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de gros revenus, qu'ils dépenfent annuellement, l'indigence du nombre d'habitans ne peut pas être attribuée à l'inégalité de la diftribution des richeffes les riches font, il eft vrai, dans l'abondance; & d'autant plus réellement dans l'abondance, qu'ils jouiffent effectivement de leurs richeffes; mais ils ne peuvent en jouir qu'à l'aide des autres hommes qui profitent de leurs dépenfes : car les hommes ne peuvent faire de dépenses qu'au profit les uns des autres; c'eft ce qui forme cette circulation conftante des richeffes fur laquelle tous les habitans d'un Royaume bien gouverné, fondent leurs efpérances. Ce n'eft donc en effet que fur la mesure de ces richeffes que doit être réglée celle de la population.

Pour en prévenir l'excès dans une nation bien gouvernée, il n'y a que la reffource des colonies qu'elle peut établir, fous les aufpices d'une bonne administration. Les peuplades qu'elle forme par l'émigration de la furabondance de ses habitans, qui font attirés par la fertilité d'un nouveau territoire, la décharge d'une multitude d'indigens qui méritent une grande attention & une protection particuliere de la part du gouvernement. On peut trouver à cet égard, dans l'adminiftration du gouvernement ou dans les habitans de la Chine, un préjugé bien reprochable.

Il y a, au voifinage de cet Empire, beaucoup d'ifles fort confidérables, abandonnées ou prefque abandonnées, dont les Européens ont pris poffef fion depuis affez peu de temps. Ces terres ne doivent-elles pas être d'une grande reffource pour la Chine contre l'excès de fa population? Mais le noftratifme ou l'amour du pays eft fi dominant chez les Chinois, qu'ils ne peuvent se réfoudre à s'expatrier: il paroît auffi qu'ils n'y font n'y font pas déterminés par les intentions de l'administration, puifqu'elle tolere l'expofition des enfans, & l'efclavage d'un nombre de fujets réduits à fe porter à ces extrémités, plutôt que de fonder hors du pays des établissemens qui feroient tout à l'avantage de la population, & qui en éviteroient la furcharge dans le Royaume. C'eft manquer à un devoir que l'humanité & la religion prefcrivent par des motifs bien intéreffans & bien dignes de l'attention des hommes que la Providence charge du gouvernement des nations en rempliffant ce devoir, ils rétabliffent le droit des hommes fur les terres incultes; ils étendent leur domination & la propagation du genre

humain.

Les loix des Incas retardoient les mariages des filles jufqu'à l'âge de vingt ans, & celui des garçons jufqu'à l'âge de vingt-cinq ans, afin d'affurer plus long-temps aux peres & meres le fervice de leurs enfans, & d'augmenter par ce moyen leurs richeffes cette loi ne feroit pas moins convenable à la Chine, qu'elle l'étoit au Pérou; car outre le motif qui avoit déterminé les Incas à l'inftituer, elle auroit encore à la Chine l'a vantage de prévenir un excès de population, d'où résultent de funeftes effets qui femblent dégrader le gouvernement de cet Empire.

S. X XII.

Comparaison des Loix Chinoifes avec les principes naturels, conflitutifs des gouvernemens profperes.

JUSQU'ICI nous avons expofé la conftitution politique & morale du

vafte Empire de la Chine, fondée fur la fcience & fur la loi naturelle, dont elle eft le développement. Nous avons fuivi à la lettre, dans cette compilation, le récit des voyageurs & des hiftoriens; dont la plupart font des témoins oculaires, dignes par leurs lumieres, & fur-tout par leur unanimité, d'une entiere confiance.

Ces faits qui paffent pour indubitables, fervent de base au résumé qu'on va lire, qui n'eft que le détail méthodique de la do&rine Chinoise, qui mérite de fervir de modele à tous les Etats.

I. Loix conftitutives des Sociétés.

LEs loix conftitutives des fociétés, font les loix de l'ordre naturel le plus avantageux au genre-humain. Ces loix font ou phyfiques ou morales. On entend par loi phyfique conftitutive du gouvernement, la marche réglée de tout événement phyfique de l'ordre naturel évidemment le plus avantageux au genre-humain. Ces loix forment ensemble ce qu'on appelle

la loi naturelle.

Ces loix font établies à perpétuité par l'Auteur de la nature, pour la réproduction & la diftribution continuelle des biens qui font néceffaires aux befoins des hommes réunis en fociété, & affujettis à l'ordre que ces loix leur prescrivent.

