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rage de sa folie et de sa félonie, du malheur d'avoir une femme capable de conspirer, et assez hardie pour le mettre de tout sans lui en avoir jamais parlé, le faire criminel sans qu'il le fût le moins du monde, et si fort hors de tout soupçon des menées de sa femme, qu'il étoit resté hors d'état de les arrêter, de lui imposer, d'avertir même M. le duc d'Orléans, s'il eût trouvé les choses poussées au point de le devoir faire. Dès lors, le duc du Maine ne voulut plus ouïr parler d'une femme qui, à son insu, avoit jeté lui et ses enfants dans cet1 abime, et, quand, à leur sortie de prison, il leur fut permis de s'écrire et de s'envoyer visiter, il ne voulut rien recevoir de sa part, ni lui donner aucun signe de vie. Mme du Maine s'affligeoit en apparence du traitement qu'elle en recevoit, en avouant toutefois combien elle étoit coupable envers lui de l'avoir engagé à son insu et trompé de la sorte. Ils en étoient là ensemble, quand on les rapprocha de Paris. Le duc du Maine alla demeurer à Clagny, château bâti autrefois tout près de Versailles pour Mme de Montespan, et Mme du Maine à Sceaux. Ils virent ensuite M. le duc

Maine; mais nous savons par les Mémoires de Mme de Staal, tome II, p. 25-26, que Mme du Maine trouva moyen de lui faire passer à la Bastille, à elle et à Malezieu, une copie de sa déclaration, « pour qu'ils pussent y conformer ce qu'ils auroient à dire »>.

1. Il y a cette par erreur, dans le manuscrit.

2. Tout cela est confirmé par Mme de Staal (Mémoires, tome II, p. 21-25).

3. Tome VI, p. 6.

4. C'est à la fin de décembre 1719 que le Régent rendit la liberté au duc et à la duchesse du Maine. Le mari arriva à Clagny le 8 janvier (Gazette d'Amsterdam, 1720, no vi), et la femme à Sceaux, le 12, après s'être arrêtée à Petitbourg chez le duc d'Antin (Dangeau, p. 192, 199 et 205). De Sens, elle écrivit le 6 janvier au Régent une lettre de remerciement que Lémontey a publiée dans les Pièces justificatives du tome II de l'Histoire de la Régence, p. 417, et dont l'original a passé en vente publique le 13 juillet 1878, no 113 du Catalogue. Le greffier du Parlement en notant cette permission de retour au 5 janvier sur son mémorial particulier (Archives nationales, U 363) ajoutait «< ce

d'Orléans séparément, sans coucher à Paris, où ils soutinrent chacun leur personnage', et, comme l'abbé Dubois avoit jugé que le temps étoit venu de se donner auprès d'eux le mérite de finir leur disgrâce, tout fut bon auprès de M. le duc d'Orléans, qui voulut bien leur paroître persuadé de l'ignorance du duc du Maine. Pendant leur séjour en ces deux maisons de campagne, où ils ne virent que fort peu de gens', Mme du Maine se donna pour faire diverses tentatives auprès du duc du Maine, et lui pour les rebuter. Cette farce dura depuis le mois de janvier, qu'ils arrivèrent à Sceaux et à Clagny, jusque tout à la fin de juillet. Alors ils crurent que le jeu avoit [Add SS. 1630] assez duré pour y mettre une fin. Ils s'en étoient trouvés quittes à si bon marché, et comptoient tellement sur l'abbé Dubois, qu'ils pensoient déjà à se remonter en grande partie, et, pour y travailler utilement, il falloit être en mesure de se voir et de se concerter, et commencer par

qui a fait plaisir à tous les honnêtes gens ». La lettre du 13 janvier 1720 de la duchesse du Maine au Régent pour réclamer sa liberté entière, que Lémontey a publiée dans son tome II, p. 418-420, est en original autographe au Dépôt des affaires étrangères, vol. Espagne 309, fol. 185. Nous donnons à l'appendice III diverses lettres du duc du Maine écrites pendant sa captivité et après son retour.

