. 58 vo).

5. Expression déja rencontrée dans le précédent volume, p. 6.

Je fais les derniers efforts

pour un conseil étroit, fort inutilement.

p.

24321. Plus j'en sentois la difficulté par la légèreté de M. le duc d'Orléans et par l'intérêt capital de l'abbé Dubois, si fort devenu son maître, plus j'y insistois souvent, quoique je me retirasse de tout le plus qu'il m'étoit possible, et que M. le duc d'Orléans m'y donnât beau jeu pour complaire à la jalousie de Dubois, qui craignoit tout, et moi sur tous autres. J'allai même jusqu'à presser M. le duc d'Orléans de mettre dans ce conseil étroit le duc de Noailles, Canillac, et tout ce qu'il me savoit le plus opposé, non pas que j'estimasse leur probité ni leur capacité, comme je le lui dis, mais pour lui marquer à quel point je croyois cet établissement important et pressant à faire, et que, tels que fussent ceux que je lui nommois, j'aimerois mieux les y voir, et que ce conseil fût établi. L'argument étoit pressant; aussi M. le duc d'Orléans en fut-il surpris et embarrassé, parce qu'il en sentit toute la bonne foi de ma part, conséquemment toute l'énergie. Il ne se défendoit point, mais tiroit de longue'. Je revenois de temps en temps à la charge. Une des dernières fois que je le pressois le plus, et qu'il ne savoit que répondre, et c'étoit encore en nous promenant tous deux dans sa petite galerie, devant son petit cabinet d'hiver3, il se tourna tout d'un coup à moi, et me dit avec quelque vivacité: « Mais vous me pressez toujours là-dessus ; vous voulez ce conseil à tel point que vous consentez que j'y mette qui je voudrai, jusqu'à ceux que vous haïssez le plus, et vous, vous n'en voulez pas être; franchement, n'est-ce point que vous sentez qu'il sera pour le moins aussi bon et plus sûr de n'en avoir point été quand le Roi sera devenu grand? » A l'instant je lui saisis le bras, 1. Tome XXXVI, p. 359 et suivantes.

2. Locution déjà rencontrée aux tomes VIII, p. 222, et XXIX, p. 161, etc.

3. Saint-Simon a déjà parlé du petit cabinet d'hiver du Régent, mais pas de cette petite galerie. Nous sommes fort mal renseignés sur la disposition des appartements du Palais-Royal à cette époque et sur les noms qu'on leur donnait alors.

et', d'un ton bien ferme, en le regardant entre deux yeux, je lui répondis: « Oh! Monsieur, puisque cette idée vous entre dans la tête, je vous demande d'être de ce conseil, et je vous déclare que j'en veux être. Je vous ai toujours dit que je n'y voulois point entrer, parce que je vous connois, que vous auriez cru que je ne vous proposois et pressois d'établir ce conseil étroit que parce que, tout devant y passer, je voulois augmenter par là mon autorité, mon crédit, et me mêler avec poids de toutes les affaires à mon sens et à mon gré, et que cette opinion vous auroit éloigné d'un établissement si nécessaire, dans votre idée que je ne vous le proposois et vous en pressois que pour mon intérêt particulier; au lieu que, n'en voulant pas être, je vous ôtois toute défiance d'intérêt particulier, que, par cela même, je donnois plus de poids à ma proposition, et qu'elle devoit vous sembler d'autant plus pure, que ni vous ni moi ne pouvions pas nous dissimuler que, faisant ce conseil et ne m'en mettant pas, c'étoit ' pour moi un dégoût public, une diminution très grande, très marquée, très publique de ma situation auprès de vous, parce que peu de gens sauroient que je n'en avois pas voulu être, et que, entre ce peu-là, la plupart seroient persuadés que c'étoit un discours, et qu'en effet je n'avois pu y entrer. Mais, puisque votre défiance se tourne du côté que vous me la montrez, je vous répète que je veux être de ce conseil, que je vous le demande, et que, dès que je fais tant que d'insister auprès de vous pour y entrer, vous ne pouvez me le refuser. Reste donc à nommer les trois autres. Il y a longtemps que je vous presse de le composer; toutes vos réflexions sur le choix doivent être faites. Nommez-les donc, et, au nom de Dieu, finissons ce

1. Après et, notre auteur a biffé luy répondis, qui se retrouvera plus loin.

2. Idée est en interligne, au-dessus d'opinion, biffé.

3. Avant c'estoit, Saint-Simon a ajouté en interligne un que inutile, que nous supprimons.

Mariage de Soyecourt avec Mlle de Feuquières.

qui devroit être fini et établi huit jours après que je vous en ai parlé la première fois. » Il demeura atterré et immobile, honteux, je crois, de m'avoir montré une défiance si injuste, pour ne dire pis, et si nettement repoussée, plus embarrassé encore entre la salubrité de ce dont je le pressois, contre laquelle il sentoit qu'il n'avoit aucune sorte de raison à opposer, et l'intérêt radicalement contraire de l'abbé Dubois, qui n'oublioit rien pour l'en empêcher, et qui le tenoit très et trop réellement dans ses fers. J'insistai encore d'autres fois pour cet établissement, et toujours depuis cette conversation pour en être, et toujours inutilement. A la fin je m'en lassai', et abandonnai la barque aux courants. J'ai rapporté de suite ce qui se passa là-dessus à diverses reprises, pour n'avoir point à revenir inutilement sur une chose qui n'a point eu d'exécution.

Mme la princesse de Conti' fit le mariage de la fille unique de Mme de Feuquières, sa dame d'honneur', avec Boisfranc, du nom de son père, frère de la défunte femme du duc de Tresmes", qui se faisoit appeler Soyecourt, dont les mariages étoit sa mère, qui, mariée pour rien à ce vilain, hérita,

Réflexions

sur

1. Il y a laissay, par mégarde, dans le manuscrit.

2. La fille de Mlle de la Vallière, celle qu'on appelait la «< première douairière ».

3. La marquise de Feuquières était Marie-Madeleine-Thérèse-Geneviève de Monchy-Hocquincourt (tome X, p. 95); elle n'était que depuis 1717 dame d'honneur de la princesse de Conti. Sa fille, Pauline-Chrysante ou Corisande de Pas-Feuquières, a été nommée au même endroit (p. 96). Il a été parlé par avance de ce mariage et de ses suites dans le tome XX, p. 249-251. Il fut célébré le 21 janvier : Dangeau, p. 216.

4. Joachim-Adolphe de Seiglière de Boisfranc, titré marquis de Soyecourt tome XX, p. 250.

5. Timoléon-Gilbert de Seiglière de Boisfranc (ibidem), dont la sœur, Marie-Madeleine-Geneviève-Louise (tome VI, p. 412), morte en 1702, avait épousé Bernard-François Potier, duc de Tresmes ou de Gesvres (tome V, p. 162).

6. Saint-Simon écrit Saucourt, comme on prononçait.

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