Page images
PDF
EPUB

constituent seules la déclaration de guerre..... Des hostilités, de quelque nature qu'elles soient, seront toujours de simples hostilités du moment où la législature n'aura pas déclaré la guerre.... Le raisonnement de M. Mirabeau n'est qu'un moyen d'éluder la question, qu'un écart de la question. Quelque résolution que vous preniez, soit que vous déléguiez ce pouvoir au corps législatif, soit que vous le déléguiez au pouvoir exécutif, le décret de M. Mirabeau sera toujours imparfait; car il est indispensable de savoir le moment où la nation est en guerre, et il est indispensable de saver à qui il appartient de la déclarer en son nom; et dans les deux cas il nous laisse la même incertitude..... Je demande si la faculté qu'on laisse au corps législatif de décider si la guerre cessera n'est pas illusoire; si, lorsque la guerre sera commencée, lorsqu'elle aura excité le mouvement de puissances redoutables, il sera possible alors de déclarer qu'elle ne sera pas continuée. C'est donc au roi qu'il attribue constitutionnellement le droit de faire la guerre; c'est si bien là son système, qu'il l'a appuyé par tous les raisonnemens dont s'étaient servies les personnes qui soutiennent cette opinion. Les propositions et les maximes qu'il a présentées sont tellement tendantes à prouver qu'il faut déléguer au roi le droit de faire la guerre, que, pour répondre à son système, je ne vais qu'examiner ses propositions et ses maximes. Deux points sont divisés dans le discours de M. de Mirabeau :

« 1o. Les inconvéniens d'attribuer aux législatures le droit de déclarer la guerre;

«< 2o. Les inconvéniens de l'accorder au pouvoir exécutif, et le moyen de remédier à ces mêmes inconvéniens. It s'est attaché à établir qu'ils étaient immenses pour les législatures, et qu'ils étaient moindres pour le pouvoir exécutif. Enfin, il a proposé les moyens de pallier ces derniers inconvéniens; il a dit que le droit de faire la guerre exigeait de l'unité, de la promptitude et du secret, et qu'it

ne pouvait en supposer dans les délibérations du corps législatif.......

<<< Il est vrai qu'accorder aux législateurs le droit de faire la guerre, ce serait enlever la promptitude et le secret qu'on regarde comme absolument nécessaires. Quant à la promptitude, il me semble qu'en confiant au roi le droit de faire tous les préparatifs qu'exigent pour le moment la sûreté de l'état et les mesures nécessaires pour l'avenir, on a levé tous les inconvéniens... Le roi et ses agens auront toujours les moyens de repousser une attaque subite... Quant au secret, je demanderai d'abord si ce secret existe : on a prouvé avant moi qu'il n'existe pas réellement ; mais, s'il pouvait exister, serait-il utile? Je pourrais, pour répondre, m'appuyer de l'autorité bien importante de M. l'abbé de Mably; il a constamment pensé que la politique de la nation française devait exister non dans le secret, mais dans la justice......... Et dans quel cas le secret serait-il nécessaire? C'est lorsqu'il s'agit de mesures provisoires, des négociations, des opérations d'une nation avec une autre tout cela doit être attribué au pouvoir exécutif; il aura donc encore le moyen de s'appuyer du secret............. Tout ce que vous réservez ne peut être et ne doit être fait qu'au grand jour.....

« Enfin, tout sollicite le corps législatif de conserver la paix, tandis que les intérêts les plus puissans des ministres les engagent à entreprendre la guerre. Vainement on oppose la responsabilité et le refus des impôts; et, dans le cas où le roi lui-même irait à la tête de ses troupes, on propose d'autoriser le corps législatif à rassembler les milices nationales. La responsabilité ne s'applique qu'à des crimes; la responsabilité est absolument impossible autant que dure la guerre, au succès de laquelle est nécessairement lié le ministre qui l'a commencée, Ce n'est pas alors qu'on cherche à exercer contre lui la responsabilité : estelle nécessaire quand la guerre est terminée?....... Le

corps législatif se décidera difficilement à faire la guerre; chacun de nous a des propriétés, des amis, une famille, des enfans, une foule d'intérêts personnels que la guerre pourrait compromettre : le corps législatif déclarera done la guerre plus rarement que le ministre; il ne la déclarera que quand notre commerce sera insulté, persécuté, les întérêts les plus chers de la nation attaqués. Les guerres seront presque toujours heureuses; l'histoire de tous les siècles prouve qu'elles le sont quand la nation les entreprend; elle s'y porte avec enthousiasme, elle y prodigue ses ressources et ses trésors. C'est alors qu'on fait rarement la guerre, qu'on la fait toujours victorieusement : les guerres entreprises par les ministres sont souvent injustes, souvent malheureuses, parce que la nation les réprouve, parce que le corps législatif fournit avec parcimonie les moyens de les soutenir. Les ministres calculent froidement dans leur cabinet : c'est l'effusion du sang de vos frères, de vos enfans qu'ils ordonnent. Consultez aujourd'hui l'opinion publique : vous verrez d'un côté les hommes qui espèrent s'avancer dans les armées, parvenir à gérer les affaires étrangères; les hommes qui sont liés avec les ministres et leurs agens; voilà les partisans du système qui consiste à donner au roi, c'est-à-dire, aux ministres, ce droit terrible: mais vous n'y verrez pas le peuple.....