1. Dangeau, 23 mars, p. 255 : « M. le duc d'Orléans alla le matin à Saint-Cloud, où M. le duc du Maine l'alla trouver. On ne sait rien de ce qui s'est passé entre eux; mais il paroît que le duc du Maine en est content. » Et le 5 avril, p. 264 : « Mme la duchesse du Maine alla au Palais-Royal et fut quelque temps avec S. A. R.... Cette princesse est sortie fort contente de cette conversation; elle a permission de demeurer à Paris et partout où il lui plaira; mais elle ne sera point contente qu'elle n'ait vu M. du Maine. Elle espère le voir bientôt et qu'il se rendra à toutes les instances qu'elle fait pour cela. » Mme de Staal (Mémoires, tome II, p. 47) confirme l'obstination du duc du Maine à ne point vouloir voir sa femme.

2. Dangeau dit au contraire que le duc du Maine eut beaucoup de visites (p. 205); pour la duchesse, on ne pouvait aller à Sceaux qu'avec une permission de Madame la Princesse, qui aimait mieux qu'on ne la demandât pas et la refusait souvent (p. 209). Mme du Maine ne pouvait guère quitter Sceaux (p. 221-222).

pouvoir être à Paris comme ils voudroient, où ils ne pouvoient pas ne pas loger ensemble.

L'apparente brouillerie avoit été portée jusqu'à ce point que les deux fils du duc du Maine, revenus d'Eu à Clagny peu de jours après lui, furent longtemps sans aller voir Mme du Maine', et ne la virent depuis que très rarement, et sans coucher à Sceaux. Enfin, le parti pris de mettre fin à cette comédie, voici comme ils la terminèrent par une autre. Madame la Princesse prit un rendez-vous avec le duc du Maine, le dernier juillet, à Vaugirard, dans la maison de Landais, trésorier de l'artillerie; elle y arriva un peu après lui avec la duchesse du Maine, qu'elle laissa dans son carrosse. Elle dit à M. du Maine qu'elle avoit amené une dame qui avoit grand envie de le voir. La chose n'étoit pas difficile à entendre; le concert étoit pris ; ils mandèrent la duchesse du Maine. L'apparent raccommodement se passa entre eux trois. Ils furent longtemps ensemble3. Un

1. Ils n'arrivèrent à Clagny qu'en février et, au contraire, allèrent voir leur mère peu après (Dangeau, p. 234).

2. Étienne Landais de Montroy avait succédé à son père comme trésorier général de l'artillerie et avait réuni sur sa tête en 1688, 1690 et 1691 les trois charges de trésorier ancien, alternatif et triennal. Sa maison de Vaugirard, assez ancienne bâtisse du seizième siècle dans un enclos de vingt-cinq arpents, était située entre la grande rue de Vaugirard et le sentier Blomet, un peu plus loin que l'endroit où débouchait la rue de la Procession; elle avait appartenu en 1672 à Richard, maître des postes étrangères, puis à Berthelot de Pléneuf, de qui Landais l'avait achetée; le cardinal de Gesvres la possédait en 1734 (Lucien Lambeau, Vaugirard, 1912, p. 387, avec un plan de 1734).

3. Tout ceci est la paraphrase peu développée de l'article de Dangeau du 1er août (p. 331); comparez les Mémoires de Mme de Staal, p. 47-48, qui semble bien dire qu'il y avait de l'entêtement de la part du prince. Madame écrivait le 18 juin (recueil Brunet, tome II, p. 247) que la duchesse du Maine était venue prier le Régent de la raccommoder avec son mari, et qu'il lui avait répondu que cela dépendait d'elle plutôt que de lui. La scène est racontée avec plus de détails dans le Journal inédit de Brillon, intendant du prince: voyez En marge de la conspiration de Cellamare, par H. Soulange-Bodin, dans l'Annuaire-Bulletin de la Société de l'histoire de France, 1925.

reste de comédie les tint encore séparés, mais se voyant et se rapprochant par degrés, jusqu'à ce qu'à la fin le duc du Maine retourna demeurer à Sceaux avec elle1.

Pendant ces six mois, on acheva peu à peu de vider la Bastille des prisonniers de cette affaire, dont quelquesuns furent légèrement et courtement exilés?. Laval fut plus maltraité, ou, pour mieux dire, le moins bien traité. Il avoit été l'âme au dehors de toute la conspiration, et dans tout le secret du duc et de la duchesse du Maine, qui en dit assez dans ses interrogatoires, c'est-à-dire dans le peu de ceux qui furent lus au conseil de régence, et sur lesquels l'avis ne fut demandé à personne, et où personne aussi n'opina, pour prouver complétement cela contre lui3. Aussi sortit-il de la Bastille enragé contre elle, et ne le lui a pas pardonné, dont elle se soucia aussi peu que font tous les princes et princesses, quand ils n'ont plus besoin des gens, parce qu'ils se persuadent que tout est fait pour eux, et eux uniquement pour euxmêmes. Le courant de la vie dans tous les temps et les conspirations de tous les siècles en sont la preuve et la leçon.

