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Le peuple avait enfreint les principes constitutionnels, et cependant il avait raison; le roi trompait la France, le roi voulait dès lors aller donner la main à Bouillé, prêt à lever l'étendard contre-révolutionnaire; averti par un instinct sûr et presque infaillible, armé d'une force irrésistible, le peuple fit avorter ce funeste projet. En des circonstances pareilles à celles où l'on se trouvait, le salut ne peut venir que de l'intervention populaire; elle peut violer la loi, mais elle conserve l'état. Au milieu de ces mouvemens irréguliers, il faut plaindre les dépositaires de la force publique obligés de s'immoler au devoir, de résister à leur conviction pour obéir à leur conscience, ils ont la douleur de ne pouvoir assurer le triomphe de la loi, et courent le danger de perdre toute leur popularité, par conséquent, leur utile influence; et ils déposent encore dans les cœurs des sentimens de défiance et de haine, que les événemens peuvent exalter jusqu'à leur coûter un jour la vie, car les révolutions ont des rancunes qui ne pardonnent pas.

Le même jour, le directoire du département présenta au roi une adresse, pour l'inviter à faire cesser les défiances en éloignant de lui les prêtres réfractaires auxquels il accordait sa confiance, en s'entourant des plus fermes appuis de la liberté. Cette adresse, revêtue de la signature du vertueux La Rochefoucauld, a été représentée comme un outrage par nos adversaires; cependant elle contenait dans un langage à la fois ferme, digne et plein de ménagemens, les plus sages et les plus utiles conseils que Louis pût recevoir. L'adresse contrastait singulièrement avec les réclamations de l'orateur du peuple, où Fréron et ses amis tonnaient contre Marie-Antoinette et donnaient des conseils menaçans et prophétiques à Louis XVI. On lisait dans ce manifeste des passages qui méritent d'être cités, parce qu'ils font connaître l'esprit du temps et toute l'audace de la presse : « Songez que si le roi quitte la France, il n'y a aucun doute qu'il ne soit déchu du

trône, et immolé, lui et les derniers rejetons de sa race, à la juste fureur d'une grande nation; mais il vous en coûtera peut-être dix ans de combats, et la perte de trois millions de vos concitoyens, avant de faire triompher votre liberté. Trois millions de Français égorgés! grand Dieu ! » On lisait plus loin : « Où cours-tu, monarque abusé par des conseils pervers? Le peuple ignore-t-il que, de SaintCloud, tu te disposes à partir pour Compiègne, et de là pour la frontière?... qu'avant jeudi, tu seras dans les bras de Condé?... Tu pars! et dans quelles circonstances? Quand les prêtres réfractaires, profitant de cette quinzaine consacrée aux devoirs de la religion, alarment les consciences timorées, enflamment l'imagination ardente et superstitieuse d'un sexe crédule, distribuent de la même main des agnus, des chapelets, des bénédictions et des poignards?... Tu pars! quand ton comité autrichien a disposé toutes les mèches de la contre-révolution, et qu'il ne faut plus qu'une étincelle pour embraser la France. » Et plus loin : « Les cruels! comme ils t'ont trompé ! Ton manifeste est prêt, à la bonne heure; tu te mets à la tête de l'armée autrichienne, soit; tu annules les décrets de l'Assemblée nationale, et tu redresses ton vieux trône sur les débris de l'édifice constitutionnel! Halte-là! roi des Français! vois vingt-cinq millions d'hommes, vois ton souverain t'écraser d'un coup d'œil; tu t'y prends trop tard; nous avons goûté les charmes de la liberté; plutôt mourir, que de redevenir esclaves! » Ces paroles étaient violentes, exagérées, furieuses jusqu'au délire, mais le fond des choses était vrai et trouvait une entière croyance dans le peuple.

CHAPITRE XII.

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.Fuite du roi

Lafayette donne sa démission; elle n'est pas reçue. Démarches de Louis auprès des cours étrangères. L'assemblée déclare que ses Adresse de Thomas Raynal. membres ne seront pas réélus. M. Dursort en mission auprès des cours étrangères. et de Monsieur. - Tranquillité de Paris. blée nationale. aux Jacobins.

du roi.

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Conduite de l'Assem

Robespierre

Manifeste laissé par Louis XVI.
Accusation de Danton contre Lafayette. - Voyage

Son arrestation à Varennes.

