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parti si elle eût triomphé. On a dépeint ce révolutionnaire du troisième ordre comme un génie malfaisant, un orléaniste déclaré, un factieux capable de tout, un ennemi de Louis XVI. Rien de moins exact que ce portrait de fantaisie, ou plutôt de passion. Lecointre n'avait aucune méchanceté dans le cœur; il était facile à désarmer : on obtenait de lui sans peine l'aveu d'une erreur. Indépendant par humeur, assez fier de n'avoir besoin de personne, indisciplinable même dans son parti, il n'appartint jamais de près ni de loin à la maison d'Orléans. En 1789, Lecointre plaignait et ne haïssait pas Louis XVI, mais il nourrissait de fortes préventions contre Marie-Antoinette; il craignait l'ascendant de cette princesse sur son mari; d'ailleurs, préoccupé de tous les soupçons répandus, il voyait clairement quelque perfide machination cachée sous le projet de faire entrer de nouvelles troupes à Versailles, où l'on avait déjà appelé un détachement de dragons. Le cointre jeta le cri d'alarme. Plusieurs bataillons de la garde nationale s'opposèrent à l'admission du régiment. Malgré ce refus, le général écrivit au roi que tous les officiers de cette milice s'étaient joints à lui pour aller audevant du régiment de Flandre, qui venait d'entrer en ville avec deux pièces de canon et des munitions assez considérables. Le roi remercia officiellement la garde nationale et la municipalité, tant on attachait de prix au succès de la négociation!

Dans tout le cours de cette affaire, le comte d'Estaing démentit sa réputation de franchise, se réduisit luimême aux propositions de l'intrigue, ne montra qu'un courage médiocre, une coupable complaisance, ou très peu de pénétration. Tous ses efforts aboutirent à compromettre le roi, et à lui rendre un fatal service. Au contraire, le simple citoyen calomnié par l'œil-de-bœuf, regardé peutêtre comme un brûlot dans son propre parti, traité de sot dans les salons par des gens de beaucoup d'esprit,

pénétra d'abord les intentions des conspirateurs; il donna l'éveil à l'opinion, intimida le vainqueur de la Grenade, et brava audacieusement le génie de la contre-révolution encore armé de la puissance. Le général, devenu courtisan, perdit tout. Si l'on eût adopté l'avis du factieux, la monarchie n'aurait pas été presque renversée par l'événement que nous allons raconter.

Dans les premiers troubles de Versailles, à l'ouverture des Etats-Généraux, les gardes-du-corps avaient montré, avec un attachement inaltérable pour le roi, des dispositions favorables au peuple, et même une courageuse résistance aux actes de despotisme du duc de Guiche, leur chef. Les caresses, les séductions, les les promesses d'avancement, les assertions mensongères contre les patriotes, tous les moyens avaient été employés pour corrompre ou égarer cette brave milice. Quand la compagnie Grammont arriva pour le service du quartier d'octobre, on retint à Versailles ceux qui venaient de faire le trimestre précédent; on appela, pour les renforcer, tous les surnuméraires, en leur ordonnant de se rendre sans délai à leur poste. Ces mesures n'étaient pas rassurantes pour le peuple; d'ailleurs les gardes n'avaient encore ni arboré la cocarde tricolore, ni prêté serment à la nation; ces deux circonstances ajoutaient à l'inquiétude générale des bravades indiscrètes, quelques propos échappés à des jeunes gens, furent interprétés sévèrement, et parurent des indices de quelque funeste entreprise de la cour.

Le régiment de Flandre, en entrant à Versailles, avait prêté serment, et remis son artillerie avec ses munitions entre les mains de la municipalité. Cette preuve de confiance ayant dissipé les préventions des habitans, tous s'empressèrent de donner des marques de bienveillance et d'amitié aux officiers et aux soldats. Il n'est pas un d'eux qui n'eût son couvert chez quelque bourgcois; le peuple même les accueillait avec cordialité. J'ai vu souvent ces braves à la

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un jeu si funeste le sort d'un pays et d'un prince, appartiennent à l'ordre de la noblesse et du clergé. Le ministre de la contre-révolution conduit le projet; il commence Bau nom de ses maîtres ces fatals rapports avec l'étranger qui concoururent d'une manière si prompte à la perte de Louis XVI: Breteuil a pour complice et pour confident Daun ambassadeur d'Autriche. Derrière un voile paraît la reine qui est l'ame de l'entreprise, la reine que d'Estaing somnomme si hautement par les ardentes prières qu'il lui we adresse pour l'arrêter sur le bord de l'abîme. Peut-on

même douter que Louis XVI ne soit dans la confidence, het qu'au besoin il donnera des ordres au comte de Bouillé, aqui a lu dans le cœur de son roi ?