1. Mémoires de Staal, p. 48. En effet, M. du Maine, tout en allant à Sceaux de temps en temps, resta installé à Clagny, au moins jusqu'en juillet 1722, ainsi qu'on le voit par sa correspondance, et ne revint définitivement à Sceaux qu'après cette date.

2. Dès le 5 janvier, on relâcha le marquis de Pompadour, qui fut exilé dans son pays pour quelque temps, le chevalier de Menil, et les laquais et femmes de chambre de Mme du Maine; Malezieu père sortit le 2 février. Mlle de Launay ne fut mise en liberté que le 5 juin; ses refus de parler aux interrogatoires, la déclaration vague qu'elle ne se décida à faire que sur l'ordre de la duchesse du Maine, furent la cause de cette sévérité (ses Mémoires, tome II, p. 13-39). Le marquis de SaintGeniès resta aussi en prison plus longtemps; mais ce fut l'abbé Brigault qui sortit le dernier; il ne fut libéré que le 30 septembre 1721 ; peut-être l'avait-on oublié. Voyez Funck-Brentano, Les Lettres de cachet et les prisonniers de la Bastille, qui donne toutes ces dates.

3. M. de Laval ne fut relâché que le 10 janvier 1721, malgré les instances de Mme du Maine (Dangeau, p. 264 et 267; Mémoires de Villars, tome IV, p. 136, et l'ouvrage de Funck-Brentano).

Changement de dame d'honneur de Madame la Duchesse la jeune ; pourquoi raconté. Caractère

de M. et de

On ne s'aviseroit pas de faire ici mention du changement des domestiques de l'hôtel de Condé, si elle ne servoit à montrer l'étrange contraste de la conduite des gens de qualité la plus distinguée, ainsi que de celle de ceux qui en sont les singes: conduite si nouvelle, et en contraste si grand et si public avec elle-même. On a vu en son lieu à quel point le duc et la duchesse du Maine Mme de Pons. les avoient enivrés', et jusqu'à quelles folies ils les avoient jetés en se moquant d'eux pour arriver à leur but personnel, avec toute cette gloire dont M. et Mme du Maine avoient fait leur instrument pour les tromper et les conduire en aveugles. La femme de l'aîné de la maison de Montmorency, de laquelle Monsieur le Prince, père du [Add. SS. 1631] héros, étoit gendre, et dont les dépouilles ont constitué ses grands biens, étoit dame d'honneur de Madame la Duchesse la jeune, et y eut tant de dégoûts, qu'elle se retira. Il est vrai que son mari étoit pauvre en tout genre, et elle, avec beaucoup de mérite, de très petite étoffe 5. Mme de Pons lui succéda avec empressement. Son [Add. S'S. 1632] mari étoit l'aîné de cette grande et illustre maison de Pons, mais si pauvre, que M. de la Rochefoucauld, le favori de Louis XIV, prit soin de lui jusqu'à son logement, son vêtement et sa nourriture. Il avoit de la grâce, une éloquence naturelle, beaucoup d'esprit et fort orné ; beaucoup de politesse, mais à travers laquelle transpiroit,

1. Lors des affaires de la noblesse contre les ducs: tomes XXXI, p. 194 et suivantes, et XXXIII, p. 139-140.

2. Marie-Madeleine-Jeanne Poussemotte de Lestoille, mariée à Léon de Montmorency-Fosseux: tome XXXI, p. 203; voyez ci-après aux Additions et Corrections.

3. Henri II de Bourbon, prince de Condé, avait épousé CharlotteMarguerite de Montmorency, fille du second connétable, d'une branche cadette des Fosseux.

4. En octobre 1713, pour raisons de santé, dit Dangeau, tome XIV, p. 438; voyez notre tome XXXI, p. 203.

5. Fille d'un président aux requêtes du Palais.

6. Tout cela a déjà été dit, et l'historique qui va suivre déjà fait, dans le tome XXXI, p. 201-204.

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