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La veille, à dix heures du soir, on ignorait encore à la cour les événemens de la journée. La postérité pourra-t-elle le croire? Ce fut le duc de Larochefoucault-Liancourt qui, le premier, en informa le roi. Il dormait si profondément, qu'on eut peine à l'éveiller. Le volcan jetait des flammes et personne n'avait osé dire au monarque menacé : La lave approche !

Berthier, intendant de Paris, seul avait annoncé l'invasion de l'hôtel des Invalides et l'attaque projetée contre la Bastille.

Lorsque M. de Liancourt eut achevé son terrible récit, lorsqu'il eut raconté la défection des gardes, la prise de la forteresse, les massacres qui l'avaient suivie, et la formation d'une armée de plus de cent mille citoyens : « C'est donc une révolte! dit le roi, après quelques momens de silence. - Non, Sire, lui répondit le duc, c'est une révolution. >>

Comprenant l'énormité de la faute qu'on lui avait fait commettre, l'impuissance où il se trouvait de résister à l'insurrection, le roi refusa de céder aux conseils de Broglie qui l'engageait à se retirer avec les troupes et à entraîner l'assemblée avec lui. Empressé d'arrêter les massacres qui ensanglantaient la capitale et de prévenir de plus grands dangers, il résolut d'éloigner les soldats. Accompagné des deux princes ses frères, dont l'un était bien coupable, il se rendit à pied, sans suite, sans escorte, au sein de la représentation nationale. A l'annonce de l'approche du roi, des applaudissemens éclatèrent dans plusieurs bancs de l'assemblée. « Attendez, s'écrie Mirabeau, que le roi nous ait fait connaître les bonnes dispositions qu'on nous annonce de sa part; qu'un morne respect soit le premier accueil fait au monarque dans ce moment de douleur. Le silence des peuples est la leçon des rois.

Louis XVI entra, et, debout, découvert, sans cérémonial, ne voulut pas même faire usage d'un fauteuil placé

pour

lui sur une estrade; puis, facile à changer de rôle et de langage comme les princes de sa race, il prononça ces paroles avec une dignité toute paternelle :

<< Messieurs,

<«< Je vous ai assemblés pour vous consulter sur les affaires les plus importantes de l'état. Il n'en est pas de plus instante et qui affecte plus sincèrement mon cœur que les désordres affreux qui règnent dans la capitale. Le chef de la nation vient avec confiance au milieu de ses représentans leur témoigner sa peine et les inviter à trouver les moyens de ramener l'ordre et le calme. Je sais qu'on a donné d'injustes préventions; je sais qu'on a osé publier que vos personnes n'étaient pas en sûreté. Serait-il donc nécessaire de vous rassurer sur des bruits aussi coupables, démentis d'avance par mon caractère connu? Eh bien, c'est moi qui ne suis qu'un avec ma nation, c'est moi qui me fie à vous! Aidez-moi dans cette circonstance à assurer le salut de l'état. Je l'attends de l'Assemblée nationale. Le zèle des représentans de mon peuple, réunis pour le salut commun, m'en est un sûr garant; et, comptant sur l'amour et la fidélité de mes sujets, j'ai donné l'ordre aux troupes de s'éloigner de Paris et de Versailles. Je vous autorise et vous invite même à faire connaître mes dispositions à la capitale. >>

Le président répondit à ce discours avec dignité; il remercia le roi des paroles de paix qu'il apportait à la nation, et lui renouvela, au nom de l'assemblée, la demande d'une communication, toujours libre et immédiate, entre sa personne et les représentans de la France. « La communication, répondit le monarque, sera toujours libre, et je ne refuserai jamais de vous entendre. >>

Le roi sortit; tous les députés, sans s'être concertés le suivirent au milieu d'une foule immense qui ne faisait entendre que des cris de vive le roi! des bénédictions ct des vœux pour lui. Ce fut ainsi que le cortége arriva

au château. L'enthousiasme redoubla lorsqu'on vit la reine au balcon, tenant son fils entre ses bras. Le peuple la sapar des acclamations, tandis que le roi et les députés, dans la chapelle du château, rendaient grâces à Dieu de la fin d'une crise qui avait menacé et le pays et la royauté.

Jamais fête ne fut plus simple et plus touchante. En voyant le roi entouré avec amour par les représentans du peuple, la multitude disait : « Il ne lui faut pas d'autres gardes. » L'archevêque de Vienne observait à sa majesté que le chemin était long et pénible. Louis XVI, en montrant sa nouvelle escorte, répondit: Il n'est pas fatigant!

N'est-ce pas une chose digne de remarque que la facilité avec laquelle la nation confiante se rapprochait toujours de son roi que des conseillers perfides tendaient toujours à séparer de la France! Pourquoi les a-t-il écoutés au lieu de se jeter à jamais dans les bras d'un peuple, qui lui criait sans cesse : Venez à nous et ne nous quittons plus !...

