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choifir ce qu'il y a de plus agréable & de plus piquant pour l'effet. Il doit faire une heureuse exagération des beautés éparfes de la nature; il doit enfin préfenter le beau vraisemblable qui a l'apparence du vrai, & qui eft plus en droit de nous plaire. Le génie, en fe propofant la nature pour modele, doit l'agrandir, l'embellir & la vivifier. Enfin, en fimplifiant toujours l'art, vous parviendriez, dit-on encore, à l'affoiblir, à le perdre, à l'anéantir. Mais quelques raisonnemens que l'on oppofe, il n'en eft pas moins vrai que cet Opéra eft un ouvrage de génie qui paroîtra d'autant plus admirable, que l'on en étudiera davantage les beautés & les détails; ce qui eft bien justifié par fon grand fuccès.

(Mercure de France. )

L'HOMME ENNUYE. LA Scene (on le verra) se passe en Angleterre ;

Mais pardon, nobles Lords, on la voit à Paris.
Ah! telle eft l'humaine mifere,

Cette fcene eft de tout pays.

Dévoré par le fplein & la mélancolie,
Ennuyé de plaifirs & d'or,

Sidnei voulut enfin abréger une vie,
Si fouvent un fléau, rarement un tréfor.
Son plan fixé, fon heure prife,

Par le Parc (a) il alloit grand train

(4) Le Parc Saint-James, promenade de Londres.

Finir de s'ennuyer au fond de la Tamife;
Quand un de fes amis l'apperçut en chemin :
C'étoit un vieux gourmand, connoisseur en bon vin.
Sidnei, lui cria-t-il, où vas-tu donc fi vîte?
Tu parois foucieux? as-tu quelque chagrin?
Nous le diffiperons à fouper je t'invite;
J'effaie un cuifinier François, que l'on dit fin,
Je t'attendrai.... Moi je te quitte,
Répond Sidnei tout court à l'invitation....
(Il avoit eu la veille une indigeftion.)
Après l'Amphitrion un joueur se présente:

Ma foi, mon cher Sidnei, ta rencontre m'enchante,
Dit-il, je te cherchois; fuis-moi vîte, & dans peu
Tous deux nous boirons ferme, & nous jouerons
beau jeu.

Sidnei avoit, d'expérience

Eprouvé que l'argent ne défennuyoit pas; (Eh! combien de riches, hélas !

Savent à fond cette science!)

Il avoit de plus ruiné

Jadis, avec des dez, un homme fort honnête;
L'homme en avoit perdu la tête;

Sidnei portoit un cœur bien né:

Et, loin de ce fuccès qu'il fe fit une fête,
Il avoit éprouvé par lui

Que le remords n'est pas un remede à l'ennui.
Quitte de l'importun, Sidnei reprit fa courfe,
Lorfque tout-à coup un voleur,

Le pistolet en main, lui demanda la bourfe;
Sidnei la lui donna, non fans quelque frayeur;
Et cette frayeur-là lui femblant finguliere,

Il cherchoit au fond de fon cœur,

Comment

Comment d'un piftolet on pouvoit avoir peur, Quand on couroit par goût au fond de la riviere. Il en voyoit le bord enfin,

Et rendoit grace à fon deftin,

Qui, pour lui, devenu facile,

Trop bon, lui permettoit d'aller mourir tranquile,
Loin des gourmands, loin des buveurs,
Des foupeurs, des joueurs, & même des voleurs:
Mais point du tout; une filie charmante

A l'œillade friponne, au fourire coquin,
A la jambe de biche, à la treffe flottante,
La perle aux dents, la neige au sein,
Par-tout s'obftinant à le fuivre,

Fut prête à lui rendre en chemia
Une velleïté de vivre.

Heureusement pour les projets
Sidnei fe rappella les tendres infideles,
Les perfides aux doux attraits;

Il fongea même que les belles

Par fois, fans le trahir, avoient pu l'ennuyer;
Ces réflexions font cruelles,

Et quiconque en eft-là fait bien de fe noyer.
C'en eft donc fait, il fe dégage,
Maudiffant la vie & l'amour,
Et fur la fin du plus beau jour
Parvient fur le bord du rivage.

Le foleil fe couchoit; Sidnei le regarda;
Il n'avoit de long-tems contemplé cette image.
Soupçonnant un Auteur à cet augufte ouvrage,
A genoux profterné, Sidnei lui demanda,
D'agréer le tribut de fes dernieres larmes ;
De le prendre en pitié; de ne le point punir,
Tome I. Partie Il.

F

Si la vie à fes yeux ceffant d'avoir des charmes,
Il s'empreffoit de la finir....

Sur le fable à ces mots il preffe fon vifage;
Quand fur la mouffe de ces bords,

Il voit une fourmi laborieufe & fage
Trainer un grain de bled avec de grands efforts:
Les travaux de ce petit être
L'intérefferent malgré lui;

Il les fuivit fans les connoftre,
Et, fans qu'il y fongeât, fit trêve à son ennui,
Bientôt pour une il en voit mille,

Mille encore venant à la file,

Puis mille & mille encor, & toutes travaillant
Dans fon attente ftudieufe,

Il vit, en bien réfléchiffant

Sur la famille induftrieufe,

Que les fourmis n'ont pas le tems de s'ennuyer,
Et fut à la campagne au lieu de fe noyer.

Là d'après ces fages modeles,

(Que par une preuve d'esprit,
Parmi les bêtes il choifit)

fit cas des fourmis, & travailla comme elles

L'étude des champs le charma:

Il eut des champs qui l'enrichirent;
Prit une femme qu'il aima;

Eut des enfans qui le chérirent:

Et bien reconnoiffant de la bonté du fort,
Chérit la vie enfin fans redouter la mort.

(Gazettes des Sciences & des Arts.)

EPITRE à Mr. DU HAMEL DE DENAINVILLIERS. Par Mr. COLARDEAU. A Paris, chez Lejay, in-8vo. 1774. Avec cette Epigraphe:

Fortunate fenex, ergo tua rura manebunt.

CEA

VIRGIL. Egl. 1.

'Eft un tribut que l'amitié paie à un homme eftimable, qui préfere à la vie tumultueufe des villes, le féjour de fes terres, où il s'occupe du bonheur de fes payfans & de fes vaflaux; M. du Hamel de Denainvilliers, eft le frere de Mr. du Hamel du Monceau, de l'Académie des Sciences, & célebre par fes ouvrages; il s'occupe dans fa retraite des recherches & des expériences qui peuvent jetter des lumieres fur l'hiftoire naturelle, & fur-tout fur la pratique de l'agriculture:,, On ne peut, dit l'Auteur, réunir à la fois plus de connoiffances & de vertus. Les perfonnes qui l'ont vu de près, attefteront que je n'ai point surchargé fon éloge. Il eft le modele exact du fage que j'ai voulu peindre; c'eft fans fon aveu que je donne au public cette Epitre; fa modeftie s'y feroit oppofée, & j'ai paffé fur cette formalité peut-être néceffaire, par un motif que les honnêtes gens approuveront. Depuis quelques annés, on a répandu beaucoup de fleurs fur les tombeaux des hommes illuftres ou bienfaifans qui ont ho

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