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loix naturelles : or, c'eft alors l'agriculture, elle-même, qui forme la base de ces Empires, & qui preferit & conftitue l'ordre de leur gouvernement: parce qu'elle eft la fource des biens qui fatisfont aux befoins des peuples, & que fes fuccès ou fa décadence dépendent néceffairement de la forme du gouvernement.

XIII. Simplicité primitive du gouvernement des fociétés agricoles.

POUR expofer clairement cette vérité fondamentale, examinons l'état

de l'agriculture dans l'ordre le plus fimple. Suppofons une peuplade d'hommes placés dans un défert, qui y fubfiftent d'abord des productions qui y naiffent fpontanément, mais qui ne peuvent fuffire conftamment à leur établiffement dans ce territoire inculte, dont la fertilité fera une fource de biens, que la nature affure au travail & à l'industrie.

XIV. La communauté des biens; leur diftribution naturelle & paifible; la liberté perfonnelle; la propriété de la fubfiftance acquife journellement.

DANS le premier état, il n'y a d'autre diftribution de biens que celle

que les hommes peuvent obtenir par la recherche des productions qui leur font néceffaires pour fubfifter. Tout appartient à tous; mais à des conditions qui établiffent naturellement un partage entre tous, & qui leur affurent à tous néceffairement la liberté de leur perfonne pour pourvoir à leurs befoins, & la fureté de la jouiffance des productions qu'ils fe procurent par leurs recherches; car les entreprises des uns fur les autres ne formeroient que des obftacles aux recherches indifpenfables pour pourvoir à leurs befoins, & ne fufciteroient que des guerres auffi inutiles que redoutables. Quels motifs en effet pourroient, en pareils cas, exciter des guerres entre les hommes ? Une volée d'oifeaux arrive en un endroit, où elle trouve un bien ou une fubfiftance commune à tous; il n'y a point de difpute entre eux pour le partage; la portion de chacun eft dévolue à fon activité à chercher à fatisfaire à fon befoin. Ainfi les bêtes réunies font donc dévouées à cette loi paifible, preferite par la nature, qui a décidé que le droit de chaque individu fe borne dans l'ordre naturel, à ce qu'il peut obtenir par fon travail; ainfi le droit de tous à tout eft une chimere. La liberté perfonnelle & la propriété ou l'affurance de jouir des productions que chacun fe procure d'abord par fes recherches pour fes befoins, font donc dès-lors affurées aux hommes par les loix naturelles, qui conftituent l'ordre essentiel des fociétés régulieres. Les nations hyperborées, réduites à vivre dans cet état primitif, en obfervent exactement & conftamment les loix prescrites par la nature, & n'ont befoin d'aucune autorité fupérieure pour les contenir dans les devoirs réciproques.

Tome XV.

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XV. Les guerres de nation contre nation.

LE's Sauvages de l'Amérique, qui reftent dans ce même état, font moins

paifibles, & fe livrent fouvent des guerres de nation contre nation; mais l'ordre eft obfervé avec beaucoup d'union & de tranquillité dans chaque nation. Les guerres que ces nations fe font entr'elles, n'ont d'autres objets que des inquiétudes & des haines réciproques, qui leur font braver les dangers d'une vengeance cruelle.

XVI. La défense des nations eft affurée par la force; la force exige des richeffes; les richelles font gardées par la force.

Es guerres extérieures n'admettent guere d'autres précautions que celle de la défense affurée par des forces, qui doivent toujours être l'objet capital d'un bon Gouvernement; car de grandes forces exigent de grandes dépenfes, qui fuppofent de grandes richeffes, dont la conservation ne peut être affurée que par de grandes forces: mais on ne peut ni obtenir ni mériter ces richeffes que par l'observation des loix naturelles, & ces loix font établies avant toute inftitution de gouvernement civil & politique. Cette légiflation n'appartient donc ni aux Nations ni aux Princes qui les gouvernent: ce font ces loix mêmes qui affurent les fuccès de l'agriculture, & c'eft l'agriculture qui eft la fource des richeffes qui fatisfont aux besoins des hommes, & qui conftituent les forces néceffaires pour leur fureté.