Le comte d'Estaing, dans la bonne foi de son zèle, s'écriait Que serait-ce si les choses se répandaient dans le peuple!»Le peuple les savait, sinon dans les détails, du moins en masse; et sa conviction déjà si forte allait devejenip inébranlable, grâce aux nouvelles fautes de la cour. po Les compagnies soldées qui entraient dans la composiption de la milice parisienne, appartenaient au régiment des gardes françaises, autrefois chargé de veiller à la conserxlvation des jours du prince; elles voulurent reprendre leur * poste d'honneur à Versailles. Ce projet avait effrayé Paris aret jeté l'alarme parmi les courtisans qui sentouraient le monarque. Lafayette, toujours attentif à prévenir les causes den des troubles, avait réprimé, par un mélange d'adresse et d'autorité, cette dangereuse prétention des soldats qu'il fallait ménager comme les premiers auxiliaires de la liberté; mais, cédant à un conseil de la prudence et de la bonne foi, il écrivit à M. de Saint-Priest: « Le duc de la Rochefoucault vous aura dit l'idée qu'on avait mise dans la tête des grenadiers, d'aller cette nuit à Versailles. Cette velléité est entièrement détruite par les quatre mots que je leur ai dits, et il ne m'en est resté que l'idée des ressources inépuisables des cabaleurs. Vous ne devez regarder cette

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circonstance que comme une nouvelle indication de leurs mauvais desseins, mais non en aucune manière comme un danger réel. Envoyez une lettre à M. de Montmorin. »

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Par une étrange légèreté, cette lettre est remise à d'Estaing; celui-ci prend l'alarme, court au comité militaire, fait sortir tous ceux qui n'étaient pas de l'état-major; et lui, qui trahit le secret d'un autre, il exige des officiers supérieurs le serment de ne point révéler ce qu'il va leur apprendre. Alors il leur lit la lettre de Lafayette, et ajoute à cette imprudence le tableau exagéré des alarmes du roi.. Aussitôt, profitant de l'effet que ce tableau à produit, et repoussant même des inspirations généreuses du civisme des officiers, il leur représente l'impossibilité de résister malgré leur courage à deux mille soldats d'un corps d'élite comme les gardes françaises, aussi bien discipliné que bien armé. Ces considérations, exprimées avec force par un homme aguerri au milieu de tant de périls, déterminent le comité à requérir la municipalité de demander un renfort de mille hommes au gouvernement. Sur les instances du général, la municipalité, présidée par un homme de mérite, appelé M. Coste, et entièrement dévoué à la cour, défère à la réquisition et s'adresse à M. de Saint-Priest, qui sollicite et obtient un ordre du roi.

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Le régiment de Flandre est appelé à Versailles. Cette nouvelle excite le mécontentement de la garde nationale, avertie par un citoyen de la ville,nommé Laurent Lecointre. C'était un homme probe, un négociant estimé, mais d'un caractère ombrageux, avec une tête ardente et assez mal réglée, qui s'exaltait avec une facilité extrême. Processif dans la vie publique, comme d'autres dans la vie privée; grand dénonciateur, mais de bonne foi, et convaincu de la nécessité de son rôle; assez avide de bruit et de popularité, ambitieux des honneurs de sa ville, sans talent, mais non pas sans audace. Il avait du front, comme dit le peuple. La cour détestait Lecointre, et lui aurait fait un mauvais

sonne,

parti si elle eût triomphé. On a dépeint ce révolutionnaire du troisième ordre comme un génie malfaisant, un orléaniste déclaré, un factieux capable de tout, un ennemi de Louis XVI. Rien de moins exact que ce portrait de fantaisie, ou plutôt de passion. Lecointre n'avait aucune méchanceté dans le cœur; il était facile à désarmer : on obtenait de lui sans peine l'aveu d'une erreur. Indépendant par humeur, assez fier de n'avoir besoin de perindisciplinable même dans son parti, il n'appartint jamais de près ni de loin à la maison d'Orléans. En 1789, Lecointre plaignait et ne haïssait pas Louis XVI, mais il nourrissait de fortes préventions contre Marie-Antoinette; il craignait l'ascendant de cette princesse sur son mari; d'ailleurs, préoccupé de tous les soupçons répandus, il voyait clairement quelque perfide machination cachée sous le projet de faire entrer de nouvelles troupes à Versailles, où l'on avait déjà appelé un détachement de dragons. Le cointre jeta le cri d'alarme. Plusieurs bataillons de la garde nationale s'opposèrent à l'admission du régiment. Malgré ce refus, le général écrivit au roi que tous les officiers de cette milice s'étaient joints à lui pour aller audevant du régiment de Flandre, qui venait d'entrer en ville avec deux pièces de canon et des munitions assez considérables. Le roi remercia officiellement la garde nationale et la municipalité, tant on attachait de prix au succès de la négociation!

Dans tout le cours de cette affaire, le comte d'Estaing démentit sa réputation de franchise, se réduisit luimême aux propositions de l'intrigue, ne montra qu'un courage médiocre, une coupable complaisance, ou très peu de pénétration. Tous ses efforts aboutirent à compromettre le roi, et à lui rendre un fatal service. Au contraire, le simple citoyen calomnié par l'œil-de-boeuf, regardé peutêtre comme un brûlot dans son propre parti, traité de sot dans les salons par des gens de beaucoup d'esprit.

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