CEPENDANT le directoire du département avait pris et communiqué à l'assemblée un article par lequel il invitait les sections à délibérer pour savoir s'il fallait prier le roi d'aller à Saint-Cloud, ou le remercier de ne l'avoir pas fait. Huit sections pensèrent que le roi ne pouvait se transporter à sa maison de plaisance avant d'avoir chassé les prêtres réfractaires; d'autres sections déclarèrent qu'il n'y avait pas lieu à délibérer, et s'étonnèrent de ce qu'on leur avait proposé une telle question. Instruit de tous ces débats, le roi se rendit à l'assemblée et prononça le discours suivant :

« Messieurs, je viens au milieu de vous avec la confiance que je vous ai toujours témoignée. Vous êtes instruits de la résistance qu'on a apportée hier à mon départ pour Saint-Cloud ; je n'ai pas voulu qu'on la fit cesser par la force; j'ai craint de provoquer des actes de rigueur contre une multitude trompée, qui croit agir en faveur des lois

lorqu'elle les enfreint; mais il importe à la nation de prouver que je suis libre; rien n'est si essentiel pour l'autorité des sanctions et des acceptations que j'ai données à vos décrets. Je persiste donc, par ce puissant motif, dans mon voyage de Saint-Cloud. L'Assemblée nationale en sentira la nécessité. Il semble que pour soulever un peuple fidèle, dont j'ai mérité l'amour par tout ce que j'ai fait pour lui, on cherche à lui inspirer des doutes sur mes sentimens. J'ai accepté, j'ai juré la constitution. La constitution civile du clergé en fait partie, et j'en maintiendrai l'exécution de tout mon pouvoir. Je ne fais que renouveler ici l'expression des sentimens que j'ai manifestés à l'assemblée : elle sait que mes intentions et mes vœux n'ont d'autre but que le bonheur du peuple; ce bonheur ne peut résulter que de l'observation des lois et de l'obéissance à toutes les autorités légitimes et constitutionnelles. »

La réponse du président Chabroud fut vague, indécise; néanmoins il prenait acte des promesses solennelles du roi. Louis XVI fut applaudi en sortant comme il l'avait été à son entrée. Toutes ces démonstrations ne signifiaient plus rien depufs un certain temps. Un roi qu'on applaudit ainsi la veille par une espèce d'habitude et de politique, n'en est pas moins en danger le lendemain. Louis XVI, qui croyait peut-être abuser l'assemblée par de nouvelles démonstrations, s'applaudissait tout bas de la ruse qu'on lui avait suggérée. En effet, il venait de faire une démarche d'une haute importance pour lui: il avait dit à toute l'Europe : « Je ne suis pas libre! » D'un autre côté, le président, par l'ambiguïté de sa réponse, avait laissé deviner au monarque que personne n'ajoutait foi à ses protestations, que les mandataires de la nation étaient convaincus que, réuni à la reine, aux ennemis connus et cachés de la réforme politique, il méditait avec eux des plans d'évasion et des moyens de contre-révolution. Les aveux de Bouillé ne permettent pas de douter qu'à cette époque le

projet du roi, effrayé encore par la chute de Mirabeau, dernière digue qu'il espérait opposer au torrent, ne fût de s'éloigner de Paris, et de protester, les armes à la main, contre tout ce qu'il avait fait depuis 1789. N'oublions pas que le roi persistait dans l'intention d'aller à Saint-Cloud, et que l'assemblée ne délibéra pas même sur l'espèce de permission qui lui était tacitement demandée.

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Lafayette dont la conduite à cette époque offrait d'étrancontrastes, Lafayette qui voulait la fuite du roi et le salut de la constitution, comme si ces deux choses étaient compatibles, donna sa démission, motivée sur le peu d'obéissance qu'il avait trouvée dans la garde nationale. Soixante bataillons allèrent chez lui, et le supplièrent, au nom du salut public, de conserver un commandement qui leur semblait un gage de sûreté, dans cette époque pleine de troubles et de dangers. Mais tous les hommes qui marchent en avant dans les révolutions, et qui voient plus loin que les autres par une espèce d'instinct et de défiance qui caractérise les passions fortes, auraient vivement souhaité de voir Lafayette enlevé au commandement de la milice parisienne : Lafayette leur paraissait un obstacle et un danger. La cour, qui commençait à comprendre enfin tout ce que pouvait pour elle le commandant de la garde nationale, à présent surtout que le grand tribun était mort, s'appuya de toutes ses forces sur Lafayette; mais, soit perfidie dans les uns, soit défaut de jugement dans les autres, elle commit l'inconcevable imprudence de faire louer par les journaux le nouveau défenseur en qui elle mettait ses espérances. La cour portait ainsi des coups mortels à la popularité de l'ami de Washington, placé dans la plus difficile des positions politiques.

Cependant la bonne intelligence semblait rétablie entre le roi et l'assemblée. Louis XVI, dégagé en quelque sorte par le discours qu'il avait prononcé dans le sein de la représentation nationale, et résolu à voiler ses démarches

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