XVII. Etablissement de la fociété agricole, où fe trouvent naturellement les conditions qu'il exige.

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ETTE peuplade, dans un défert qu'elle a befoin de cultiver pour subfifter, s'y trouve affujettie aux loix que la nature lui prefcrit pour les fuccès de fes travaux, & la fureté de fon établiffement: le terroir inculte qu'elle habite n'a aucune valeur effective, & n'en peut acquérir que par le travail; fans cette condition naturelle, point de culture, point de richeffes il faut donc que ces hommes partagent le territoire, pour que chacun d'eux y cultive, y plante, y bâtiffe & y jouiffe en toute fureté des fruits de fon travail. Ce partage fe forme d'abord avec égalité entre les hommes égaux, qui n'ayant aucun droit de choix, doivent, dans ce partage, fe foumettre à l'impartialité du fort, dont la décifion affignera naturellement à chacun fa portion, & leur en affurera à tous à perpétuité, au même titre, avec le droit de la liberté néceffaire pour la faire valoir fans trouble & fans oppreffion, avec l'exercice d'un libre commerce d'échange des productions & du fonds; d'où résultent les autres avantages néceffaires à la fociété. Tels font, outre le partage paifible des terres, & la propriété affurée du fond & des fruits, avec la fureté perfonnelle, la liberté du

commerce, la rétribution due au travail, l'attention continuelle aux progrès de l'agriculture, la confervation des richeffes néceffaires à son exploitation, la multiplication des animaux de travail & de profit, la naiffance de l'induftrie pour la fabrication des inftrumens & vêtemens, la conftruction des bâtimens & la préparation des productions, &c. qui font les réfultats des loix naturelles primitives qui conftituent évidemment & effentiellement ces liens de la fociété. Il s'agit ici de l'établissement naturel & volontaire des fociétés, non de l'état des fociétés envahies par des Nations brigandes, & livrées à la barbarie des ufurpateurs qui ne font que des Souverains illégitimes, tant qu'ils ne rentrent pas dans l'ordre naturel: tous ces réglemens font, indépendamment d'aucunes anciennes loix pofitives, les meilleurs réglemens poffibles pour les intérêts particuliers d'un chacun, & pour le bien général de la fociété.

Mais tout cet arrangement dicté par l'ordre naturel & conftitutif des fociétés agricoles, fuppofe encore une condition auffi effentielle & auffi naturelle, qui eft l'affurance complette du droit de propriété du fond & des productions que les travaux & les dépenfes de la culture y font naître.

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XVIII. Inflitution de l'autorité tutélaire.

HAQUE cultivateur occupé tout le jour au travail de la culture de fon champ, a besoin de repos & de fommeil pendant la nuit; ainfi, il ne peut pas veiller alors à la fureté perfonnelle, ni à la confervation des productions qu'il fait naître par fon travail & par fes dépenfes; il ne faut pas non plus qu'il abandonne fon travail pendant le jour, pour défendre fon fonds & fes richeffes contre les ufurpations des ennemis du dehors. Il eft donc néceffaire que chacun contribue à l'établiffement & à l'entretien d'une force & d'une garde affez puiffantes, & dirigées par l'autorité d'un chef, pour affurer la défense de la fociété, contre les attaques extérieures, maintenir l'ordre dans l'intérieur, & prévenir & punir les crimes des malfaiteurs.

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XIX. Législation pofitive.

A conftitution fondamentale de la fociété, & l'ordre naturel du Gouvernement, font donc établis préalablement à l'inftitution des loix pofitives de la juftice diftributive; cette légiflation littérale ne peut avoir d'autre base ni d'autres principes que les loix naturelles mêmes, qui conftituent l'ordre effentiel de la fociété.

Ainfi les loix pofitives qui déterminent dans le détail le droit naturel des citoyens, font indiquées & réglées par les loix primitives inftituées par l'Auteur de la nature, & elles ne doivent être introduites dans la nation, qu'autant qu'elles font conformes & rigoureufement affujetties à ces loix effentielles; elles ne font donc point d'inftitution arbitraire, & le lé

giflateur, foit le Prince, foit la nation, ne peut les rendre juftes par fon autorité, qu'autant qu'elles font juftes par effence : l'autorité elle-même eft fujette à l'erreur, & malgré fon confentement, elle conferve toujours le droit de réformation contre les abus ou les méprifes de la légiflation pofitive ce qui doit être exercé avec connoiffance évidente ne peut troubler l'ordre; il ne peut que le rétablir, autrement il faudroit foutenir contre toute évidence, qu'il n'y a ni jufte ni injufte abfolu, ni bien ni mal moral par effence. Principe atroce qui détruiroit le droit naturel des fujets & du Souverain, & excluroit la nation des avantages de l'ordre formé par -le concours des loix inftituées par l'auteur de la nature, & dont la tranfgreffion eft punie auffi-tôt, par la privation ou la diminution des biens néceffaires pour la fubfiftance des hommes. L'équité interdit donc rigoureusement aux hommes le droit d'inftituer arbitrairement des loix pofitives. dans l'ordre de la fociété.

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La légiflation pofitive, eft donc effentiellement fubordonnée aux loix primitives de la fociété. Ainfi, elle ne peut appartenir qu'à une autorité unique, fupérieure aux différens intérêts exclufifs qu'elle doit réprimer.