« Non, les vrais citoyens, les vrais amis de la liberté n'ont aucune incertitude. Ils vous diront: Donnez au roi tout ce qui peut faire sa gloire, sa grandeur; qu'il commande, qu'il dispose de nos armées, mais qu'il nous défende quand la nation l'aura voulu : mais n'affligez pas son cœur en lui confiant le droit redoutable de nous entraîner dans une guerre, de faire couler le sang avec abondance, de perpétuer le système de rivalité, d'inimitié réciproque; système faux et perfide qui déshonore les nations! >>

Que l'on juge de l'effet que devait produire ces paroles

si claires, si précises, et toutes chaudes encore de l'improvisation! L'assemblée se leva et voulut aller aux voix; les tribunes dévouées applaudirent à outrance; ce ne fut point sans peine que Mirabeau put obtenir que la discussion serait continuée le lendemain. Barnave et les Lameth furent portés en triomphe par le peuple, qui vociférait contre Mirabeau. On l'accusait hautement d'avoir avili son talent et d'être aux gages de la cour. Le sinistre cri à la lanterne! retentit à son oreille lorsqu'il traversa précipitamment la foule qui roulait entraînée à la suite de Barnave.

Les deux Lameth, depuis long-temps jaloux de la popularité de Mirabeau, crurent que le jour était venu de la détruire. Le soir, à la séance des jacobins, Alexandre Lameth lui reprocha, par des paroles dures et sans ménagement, d'avoir vendu à prix d'argent sa gloire, son génie, et la liberté du peuple. Le lendemain, 22, dans la matinée, tous les colporteurs crièrent la grande Trahison de Mirabeau, libelle virulent, imprimé dans la nuit même. Un des amis de l'orateur lui en présenta un exemplaire au moment où il entrait dans la salle de l'assemblée; il jeta les yeux sur le titre : J'en sais assez, dit-il d'une voix frémissante; on m'emportera de l'assemblée triomphant ou en lambeaux. Chapelier appuya le plan de Mirabeau en faisant toutefois quelques modifications, qui pourtant ne changeaient rien à l'intention générale du projet. Enfin Mirabeau parut à la tribune; et qu'on se figure, si on le peut, l'accent triste et profond qu'il mit dans ces paroles: « On répand depuis huit jours que la section de l'Assemblée nationale qui veut le concours de la volonté royale dans l'exercice du droit de la paix et de la guerre, est parricide de la liberté publique; on répand les bruits de perfidie, de corruption; on invoque les vengeances populaires pour soutenir la tyrannie des opinions; on dirait qu'on ne peut sans crime avoir deux avis dans une des questions les

plus délicates et les plus difficiles de l'organisation sociale. C'est une étrange manie, c'est un déplorable aveuglement que celui qui anime les uns contre les autres des hommes qu'un même but, un sentiment indestructible devraient, au milieu des débats les plus acharnés, toujours rapprocher, toujours réunir; des hommes qui substituent ainsi l'irascibilité de l'amour-propre au culte de la patrie, et se livrent les uns les autres aux préventions populaires ! Et moi aussi, on voulait, il y a peu de jours, me porter en triomphe, et maintenant on crie dans les rues la grande Trahison du comte de Mirabeau!... Je n'avais pas besoin de cette leçon pour savoir qu'il est peu de distance du Capitole à la roche Tarpéienne; mais l'homme qui combat pour la raison, pour la patrie, ne se tient pas si aisément pour vaincu... Que ceux qui prophétisaient depuis huit jours mon opinion sans la connaître, qui calomnient en ce moment mon discours sans l'avoir compris, m'accusent d'encenser des idoles impuissantes au moment où elles sont renversées, ou d'être le vil stipendié des hommes que je n'ai cessé de combattre; qu'ils dénoncent comme un ennemi de la révolution celui qui, peut-être, n'y a pas été inutile, et qui, cette révolution fût-elle étrangère à sa gloire, pourrait là seulement trouver sa sûreté; qu'ils livrent aux fureurs du peuple trompé celui qui, depuis vingt ans, combat toutes les oppressions, et qui parlait aux Français de liberté, de constitution, de résistance, lorsque ses vils calomniateurs suçaient le lait des cours et vivaient de tous les préjugés dominans. Que m'importe ! ces coups de bas en haut ne m'arrêteront pas dans ma carrière; je leur dirai : Répondez si vous pouvez ; calomniez ensuite tant que vous voudrez.

« Je rentre donc dans la lice armé de mes seuls principes... M. Barnave m'a fait l'honneur de ne répondre qu'à moi ; j'aurai pour son talent le même égard. »

Pour vaincre son rival soutenu par la faveur populaire,

« PreviousContinue »