Page images
PDF
EPUB

commerce, avec un papier qui repréfente une Dette. Les deux premiers font avantageux à l'Etat le dernier ne peut l'être; & tout ce qu'on peut en attendre, c'eft qu'il foit un bon gage pour les particuliers de la » Dette de la nation, c'eft-à-dire, qu'il en prouve le paiement. Mais voici >> les inconvéniens qui en réfultent. 1°. Si les étrangers poffedent beau» coup de papiers qui repréfentent une Dette, ils tirent tous les ans de » la nation une fomme confidérable pour les intérêts, 2o. Dans une nation » ainfi perpétuellement débitrice, le change doit être très-bas. 3°. L'impôt » levé pour le paiement des intérêts de la Dette, fait tort aux manufac»tures, en rendant la main de l'ouvrier plus chere. 4°. On ôte les reve» nus véritables de l'Etat à ceux qui ont de l'activité & de l'induftrie » pour les tranfporter aux gens oififs, c'est-à-dire, qu'on donne les commodités pour travailler à ceux qui ne travaillent point, & des difficultés » pour travailler à ceux qui travaillent. Voilà les inconvéniens; je n'en > connois point les avantages. «

le

Pour donner, s'il eft poffible, à nos lecteurs les vrais principes des finances, il eft de la derniere importance que nous combattions le fentiment de ces grands hommes, que nous prouvions que ces quatre inconvéniens n'en font point, & que nous faflions connoître les avantages qu'ils difent ignorer. Si le cultivateur a cent écus, il achete un arpent de terre, cultive; & en y ajoutant fon induftrie, ces cent écus lui rapportent au moins vingt par cent. S'il ne les a pas, il ne lui refte que deux partis à prendre, ou de fe faire manœuvre, & de louer fes travaux à un autre, ou de quitter fa patrie, & de chercher fortune ailleurs. Si l'artisan a cent écus, il prend la maîtrife, établit fon attelier, attire des compagnons, éleve des apprentifs, & gagne cent pour cent avec ces cent écus. S'il ne les a pas, il eft dans le cas du cultivateur indigent. Si le manufa&turier a mille écus, il établit une manufa&ture, gagne 20, 30, 40 pour cent, augmente fa manufacture à proportion de fes progrès, & s'enrichit. S'il n'a pas les mille écus, il ne fait rien. Si le marchand & le négociant n'ont pas dix mille, cinquante mille & cent mille écus, ils ne fauroient faire le commerce, ni en grand, ni mênie en petit. Si les compagnies exclufives de commerce n'ont pas plufieurs millions, elles ne fauroient former la moindre entreprife, ni attendre de grands fuccès avec de petits fonds. En un mot, depuis le payfan jufqu'à la compagnie des Indes, il n'y a point de métier, point d'art, point de fabrique, point de commerce dans I'Etat, qui puiffe aller fans argent; & le défaut d'argent fait manquer toutà-fait, ou languir toutes ces chofes. Très-peu d'Etats ont les fonds fuffifans pour pouffer l'agriculture avec vigueur, pour établir tous les métiers, tous les arts, toutes les manufactures, toutes les branches utiles & praticables de commerce, & enfin pour occuper tous les citoyens de la maniere la plus profitable; & l'on voit du premier coup-d'œil que les fuccès de tous ces objets doivent toujours être proportionnés à la maffe totale

des richeffes répandues dans tout l'Etat, de maniere que la nation qui a le plus d'argent, eft la plus à même de former des entreprises de manufactures & de commerce. Les nations les plus industrieuses & les plus politiques ont fenti de bonne heure cette néceffité d'argent, & la difette qui s'en trouvoit chez elles. C'est ce qui les a engagées à ouvrir des fonds publics, tant pour mettre en plus grande circulation l'argent qui étoit déjà répandu dans le pays, que pour en attirer du dehors, & augmenter ainfi la maffe totale.

Les Dettes publiques de ces Etats ont été de deux natures: les capitaux en étoient dûs ou aux fujets mêmes, ou aux étrangers. Les premiers étoient des Dettes de la main gauche à la droite, & dont les modiques intérêts ne pouvoient nullement affoiblir le corps de l'Etat. A l'égard des étrangers, ils tiroient 3, 4 ou 5 par cent d'intérêts d'un capital avec lequel la nation gagnoit, 20, 30, 40 par cent par an, l'ayant mis en commerce & en circulation. Mais, me dira-t-on, cet argent emprunté par l'Etat, comment a-t-il pu être mis dans le commerce, & réparti entre les particuliers induftrieux? Je réponds: de diverfes manieres, & la chose n'eft pas difficile à concevoir. Premiérement, en temps de guerre, ces gouvernemens fages ont emprunté, & par-là ils n'avoient pas befoin de demander tant de fubfides aux fujets, ils laiffoient plus d'argent entre les mains des particuliers; 2°. en faifant beaucoup de dépenfes utiles & néceffaires, auxquelles les manufactures & les fabriques du pays concouroient exclufivement; 3°. en établiffant des deniers publics, diverfes fabriques ou manufactures, que des particuliers ne pouvoient entreprendre; 4. par les lombards; 5. par le déblaiement des ports & par l'encouragement donné à la navigation; 6o. par l'érection des banques, des Compagnies des Indes, & autres grandes entreprises du commerce national; 7°. par la circulation, & enfin par mille & mille autres moyens qu'un habile Financier trouve tous les jours fous fa main.

