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l'Assemblée nationale suivaient le roi, qui rencontra à Sèvres la garde parisienne.

En quittant son palais de Versailles, Louis y avait laissé le deuil et le désespoir. La reine envoya chercher plusieurs personnes de la cour: on trouva des cadenas à toutes les portes. Ingratitude et lâcheté! le silence de la mort régnait dans le château. Les craintes étaient extrèmes : on croyait le roi parti sans retour!... Marie-Antoinette écrivit un discours de quelques lignes pour les représentans de la nation; elle voulait se rendre dans leur sein avec ses enfans, si le roi était retenu prisonnier à Paris. Elle apprit ce discours, et répétait à tout moment, dans sa douleur, cette phrase qui le commençait : « Messieurs, je viens vous remettre l'épouse et la famille de votre souverain. Ne souffrez pas que l'on désunisse sur la terre ce qui a été uni dans le ciel! » Cette douleur d'une épouse et d'une mère était vraiment touchante; mais Louis n'avait rien à redouter pour sa liberté ou pour sa vie : aucun projet n'était formé contre lui, et Paris était encore disposé à mettre le passé en oubli, pour se livrer aux nouvelles promesses d'un roi que l'on s'obstinait à distinguer de ses dangereux conseillers.

Arrivé à la barrière Chaillot, où le corps municipal l'attendait, le roi reçut les clés de la ville des mains de Bailly qui lui adressa le discours suivant :

« Sire, j'apporte à votre majesté les clés de sa bonne ville de Paris; ce sont les mêmes qui ont été présentées à Henri IV : il avait reconquis son peuple; ici, le peuple a reconquis son roi (1).

« Votre majesté vient jouir de la paix qu'elle a rétablie

(1) On a violemment accusé Bailly d'avoir manqué, en cette circonstance, au respect qu'il devait à la douleur du roi pour justifier la mémoire du maire de Paris, nous croyons devoir rapporter son discours en entier. Toute insulte au malheur était bien loin du cœur du vertueux Bailly.

dans la capitale; elle vient jouir de l'amour de ses fidèles sujets. C'est pour leur bonheur que votre majesté a rassemblé autour d'elle les représentans de la nation, et qu'elle va s'occuper avec eux de poser les bases de la liberté ét de la prospérité publiques. Quel jour mémorable que celui où votre majesté est venue siéger en père au milieu de cette famille réunie, où elle a été reconduite à son palais par l'Assemblée nationale entière !

"

<< Gardée par les représentans de la nation, pressée par un peuple immense, elle portait dans ses traits augustes l'expression de la sensibilité et du bonheur, tandis qu'autour d'elle on n'entendait que des acclamations de joie, on ne voyait que des larmes d'attendrissement et d'amour; Sire, ni votre peuple, ni votre majesté, n'oublieront jamais ce grand jour c'est le plus beau de la monarchie; c'est l'époque d'une alliance éternelle entre le monarque et le peuple. Ce trait est unique dans l'histoire; il immortalise votre majesté. J'ai vu ce beau jour; et, comme si tous les beaux jours étaient faits pour moi, la première fonction de la place où m'a conduit le vœu de mes concitoyens, est de vous porter l'expression de leur respect et de leur

amour. >>

Louis XVI avait retrouvé à la barrière quatre cents de ses gardes-du-corps ; ils furent consignés; le prince n'en conserva que quatre auprès de lui. Il était escorté de trois mille jeunes gens à cheval, et d'un bien plus grand nombre à pied. L'héritier de Louis XIV faisait son entrée à Paris, sans luxe, sans appareil royal. Ce n'était plus un maître fastueusement traîné dans un char éclatant, entouré comme d'un mur d'acier par des soldats menaçans qui repoussaient la foule! La majesté du trône n'était plus, et Louis ne pouvait plus la reprendre. La garde nationale formait une hate immense depuis la barrière jusqu'à l'hôtelde-ville; le peuple, répandu derrière elle, gardait le plus profond silence pas un cri d'amour, pas un regard

bienveillant! Etonné, inquiet, effrayé même, Louis avançait la tête hors de la voiture, et promenait lentement ses regards sur ce nouveau peuple qui se révélait à ses yeux.

Une partie des membres de l'Assemblée nationale, en costume de cérémonie, environnaient le roi. Tous avaient le front triste et soucieux. A Versailles, dans un premier mouvement d'ivresse, on avait bien pu concevoir de grandes et heureuses espérances; mais à Paris, en présence des piques et du peuple, de tristes prévisions revinrent, et plus d'un représentant de la nation se demandait ce que l'avenir réservait à la France et à la monarchie.

