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Expofons préfentement les fentimens de M. le Chevalier Gluck fur la Mufique. Quelque talent, dit-il, dans fa lettre, qu'ait le compofiteur, il ne fera jamais que de la mufique médiocre, fi le Poëte n'excite pas en lui cet enthousiafine fans lequel les productions de tous les arts font foibles & languiffantes. L'imitation eft le but reconnu qu'ils doivent tous fe propofer; c'eft celui auquel je tâche d'atteindre : toujours fimple & naturel, autant qu'il m'est possible, ma Musique ne tend qu'à la plus grande expreffion, & au renforcement de la déclamation de la poéfie ; c'est la raifon pour laquelle je n'emploie point les trilles, les passages, ni les cadences que prodiguent les Italiens. Leur langue qui s'y prête avec facilité, n'a donc à cet égard aucun avantage pour moi.

J'ai cherché, dit-il encore dans l'Epitre dédicatoire de fon Opéra d'Alceste, à réduire la Mufique à fa véritable fonction, celle de feconder la poéfie pour fortifier l'expreffion des fentimens & l'intérêt des paffions. Je me fuis donc bien garẻ d'interrompre un Acteur dans la chaleur du dialogue, pour lui faire attendre une ennuyeuse ritournelle, ou de l'arrêter au milieu de fon difcours fur une voyelle favorable, foit pour déployer dans un long paffage l'agilité de fa belle voix, foit pour attendre que l'orchestre lui donnât le tems de reprendre haleine pour faire un point d'orgue.

Je n'ai pas cru non plus devoir paffer rapidement fur la feconde partie d'un air, lorsque cette feconde partie étoit la plus paffionnée & la plus

importante, afin de répéter réguliérement quatré fois les paroles de l'air, ni finir l'air où le fens ne finit pas, pour donner au Chanteur la facilité de faire voir qu'il peut varier à fon gré & de plufieurs manieres un paffage. J'ai voulu profcrire tous ces abus contre lefquels depuis long-tems fe récrioient en vain le bon fens & le bon goût. J'ai imaginé que la fymphonie devoit prévenir les Spectateurs fur le caractere de l'action qu'on alloit mettre fous leurs yeux, & leur en indiquer le fujet; que les inftrumens ne devoient être mis en action qu'à proportion du degré d'intérêts & de paffions, & qu'il falloit éviter fur-tout de laiffer dans le dialogue une difparate trop tranchante entre l'air & le récitatif, afin de ne pas tronquer à contre-fens la période, & de ne pas interrompre mal-à-propos le mouvement & la chaleur de la scene. J'ai cru encore que la plus grande partie de mon travail devoit fe réduire à chercher une belle fimplicité, & j'ai évité de faire parade de difficultés aux dépens de la clarté. Je n'ai attaché aucun prix à la découverte d'une nouveauté, moins qu'elle ne fût naturellement donnée par la fituation, & liée à l'expreffion; enfin il n'y a aucune regle que je n'aie cru devoir facrifier de bonne grace en faveur de l'effet. Voilà mes principes.

M. le Chevalier Gluck a exactement obfervé ces principes dans la compofition de la mufique d'Iphigénie. Son ouverture eft une expofition du genre & du caractere général de l'action; elle en