Ces principes incontestables une fois adoptés, rien n'eft plus facile que de répondre aux inconvéniens que Mr. de Montefquieu imagine, & de trouver les limites de la quantité de ces Dettes que Mr. Melon croit fi difficiles à déterminer. Car 1. les étrangers tirent 3, 4 ou 5 par cent d'intérêt d'un capital avec lequel le gros de la nation gagne depuis 20 pour cent jufqu'à 40 & prefque toujours fur des manufactures que ces mêmes étrangers lui achetent. 2°. L'expérience prouve, en Angleterre & en Hollande, que ces nations, perpétuellement débitrices, ont tout l'avantage du change qui y eft au contraire très-haut. 3°. L'impôt levé pour le paiement des intérêts de la Dette (dont plus de la moitié retombe encore dans P'Etat) eft dix fois compenfé par le produit du profit des manufactures & du commerce, qui feroit toujours bien moindre, s'il y avoit moins d'argent; par conféquent cet impôt ne renchérit point la main de l'ouvrier; & quand il le feroit, en Hollande, en Angleterre & en France, les ma

!

nufactures de ces pays en font-elles moins recherchées par les étrangers? Et pour les naturels du pays, fi la main de l'ouvrier eft plus chere, ne font-ils pas auffi plus en état de la payer? . On n'ote pas les revenus véritables de l'Etat à ceux qui ont de l'activité & de l'induftrie, pour les tranfporter aux gens oififs; car, premiérement, il eft très-faux que tous les rentiers foient des gens oififs. Combien de généraux & d'officiers d'armée, combien de miniftres, & de gens employés dans les affaires, ont, indépendamment de leurs appointemens, des capitaux à intérêt, & placés dans les fonds publics? Secondement, ce font précisément ces gens riches, ces gens aifés qui font vivre les autres ; & le rentier eft tout auffi utile à l'Etat que le manufacturier & le commerçant, car c'eft lui qui paie à l'homme induftrieux le falaire de fon induftrie. S'il n'y avoit point de rentier, s'il n'y avoit point d'homme qui eût befoin de luxe, que deviendroient les ouvriers du luxe? Enfin, il feroit de la derniere imprudence de priver les gens qui ont travaillé toute leur vie pour amaffer du bien, des moyens de placer ce même bien pour jouir à leur aife & prefque fans travail, d'un intervalle aifé entre la vie & la mort. Prenez-y bien garde! Si vous ôtez aux hommes laborieux l'efpérance de finir la vie commodément, fi vous ôtez aux artifans, aux marchands, l'efpoir de jouir de leur travail, de parvenir eux-mêmes ou leurs enfans, à des charges, à des dignités, vous anéantirez toute émulation, toute ardeur pour l'industrie, & vous n'aurez jamais que des manufactures imparfaites, & qu'un commerce miférable. Les Anglois & les Hollandois entendent mieux cette partie de la politique.

Pour ce qui eft des bornes qu'il faut affigner aux Dettes de l'Etat, ce prétendu problême fe réfout de foi-même. Toutes les Dettes que Etat contracte, pour épargner au peuple les fubfides extraordinaires en temps de paix ou de guerre, toutes les Dettes que l'Etat contracte pour augmenter l'industrie, les manufactures & le commerce, toutes les Dettes que l'Etat contracte pour prévenir fa ruine, font des Dettes très-falutaires. Toutes les Dettes que le Souverain contracte au nom de l'Etat pour affouvir un luxe mal entendu, pour faire des dépenfes inutiles, pour payer mal-àpropos des fubfides à des Puiffances étrangeres, pour faire venir des étoffes riches de Lyon, des modes de Paris, des diamans du Mogoliftan, font des Dettes très-pernicieufes, parce que le fonds fort abfolument de l'Etat pour n'y rentrer jamais. Je connois un très-beau pays en Europe, qui fans être fort vafte, feroit un vrai Perou pour le Souverain par fa fertilité & l'induftrie du peuple, fi cette partie des finances y étoit réglée fur une proportion judicieufe. Ce pays devroit avoir vingt millions d'écus de Dettes, dont le principal fe trouveroit naturellement répandu dans les manufactu res & dans le commerce. On lui a fait contracter près de quarante millions de Dettes; ce furplus a été employé à une magnificence ridicule, à des dépenfes frivoles dont le capital s'eft envolé vers les pays étrangers. Ce

million d'écus d'intérêt payé mal-à-propos pour le furplus des vingt millions de Dettes, devient un fardeau accablant pour le peuple, le rend malaifé, & met cet Etat dans une dépendance gênante de fes voifins.

