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Finances.

CHAPITRE VI

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Suppression de la dime. Résolutions décrétées dans la nuit du 4 au 5 août.— Famine. —Droits de l'homme.— Partis dans l'assemblée. - Véto. Succession à la couronne.

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Sanction

royale non entière. Emprunt de confiance. — Repas des gardesdu-corps. Evénemens des 5 et 6 octobre.

PENDANT que les représentans de la France fondaient nos libertés, de grands troubles ne cessaient d'agiter les provinces, les élémens de l'ordre tombaient en dissolution. Le peuple acceptait tous les bienfaits comme des droits reconquis, profitait avec empressement des avantages de la révolution, et refusait de se soumettre aux conditions imposées par des lois qui lui semblaient mettre des limites à ses exigences. Le 7, les ministres vinrent à l'Assemblée nationale; le garde des sceaux, leur interprète, après une peinture énergique de la situation du royaume, finit par demander à l'assemblée d'accorder au gouvernement les moyens de défendre la propriété et la sûreté publiques partout violées. A ce tableau déjà si sombre succéda le rapport de M. Necker, qui venait supplier l'assemblée de l'aider à rétablir les finances de l'état, tombées dans une espèce de ruine qui allait devenir irréparable, si l'on ne s'empressait de remédier au mal par les plus promptes et

les plus énergiques mesures. Le ministre, pénétré d'une véritable affliction, proposait de voter un emprunt de trente millions.

Les discours de l'archevêque de Bordeaux et de M. Necker étaient remplis de déférence pour l'assemblée; mais une inquiétude visible tourmentait les ministres qui, au milieu des débris de tous les pouvoirs, ne savaient plus sur quoi s'appuyer. Soit ignorance, soit fol enthousiasme, plusieurs membres, entre autres Clermont-Lodève, proposèrent de voter l'emprunt par acclamation. Cette proposition ne fut point appuyée par l'assemblée. Mirabeau, ennemi juré de Necker, qui craignait le talent du tribun et le méprisait à cause de ses mœurs dépravées, réclama l'absence des ministres; ils se retirèrent. Alors s'engagea une discussion vive et prolongée : les uns soutenaient que les emprunts, plus onéreux au peuple que les autres impôts, ouvraient la porte à l'agiotage, plaie des états modernes, jeu terrible et fatal pour tout le monde, excepté pour quelques capitalistes sans entrailles; ils ajoutaient qu'aux termes formels des cahiers, les représentans du peuple n'avaient pas le droit de voter de nouveaux subsides, sous quelque forme que ce fût, avant d'avoir mis la dernière main à la constitution.

Barnave répondit à Lally-Tollendal, qui avait invoqué en faveur de l'emprunt l'honneur national, la sainteté de la foi publique, le danger de Paris et la suprême loi du salut de l'état : « Les emprunts n'ont réussi jusqu'à présent qu'à ruiner le pays.... Il est une vérité de fait, c'est que la masse des impôts ne peut être accrue le peuple les repousse, il se refuse à leur paiement. Comment pouvezvous vous flatter qu'en les multipliant et les augmentant encore, ils seront perçus plus facilement ?

Mirabeau, reconnaissant que l'emprunt était nécesaire, mais que pourtant la lettre des mandats était impérative, dit : « Je n'hésite pas à vous proposer que l'emprunt des

trente millions actuellement nécessaires au gouvernement soit fait sur l'engagement des membres de cette assemblée, chacun pour la somme dont ses facultés permettront de se rendre responsable envers les prêteurs, somme dont nous ferons incessamment la souscription entre les mains de notre président, pour être remise à sa majesté, et servir de caution à l'emprunt de trente millions dont ses ministres demandent l'autorisation à l'assemblée!...

« Vous n'hésiterez pas, messieurs, à prendre le noble parti que je vous propose; et, si vous éprouvez à cet égard quelque doute, il viendra de la crainte de n'être généreux qu'en apparence, tant il y a lieu de croire que la nation se hâtera de vous relever de vos engagemens!