eft l'expofition & l'exorde; elle fe lie même à la fcene & en fait partie. La mufique du rôle d'Agamemnon eft d'un ftyle fimple, noble & impofant celui d'Achille eft paffionné, rapide, énergique Calchas a une expreffion fiere & élevée. On gémit, on s'irrite, on s'indigne avec Clitemneftre Iphigénie intéreffe, émeut, attendrit. Les chœurs forment des tableaux fenfibles de la joie ou de la paffion tumultueufe du peuple. L'orcheftre toujours attachée à la scene & à l'Acteur, foutient, anime, fortifie l'action fans l'altérer; elle concourt à un bel enfemble par des fons toujours analogues, & qui fe grouppent avec le fujet principal. La plus grande partie de cet Opéra eft en récitatifs, dont le savant Compositeur a va`rié les formes. Il a employé un récitatif en quelquelque forte parlé, pour les chofes qui ne demandent qu'un fimple récit; récitatif dans lequel des traits d'inftrumens, à des diftances éloignées, fuffifent pour maintenir le ton de l'Acteur : il a employé un récitatif en quelque forte déclamé, & fortifié par de grands traits détachés d'harmo nie, lorfque les paroles renferment un fentiment; enfin un récitatif en quelque forte chanté, & accompagné, pour exprimer la paffion ou un grand intérêt; & ce dernier récitatif eft ordinairement terminé par un air de paffion ou de fentiment qui donne les derniers traits & la vie au tableau. Ces récitatifs font, en général, à la maniere des Ita liens; mais les chants tiennent beaucoup de l'ancien ftyle de Lully, cependant avec beaucoup

plus d'effets d'orchestre. Il y a des airs d'une modulation fimple & douce, des duos de fituation, des quatuors bien dialogués, des airs de danfe très agréables; entr'autre la paffacaille & les gavottes du fecond Acte. M. Gluck n'a point fait tous les airs de danfe pour cet Opéra ; il y a adapté quelques-uns de fon Opéra de Dom Jouan.

On a trouvé des longueurs dans les divertiffe mens, ce qui fait l'éloge de la fcene qui a de l'in térêt or l'intérêt fouffre d'être long-tems fufpen du. Ces divertiffemens font heureufement amenés, mais c'étoit bien l'occafion, comme les Auteurs le defiroient, d'y rappeller les mœurs, le coftume & les jeux de la Grece; ce qui n'a pu être alors exécuté.

On conçoit que les opinions des amateurs doivent être partagées fur ce nouveau genre, ou plutôt fur cette nouvelle forme de mufique dramatique; ils font tous réunis fur le mérite en gé néral de l'ouvrage & fur la science profonde & les talens du compofiteur; mais ils font divifés fur le parti que cet habile maître femble avoir adopté. Le récitatif a paru étranger & imité des Italiens, tandis que le chant prefque entiérement modulé, étoit dans l'ancienne fimplicité françoife. Les uns trouvent en cela, que le compofiteur s'eft rapproché de la nature & de la vérité; & leur fentiment ne pouvoit être mieux foutenu ni mieux défendu que par l'homme de génie qui s'enflamme à celui de M. Gluck, & qui dans une lettre imprimée dans un papier public, où

l'on ne peut méconnoître fon goût exquis pour les arts, vient d'analyfer toutes les beautés & les perfections de cet Opéra; d'autres amateurs, dont nous rapportons le fentiment, fans prendre leur parti, trouvent au contraire que le compofiteur s'eft écarté de l'art & de la vraifemblance. Le principe des arts, difent ces derniers, eft l'imitation de la nature; mais ce principe bien entendu, demande des modifications. C'eft moins le vrai que le vraisemblable que l'on doit rechercher ' dans l'imitation. Voulez-vous rendre fcrupuleufement le cri fimple de la paffion, ou les tons familiers du difcours, vous ferez un mélange confus de tous les ftyles; du trivial avec le compofé, du langage ordinaire, & des tons choifis & embellis. On ne trouve plus alors dans votre compofition l'imitation de la nature, qui en doit différer néceffairement par les procédés mêmes de Part, le vraisemblable qui doit être distingué du vrai, l'unité qui fait l'ame du deffein, la proportion qui en fait le caractere. Si vous abandonnez un motif pour fuivre tous les tons fucceffifs que préfentent les paroles, vous divifez l'attention, vous l'empêchez d'embraffer tout un objet, de le fuivre, de s'en pénétrer.

L'imitation dans la mufique, comme dans la peinture, eft un trait unique, c'est un point où la nature & l'art fe réuniffent, fe fervent, & s'embelliffent mutuellement. L'art ne fe propofant d'imiter à la fois qu'un moment, qu'une action, doit s'arrêter à ce qu'il y a de plus frappant,

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