Nous terminerons cet article par les derniers édits & déclarations émanés du Confeil du Roi de France pour la liquidation des Dettes de l'Etat. Mais nous obferverons que le fyftême d'économie que l'on fuit aujourd'hui eft bien plus expédient pour empêcher que la Dette nationale ne s'accroiffe exceffivement.

No. I.

ÉDIT DU ROI,

Portant Réglement pour la liquidation des Dettes de l'État.
Donné à Versailles au mois d'Avril 1763.

Registré en Parlement.

LOUIS par la grace de Dieu, Roi de France & de Navarre: A tous

préfens & à venir; falut. En établiffant par notre édit du mois de Mai 1749, une caiffe des amortiffemens, nous nous fommes propose de pourvoir aux rembourfemens des Dettes de l'Etat, tant anciennes que nouvelles; mais les dépenfes de la guerre n'ont pas permis d'éteindre les unes, & ont confidérablement augmenté les autres: ce plan de libération des Dettes de l'Etat, fi intéreffant pour le bonheur de nos peuples, doit commencer par la liquidation de ces mêmes Dettes, & doit embraffer nonfeulement les charges nouvelles, mais celles qui font plus anciennes & même plus onéreufes. Tous les créanciers de l'Etat peuvent prétendre aux remboursemens, & aucun ne peut s'y fouftraire; leur fort doit être déterminé par les mêmes principes & les mêmes regles, toute exception feroit à charge à l'Etat: c'eft dans ces vues que nous avons cru néceffaire de commencer par établir une uniformité de principes & de regles pour la liquidation de toutes les charges dues par l'Etat, afin que nous n'ayons plus à nous occuper que des moyens les plus propres pour effectuer le remboursement des anciennes comme des nouvelles: A ces causes, & autres à ce nous mouvant, de l'avis de notre Confeil, & de notre certaine fcience, pleine puiffance & autorité Royale, nous avons par le préfent édit perpétuel & irrévocable, dit, ftatué & ordonné; difons, ftatuons & ordonnons, voulons & nous plaît: «

[blocks in formation]

Toutes les parties de rentes qui fe paient fur nos aides & gabelles,

tailles & autres nos revenus; comme auffi tous intérêts qui s'acquittent fous quelque dénomination que ce foit, fur les états arrêtés en notre Confeil ou autrement, augmentations de gages pour raifon de fupplément de finance des offices, & généralement toutes rentes, intérêts ou charges annuelles de l'Etat, perpétuelles ou viageres, qui fe paient fur nos revenus, feront rembourfables & rachetables; favoir, les rentes & charges annuelles & perpétuelles, même celles qui s'acquittent actuellement à notre caiffe des amortiffemens, au rembourfement particulier defquelles nous n'entendons d'ailleurs rien innover par le préfent édit, à raifon du denier vingt, fans égard à leur capital originaire; & celles qui font viageres, foit fimples, foit avec accroiffement, fur le pied du capital payé par les possesfeurs d'icelles pour leur conftitution. «<

>> II N'entendons que la liquidation portée par l'article précédent, air lieu à l'égard de ceux de nos fujets qui juftifieroient que les contrats de rentes par eux poffédées fur notre hôtel de ville de Paris, ont déjà éprouvé des réductions en leurs mains ou en celles de ceux que les propriétaires actuels repréfenteront à titre fucceffif feulement & fans interruption de propriété à ce titre; voulons que, dans ces deux cas feulement, les capitaux defdits contrats ne puiffent être remboursés fur le pied du denier vingt, que du gré & fur la demande defdits propriétaires; à l'effet de quoi ceux qui fe trouveroient dans le cas de l'exception portée par le préfent article, feront obligés de juftifier par titres & par la matricule des payeurs de la continuité de leur poffeffion à titre fucceffif. «<

» III. Permettons à tous ceux qui nous auroient fourni la valeur entiere des capitaux des contrats à trois & à quatre pour cent, créés par édits des mois d'Avril 1758, Mai 1760 & Juillet 1761, ou qui les auroient reçus de nous, pour la valeur entiere des capitaux, en paiement de leurs créances, & qui d'ailleurs n'auroient eu aucune compenfation, de fe pourvoir par devers nous, dans le cours de la préfente année, paffé lequel temps, ils n'y feront plus reçus pour quelque caufe & fous quelque prétexte que ce foit; pour, fur le rapport du contrôleur-général de nos finances, & fur la juftification de la légitimité & valeur effective de leurs créances, avoir par nous tel égard qu'il appartiendra aux représentations qu'ils nous auroient faites, à l'occafion de la liquidation ordonnée par l'article I. du préfent édit. «

» IV. Les charges perpétuelles ou Dettes qui auroient un intérêt plus fort que le denier vingt, ou qui, outre l'intérêt de leur capital au denier vingt, auroient un dividende ou autre bénéfice annuel quelconque, feront rembourfables fur le pied du capital payé pour leur création ou conf

titution. «<

» V. Les rentes viageres, créées avec accroiffement, ne feront rembourfables que par claffes ou divifions entieres. «<

» VI. Les rembourfemens que nous aurions jugé à propos d'ordonner,

« PreviousContinue »