XX. Le revenu public.

UN des plus redoutables

N des plus redoutables objets dans les gouvernemens livrés à l'autorité abfolue du Prince, eft la contribution impofée arbitrairement fur les fujets, & qui a paru n'avoir ni regles, ni mefures prefcrites par les loix naturelles; cependant l'auteur de la nature en a fixé l'ordre décifivement: car il eft manifefte que la contribution néceffaire pour les befoins de l'Etat, ne peut avoir chez une nation agricole, d'autre fource ou d'autre origine que celle qui peut produire les biens néceffaires pour fatisfaire aux befoins des hommes; que cette fource eft le territoire même fertilisé par la dépenfe & par le travail; que par conféquent la contribution annuelle néceffaire pour l'Etat, ne peut être qu'une portion du produit annuel du territoire, dont la propriété appartient aux poffeffeurs; du produit, dis-je, qui excede les dépenfes du travail de la culture, & les dépenfes des autres avances néceffaires pour l'exploitation de cette culture. Toutes ces dépenfes étant reftituées par le produit qu'elles font naître, le furplus eft produit net, qui forme le revenu public & le revenu des propriétaires. La portion qui doit former le revenu de l'Etat, fera fort confidérable, fi elle eft égale à la moitié de celle de tous les propriétaires ensemble; mais les propriétaires, eux-mêmes, doivent envifager que la force qui fait leur fureté & leur tranquillité, confifte dans les revenus de l'Etat, & qu'une grande force en impofe aux nations voifines, & éloigne les guerres; que d'ailleurs le revenu de l'Etat étant toujours proportionnel à la maffe croiffante ou décroiffante du revenu des biens-fonds du Royaume, le Souve rain, fera, pour ainfi dire, affocié avec eux pour contribuer autant qu'il eft

poffible, , par une bonne administration du Royaume, à la profpérité de l'agriculture, & qu'enfin, par cet arrangement le plus avantageux poffible, ils feroient préfervés de tout autre genre d'impofitions qui retomberoient défaftreufement fur leur revenu & fur le revenu de l'Etat, qui s'établiroient & s'accroîtroient de plus en plus, fous le prétexte des befoins de l'Etat; mais qui ruineroient l'Etat & la nation, & ne formeroient que des fortunes pécuniaires, qui favoriferoient les emprunts ruineux de l'Etat. Les propriétaires ou les poffeffeurs du territoire ont, chacun en particulier, l'adminiftration des portions qui leur appartiennent, administration néceffaire pour entretenir & accroître la valeur des terres, & s'affurer du produit net, ou revenu qu'elles peuvent rapporter. S'il n'y avoit pas de poffeffeurs des terres à qui la propriété en fut affurée, les terres feroient communes & négligées, car perfonne ne voudroit y faire des dépenfes d'amélioration ou d'entretien, dont le profit ne lui feroit pas affuré. Or, fans ces dépenfes, les terres fourniroient à peine les frais de la culture que les cultivateurs oferoient entreprendre dans l'inquiétude continuelle du déplacement; les terres ne rapporteroient alors aucun produit net ou revenu qui put fournir la contribution néceffaire pour les befoins de l'Etat. Dans cette fituation il ne peut exifter ni fociété, ni gouvernement; car la contribution feroit elle-même une dévaftation, fi elle fe prenoit fur le fond des avances de l'exploitation de la culture, ou fur les dépenfes du travail des hommes.

Je dis fur les dépenses du travail des hommes; car ce travail eft inféparable des dépenfes néceffaires pour leur fubfiftance. L'homme eft par luimême dénué de richeffes, & n'a que des befoins, la contribution ne peut donc fe prendre ni fur lui-même, ni fur le falaire dû à fon travail; puifque ce falaire lui eft néceffaire pour fa fubfiftance, & qu'il ne pourroit fuffire à l'une & à l'autre que par l'augmentation de ce même falaire, & aux dépens de ceux qui lui payeroient cette augmentation : ce qui renchériroit le travail, fans en augmenter le produit pour ceux qui paient ce falaire. Ainfi une augmentation de falaire qui excéderoit le produit du travail, cauferoit néceffairement une diminution progreffive de travail, deproduit & de population: tels font les principes fondamentaux de la doctrine qui regle fi heureusement depuis plufieurs fiecles le gouvernement des Chinois. Ils en tirent des conféquences qu'on aura bien de la peine à faire adopter en Europe.

Par exemple, une contribution perfonnelle prife fur les hommes, ou fur la rétribution due au travail des hommes, eft, difent-ils, une contribution néceffairement irréguliere & injufte, n'ayant d'autre mefure qu'une eftimation hasardée & arbitraire des facultés des citoyens, c'est donc une impofition défordonnée & défaftreufe. Tous les manouvriers de la culture, tous les artifans, tous les commerçans, en un mot, toutes les claffes d'hom mes falariés ou ftipendiés, ne peuvent donc pas contribuer, d'eux-mêmes,

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