Toutes les inquiétudes n'étaient pourtant pas dissipées. On ne savait pas encore si les ministres se retireraient. Les députés avaient résolu, à l'unanimité des suffrages, de demander le renvoi de ces dangereux conseillers et le rappel de M. Necker. Cette délibération venait d'être terminée, lorsque M. l'archevêque de Vienne, qui apparaissait toujours comme un messager de paix, vint apporter à ses collègues une lettre du roi au ministre redemandé par l'opinion.

L'assemblée, vivement touchée de cette heureuse nouvelle, résolut de s'unir au prince et de transmettre à l'illustre exilé une pressante invitation de revenir promptement au timon des affaires.

Après la révélation des grands événemens de la capitale, dans la journée du 14 juillet, la cour s'était trouvée partagée d'opinion. La reine, le comte d'Artois, les Polignacs et autres voulaient que l'on se mît sous la protection des troupes et que l'on continuât la guerre civile. Le roi, toujours enclin aux délais et aux demi-mesures, s'était re

fusé à ce parti extrême; il avait mieux aimé donner des gages d'une paix qui ne devait pas durer, et que lui-même ne regardait peut-être que comme une de ces trèves aui ne font qu'ajourner la guerre.

Tout le système de violence adopté depuis quelque temps, était l'ouvrage des favoris et des familiers de la reine. Le peuple le savait. L'Assemblée nationale en avait la conviction. Aussi les menaces retombaient-elles toutes sur cette faction de la cour qui, épouvantée, prit la résolution de s'enfuir devant l'animadversion générale. Le comte d'Artois et sa famille, le prince de Condé, le duc et la duchesse de Polignac, la duchesse de Guiche, la comtesse Diane de Polignac, le maréchal de Broglie, le maréchal de Castries, l'abbé de Balièvre, émigrèrent alors.

C'en est fait la famille royale se réunit pour ne plus se revoir. La séparation, suivant les récits domestiques, fut douloureuse; elle aurait eu le caractère du désespoir si les acteurs eussent pu lever le voile de l'avenir. Là, est un roi destiné à porter sa tête sur un échafaud, comme Charles Ier; à côté de lui, une reine, jeune encore, dont la douleur a blanchi les cheveux et qui doit mourir du dernier supplice. Sous leurs yeux, un jeune dauphin, plante délicate que le manque d'air et la mauvaise culture feront périr dans une prison. Le successeur du grand Condé, qui va porter aussi les armes contre la patrié au lieu de mourir l'épée à la main sur les marches du trône, ne reviendra que pour voir s'élever dans les fossés de Vincennes la colonne funéraire du dernier rejeton de sa race. Le comte de Provence règnera, mais ramené par l'étranger, mais en achetant la couronne au prix des plus graves accusations qui pèsent encore sur sa mémoire. Le comte d'Artois, qui n'a pas su se mettre à la tête de l'armée et sauver le roi que ses mauvais conseils ont jeté dans un si grand péril, ne doit revenir en France que pour perdre une seconde fois ła dynastie, et se voir précipité du rang suprême comme

l'un de ces princes sans sceptre et sans épée que nos pères détrônaient dans les comices du temps. Avant d'éprouver ce dernier malheur, il verra le plus jeune de ses fils tomber sous le poignard d'un assassin qui aura conspiré seul la ruine de la famille royale.

L'émigration emportait avec elle ce gouvernement occulte uniquement occupé d'empêcher l'union du monarque avec le peuple, et de rétablir l'ancien régime. Elle continuera ses trames au dehors, et ne sera pas moins funeste à la royauté par de dangereux conseils que par une opposition poussée quelquefois jusqu'au scandale. Les moins coupables de ces nobles déserteurs de leur roi auront à se reprocher de l'avoir abandonné, malgré les protestations du dévouement chevaleresque dont sa fidèle noblesse faisait tant de bruit ; mais quel nom donner à ceux qui soulevèrent l'Europe contre nous, sans craindre d'allier le drapeau de Henri IV au drapeau de l'héritier de Philippe II, et de sc mettre à la solde de l'Angleterre, alors notre implacable ennemie ? Sans doute, les revers, les humiliations, les dégoûts, les mépris leur feront souvent expier une conduite que l'étranger lui-même condamnait, mais leur conjuration contre le pays natal n'en sera pas moins impie. Deux mots suffisent pour la caractériser : en nous donnant la guerre étrangère, elle a coûté des torrens de sang à la France, et causé la mort de Louis XVI.

Il était pressant de calmer l'inquiétude qui régnait toujours dans la capitale. L'Assemblée nationale envoya une grande députation à l'hôtel-de-ville, pour faire connaître à la France entière le gage de paix que le roi venait de donner par l'éloignement des troupes. A l'arrivée des députés, on tira le canon en signe de réjouissance. Escortés du peuple qui les accueillait comme des libérateurs, ils avaient traversé les Tuileries, lorsque quelques électeurs, envoyés pour les recevoir, se trouvèrent sous le vestibule du palais. Là, M. Duveyrier, avocat distingué et

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