En arrivant à l'hôtel-de-ville, à travers des milliers d'épées qui formaient une voûte au-dessus de sa tête, le monarque accepta la cocarde nationale des mains de Bailly, et vint s'asseoir sur le trône qui lui était préparé. Alors seulement quelques cris de vive le roi commencèrent à se faire entendre. Le maire s'approcha du prince, et lui demanda la permission de lui présenter les quatorze électeurs de la ville de Paris, qui sollicitaient l'honneur d'être ses gardes à l'hôtel-de-ville. L'offre acceptée, ils se rangèrent autour de lui, leurs épées à la main; Louis ordonna qu'elles fussent remises dans le fourreau, et s'empressa de sanctionner la nomination de Bailly et de Lafayette. On désirait entendre sortir de la bouche du prince quelques heureuses paroles; sa timidité naturelle, l'incertitude de sa situation, peut-être l'impossibilité de laisser éclater des vrais sentimens cachés au fond de son cœur, l'empêchèrent de répondre à l'attente générale. Empressé de le tirer d'un si grand embarras, Bailly prit les ordres de Louis, et parla ainsi: «Le roi me charge de vous dire qu'il est toubhé de l'attachement et de la fidélité de son peuple, et que son peuple aussi ne doit pas douter de son amour. Il approuve l'établissement de la garde pari

sienne, ma nomination à la place de maire, et celle de M. Lafayette à celle de commandant-général; mais il veut que l'ordre et le calme se rétablissent, et que désormais tout coupable soit remis à la justice.

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Le peuple, qui couvrait la place de Grève, demandait à grands cris à voir le roi ; il parut à la fenêtre de l'hôtel-deville avec la cocarde de l'insurrection aux couleurs de Paris. A la vue de ce signe de réconciliation et d'alliance, l'ivresse du peuple fut spontanée, universelle, impossible à décrire. Les cris de vive le roi succédèrent aux cris de vive la nation! Moreau de Saint-Méry, président des électeurs, dit au prince : « Sire, vous le voyez, le trône des rois n'est jamais plus solide que lorsqu'il est gardé par l'amour des peuples. Ethis de Corny, procureur du roi, voulait qu'on élevât un monument à Louis XVI, restaurateur de la liberté et père du peuple. C'était passer les bornes de toute prudence que de hasarder une pareille proposition; mais, dans ces momens d'enthousiasme et d'entraînement, on peut tout se permettre avec les Français. LallyTollendal, à travers un pompeux éloge des bienfaits de Louis XVI, laissa échapper une apostrophe empruntée à la Passion, et qui semblait présenter le prince comme le Christ de la royauté. L'allusion, tout involontaire, n'était qu'un malheur de l'improvisation, mais n'en était pas moins cruclle; peut-être ni Louis XVI, ni aucun des auditeurs ne la scntirent; elle se perdit sans doute dans les applaudis semens excités par les promesses de l'orateur qui montrait la paix générale comme la conséquence immédiate de la réconciliation présente. A la chute du jour, Louis XVI, escorté par le commandant de la garde nationale, accompagné des témoignages les plus éclatans de l'allégresse publique, réprit le chemin de Versailles. Ce ne fut qu'à neuf heures du soir qu'il se retrouva dans les bras de la reine et de ses enfans. On assure que le prince dormit profondément pendant la nuit qui succéda aux différentes

épreuves de cette journée! Cependant il venait de se désarmer lui-même et de sanctionner la révolution, d'accepter la souveraineté nationale, et de reconnaître la puissance de cette commune qui doit un jour demander sa tête et l'obtenir !

Au milieu de ces grandes scènes, le parlement de Paris, que l'on regardait comme n'étant plus, sembla se réveiller pour se couvrir de ridicule. Dès le 16, les représentans du peuple avaient reçu un arrêté pris par cette cour le même matin, et rédigé en ces termes :

« La cour, instruite par la réponse du roi du jour d'hier à l'Assemblée nationale, de l'ordre donné aux troupes de s'éloigner de Paris et de Versailles, a arrêté que le premier président se retirera à l'instant par devant ledit roi, à l'effet de le remercier des preuves qu'il vient de donner de son amour pour ses peuples et de sa confiance dans les représentans dont le zèle et le patriotisme ont contribué à ramener la tranquillité publique.

« A arrêté que le premier président fera part de l'arrêté de ce jour à l'Assemblée nationale. »

Cet arrêté déplut justement aux mandataires de la France. D'Espréménil, Saint-Fargeau et Freteau euxmêmes furent d'avis d'écrire à M. le président du parlement, pour lui faire savoir que, par respect pour la nation, il eût été convenable, dans une telle circonstance, d'envoyer, non pas une simple lettre, mais une députation à l'assemblée.

Les ruines de la Bastille, démolie par ordre de la commune de Paris, proclamaient la dernière heure du despotisme. La population avait jeté par terre ce symbole de la féodalité; le mouvement de la capitale s'étendit d'abord dans les campagnes environnantes, et bientôt jusqu'au bout de la France : une nation est comme une mer sur laquelle l'ouragan ne saurait éclater sans l'agiter jusqu'aux extrémités.

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