Ces loix irréfragables forment le corps moral & politique de la Société, par le concours régulier des travaux & des intérêts particuliers des hommes, inftruits par ces loix mêmes à coopérer avec le plus grand fuccès poffible au bien commun, & à en affurer la diftribution la plus avantageufe poffible à toutes les différentes claffes d'hommes de la Société.

Ces loix fondamentales, qui ne font point d'inftitution humaine, & auxquelles toute puiffance humaine doit être affujettie, conftituent le droit naturel des hommes, dictent les loix de la justice distributive, établissent la force qui doit affurer la défense de la Société contre les entreprises injuftes des Puiffances intérieures & extérieures, dont elle doit fe garantir & fondent un revenu public, pour fatisfaire à toutes les dépenfes néceffaires à la fureté, au bon ordre & à la profpérité de l'Etat.

II. Autorité

L'OBSE

II. Autorité tutélaire.

'OBSERVATION de ces loix naturelles & fondamentales du corps politique, doit être maintenue par l'entremise d'une autorité tutélaire, établie par la Société, pour la gouverner par les loix pofitives, conformé ment aux loix naturelles, qui forment décifivement & invariablement la conftitution de l'Etat.

Les loix pofitives font des regles authentiques, établies par une autorité fouveraine, pour fixer l'ordre de l'adminiftration du gouvernement; pour affurer l'observation des loix naturelles; pour maintenir ou réformer les coutumes & les ufages introduits dans la nation; pour régler les droits particuliers des fujets, relativement à leur état; pour déterminer décifivement l'ordre pofitif dans les cas douteux, réduits à des probabilités d'opinion ou de convenance; pour affeoir les décifions de la juftice diftributive. Ainfi le gouvernement eft l'ordre naturel & pofitif le plus avantageux aux hommes réunis en fociété & régis par une autorité fouveraine.

III. Diverfité des gouvernemens imaginés par les hommes.

СЕТТЕ

ETTE autorité ne doit pas être abandonnée à un Defpote arbitraire, car une telle domination forme un corps qui changeroit fucceffivement de chef, & qui livreroit la nation à des intérêts aveugles ou déréglés qui tendroient à faire dégénérer l'autorité tutélaire en autorité fifcale, qui ruineroit le maître & les sujets : ainfi ce Souverain ne feroit qu'un Defpote déprédateur.

Elle ne doit pas être ariftocratique, ou livrée aux grands propriétaires des terres, qui peuvent former par confédération une puiffance fupérieure aux loix; réduire la nation à l'esclavage; caufer par leurs diffentions ambitieufes & tyranniques, les dégats, les défordres, les injustices, les violences les plus atroces & l'anarchie la plus effrénée.

Elle ne doit pas être monarchique & ariftocratique, car elle ne formeroit qu'un conflit de Puiffances, qui tendroient alternativement à s'entrefubjuguer ; à exercer leur vengeance & leur tyrannie fur les alliés des différens partis, à enlever les richeffes de la nation pour accroître leurs forces, & à perpétuer des guerres intérieures & barbares, qui plongeroient la nation dans un abyme de malheurs, de cruauté & d'indigence.

Elle ne doit pas être démocratique, parce que l'ignorance & les préjugés qui dominent dans le bas peuple, les paffions effrénées & les fureurs paffageres dont il eft fufceptible, expofent l'Etat à des tumultes, à des révoltes & à des défaftres horribles.

Elle ne doit pas être monarchique, ariftocratique & démocratique, parce qu'elle feroit dévoyée & troublée par les intérêts particuliers exclufifs des différens ordres de citoyens qui là partageroient avec le Monarque. Tome XV.