Mais n'avons-nous pas d'autres ressources? s'écrie le marquis de La Coste : les biens du clergé ne peuvent-ils. pas servir de caution aux prêteurs? Lameth soutint l'affirmative. Mais enfin l'assemblée accorda l'emprunt sans donner de garantie, en réduisant toutefois l'intérêt à quatre et demi pour cent, sur la proposition du vicomte de Noailles et de Delaville-le-Roux : c'était créer un emprunt illusoire et faire une faute grave. La clause de l'intérêt à quatre et demi pour cent fit échouer le projet de Necker :. on refusa d'acheter, parce que sur la place il y avait des fonds au même titre, avec la même garantie, et dont le taux de l'intérêt était plus élevé d'un dixième (1). On en revint à la délibération de la nuit du 4 août. Quatre articles étaient déjà convertis en décret, lorsque la discus

(1) Ce fut le 9 août, après deux jours de discussion, que l'assemblée décréta l'emprunt demandé. Les conditions propesées par le ministre étaient : 1o l'intérêt à cinq pour cent; 2o le remboursement à telle époque qui serait demandée par chaque prêteur à la tenue suivante des Etats-Généraux; 3° que ce remboursement fût placé en première ligne dans les arrangemens à prendre pour l'établissement d'une caisse d'amortissement; 4o que la liste des souscripteurs de cet emprunt patriotique fût communiquée à l'assemblée et conservée dans ses registros.

sion s'éleva ardente et emportée au sujet de la dîme. Il est vrai que les tiers ne se contentait plus de la possibilité de se délivrer des dîmes en les rachetant: il en demandait la suppression entière, immédiate et sans rachat.

Če furent M. Chasset et M. de Mirabeau qui soutinrent cette discussion contre l'abbé Sieyes. Jamais ce froid, mais habile orateur, ne fut plus concis et plus clair; jamais sa pensée, toujours abstraite, ne revêtit des formes plus logiques. L'auteur de la brochure : Qu'est-ce que le tiers ? n'avait point cette éloquence incisive et véhémente qui entraîne les majorités; sa voix ne parlait pas aux cœurs de ceux qui l'écoutaient: il pouvait convaincre une assemblée, mais jamais la dominer. Sa véritable puissance était l'enchaînement des idées. Pour le vaincre, il fallait attaquer les prémisses de ses discours, ou bien subir en silence les conséquences qu'il en déduisait avec un esprit de suite et de méthode, qui ne laissait pas de place à la réplique. Il fallait renoncer à trouver une ouverture dans cette cotte de mailles serrée, impénétrable.

L'abbé Sieyes disaît que, puisque l'état se chargeait de payer les prêtres, la dîme se trouvait, il est vrai, rachetée; mais que c'était une grande injustice que de faire supporter à la nation tout entière une dette qui ne pesait que sur les propriétaires fonciers, et ne frappait ainsi que la classe aisée. Elle ne pouvait pas se plaindre, puisqu'elle avait acheté les terres en connaissant la clause de la dime, et que les possesseurs n'avaient réellement payé que la propriété agricole, moins cette dime. Ce fut dans cette discussion qu'étant interrompu par des murmures, il prononça ces paroles tant répétées depuis: «Ils veulent être libres, ils ne savent pas être justes! »

Mirabeau, qui quelquefois faisait triompher même les causes mauvaises, ne perdit point une occasion si décisive l'augmenter sa puissance personnelle, et d'affranchir le sol

français; il répondit à l'abbé défenseur des droits du clergé :

<< La dîme n'est point une possession, mais une contribution destinée à cette partie du service public qui concerne les ministres des autels; c'est le subside avec lequel la nation salarie les officiers de morale et d'instruction. » L'idée de salaire souleva de violens murmures. « Je ne connais, dit le tribun avec ironie, que trois manières d'exister dans la société : il faut être mendiant, voleur, ou salarié, et je ne vois pas de raison pour que les propriétaires seuls paient, salaríent les serviteurs de l'Eglise.

Dans le cours de la discussion, une vingtaine d'ecclésiastiques, regardant ainsi que Mirabeau la conversion de la dîme en argent comme onéreuse au peuple, en avaient fait individuellement l'abandon. `

Nous en étions au 10 août; l'aspect de la salle indiqua assez au clergé qu'il était temps de se prononcer et de consommer le sacrifice avant que la majorité ne le lui ordonnât.

Au commencement de la séance du 11, l'archevêque de Paris acheva de faire oublier tout ce que cette discussion avait soulevé de récriminations.

« Au nom de mes confrères, au nom de mes coopérateurs et de tous les membres du clergé qui appartiennent à cette auguste assemblée, et en mon nom personnel, messieurs, nous remettons toutes les dimes ecclésiastiques entre les mains d'une nation généreuse et juste. Que l'Evangile soit annoncé, que le culte divin soit célébré avec décence et dignité, que les églises soient pourvues de pasteurs vertueux et zélés, que les pauvres du peuple soient secourus, voilà la destination de nos dimes; voilà la fin de notre ministère et de nos vœux. Nous nous confions dans l'Assemblée nationale, et nous ne doutons pas qu'elle nous procure les moyens de remplir dignement des objets aussi respectables et aussi sacrés. >>

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