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L'autorité doit être unique & impartiale dans fes décisions & dans fes opérations, & se réunir à un chef qui ait feul la puiffance exécutrice, & le pouvoir de contenir tous les citoyens dans l'obfervation des loix; d'affurer les droits de tous contre tous, du foible contre le fort; de prévenir & de réprimer les entreprises injuftes, les ufurpations & les oppreffions des ennemis intérieurs & extérieurs du Royaume. L'autorité partagée entre les différens ordres de l'Etat, deviendroit une autorité abusive & discordante, qui n'auroit ni chef, ni point de réunion pour en arrêter les écarts & fixer le concours des intérêts particuliers à l'ordre & au bien général. Le Monarque dépouillé du pouvoir fuffifant pour gouverner régulièrement le corps politique, ne tendroit qu'à rétablir par toutes fortes de voies fa domination, & à parvenir, pour fe raffurer defpotiquement, à un degré de puiffance fupérieure aux forces & aux droits de la nation même. L'inquiétude perpétuelle que cauferoient à la fociété ces intentions tyranniques, tiendroit le corps politique dans un état violent, qui l'expoferoit continuellement à quelques crifes funeftes. L'ordre de la nobleffe & des grands propriétaires des biens fonds, peu inftruit de fes véritables intérêts & de la fureté de fa profpérité, s'oppoferoit à l'établiffement du revenu public fur fes terres, & croiroit l'éluder en fe prêtant à des formes d'impofitions ruineufes, qui livreroient la nation à la voracité & à l'oppreffion des publicains, & cauferoient la dévaftation du territoire. Les Communes, où le Tiers-Etat domine en artifans, manufacturiers & commerçans, qui dédaignent le cultivateur, féduiroient la nation, & ne tendroient qu'au monopole, aux privileges exclufifs, & à détruire le concours réciproque du commerce des nations, pour acheter à vil prix les productions du pays, & furvendre à leurs concitoyens les marchandifes qu'ils leur apportent; & alors ils leur perfuaderoient par leurs grandes fortunes, acquifes aux dépens de la nation, que leur commerce exclufif, qui fufcite des guerres continuelles avec les Puiffances voifines eft la fource des richeffes du Royaume. Tous les différens ordres de l'Etat concourent donc dans un gouvernement mixte, à la ruine de la nation, par la difcordance des intérêts particuliers qui démembrent & corrompent l'autorité tutélaire, & la font dégénérer en intrigues politiques & en abus funeftes à la fociété. On doir appercevoir que nous ne parlons pas ici des Républiques purement marchandes, qui ne font que des fociétés mercenaires, payées par les nations qui jouiffent des richeffes que produit le territoire qu'elles poffedent.

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L'autorité ne doit pas non plus être uniquement abandonnée aux tribunaux fouverains de la Justice diftributive: trop fixée à la connoiffance des loix pofitives, ils pourroient ignorer fouvent les loix de la nature, qui forment l'ordre conftitutif de la fociété, & qui affurent la profpérité de la nation, & les forces de l'Etat.

La négligence de l'étude de ces loix fondamentales favoriferoit l'intro

duction des formes d'impofitions les plus deftructives, & les loix pofitives les plus contraires à l'ordre économique & politique. Les tribunaux qui feroient bornés à l'intelligence littérale des loix de la juftice diftributive, ne remonteroient pas aux principes primitifs du droit naturel, du droit public & du droit des gens. Il n'en eft pas moins avantageux pour l'Etat, que ces compagnies auguftes, chargées de la vérification & du dépôt des loix pofitives, étendent leurs connoiffances fur les loix naturelles, qui font par effence les loix fondamentales de la fociété & les fources des loix pofitives mais il ne faut pas oublier que ces loix phyfiques primitives ne peuvent s'étudier que dans la nature même.

DANS

IV. Sureté des droits de la fociété.

ANS un gouvernement préfervé de ces formes infidieufes d'autorité, le bien public formera toujours la force la plus puiffante de l'Etat. Le concours général & uniforme des volontés fixées avec connoiffance aux loix les plus excellentes & les plus avantageufes à la fociété, formera la base inébranlable du gouvernement le plus parfait.

Toutes les loix pofitives, qui portent fur l'ordre économique général de la nation, influent fur la marche phyfique de la réproduction annuelle des richeffes du Royaume; ces loix exigent de la part du législateur, & de ceux qui les vérifient, des connoiffances très-étendues & des calculs fort multipliés, dont les réfultats doivent prononcer avec évidence les avantages du Souverain & de la nation; fur-tout les avantages du Souverain; car il faut le déterminer par fon intérêt à faire le bien. Heureufement fon intérêt, bien entendu, s'accorde toujours avec celui de la nation. Il faut donc que le confeil du Législateur, & les tribunaux qui vérifient les loix, foient affez inftruits des effets des loix pofitives fur la marche de la réproduction annuelle des richeffes de la nation, pour fe décider fur une loi nouvelle par fes effets fur cette opération de la nature. 11 faudroit même que ce corps moral de la nation, c'eft-à-dire, la partie penfante du peuple, connût généralement ces effets. Le premier établiffement politique du Gouvernement feroit donc l'inftitution des écoles pour l'enfeignement de cette fcience. Excepté la Chine, tous les Royaumes ont ignoré la néceflité de cet établissement qui eft la base du gouvernement.

V. Les loix naturelles affurent l'union entre le Souverain & la Nation.

LA A connoiffance évidente & générale des loix naturelles eft donc la condition effentielle de ce concours des volontés, qui peut affurer invariablement la conftitution d'un Etat, en prenant l'autorité de ces loix divines comme bafe de toute l'autorité dévolue au chef de la nation; car il eft effentiel que l'affocié fache fon compte. Dans un gouvernement où

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