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Le Pan-tfe eft l'inftrument avec lequel on la donne; c'eft une piece affez épaiffe de bambou fendu, qui a plufieurs pieds de long, un des bouts eft large comme la main, & l'autre eft uni & menu, & fert de poignée. Un mandariu en marche ou dans fes audiences, eft toujours environné d'officiers armés de ces inftrumens: quoique ce fupplice affez violent puiffe caufer la mort, les coupables trouvent moyen de gagner les exécuteurs qui ont l'art de ménager leurs coups avec une légèreté qui les rend prefqu'infenfibles; fouvent des hommes fe louent volontiers pour fupporter le châtiment à la place du coupable. Le Pan-tfe eft la punition ordinaire des vagabonds, des coureurs de nuit & des mendians valides : il est vrai que la plupart de ces mendians dont on voit de grandes troupes à la Chine, font tous privés de quelques facultés corporelles; il eft furtout beaucoup d'aveugles & d'eftropiés qui exercent mille rigueurs fur leurs corps pour extorquer des aumônes.

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Le rang des mandarins n'exempte point du pan-tfe, mais il faut que les magiftrats aient été dégradés auparavant fi un mandarin a reçu ce châ→ timent par l'ordre du Vice-Roi, il a la liberté de juftifier fa conduite devant l'Empereur ou le Liipou: c'est un frein qui empêche les Vice-Rois d'abufer de leur autorité.

Une autre punition moins douloureuse, mais flétriffante, c'eft la cangue ou le carcan; il eft compofé de deux pieces de bois qui se joignent autour du col en forme de colier, & qui fe portent jour & nuit, fuivant l'ordre du Juge; le poids de ce fardeau eft proportionné au crime; il s'en trouve quelquefois qui pefent deux cents livres, & qui ont cinq ou fix pouces d'épaiffeur un homme qui porte la cangue, ne peut ni voir fes pieds, ni porter la main à fa bouche. Pour que perfonne ne puiffe l'en délivrer, le magiftrat couvre les jointures avec une bande de papier fcellée du fceau public, fur laquelle on écrit la nature du crime & la durée de la punition; lorfque le terme eft expiré, on ramene le coupable devant le mandarin, qui le délivre, en lui faifant une courte exhortation de mieux fe conduire; pour lui en mieux imprimer le souvenir, une vingtaine de coups de pan-tse terminent fon difcours.

11 eft certains crimes pour lefquels un criminel eft marqué fur les joues en caracteres Chinois, qui expriment le motif de fa condamnation; d'autres font punis par le banniffement hors de l'Empire, ou condamnés à tirer les barques Royales, mais ces peines font toujours précédées de la baftonnade. On ne connoit que trois fupplices capitaux, c'eft d'étrangler, de trancher la tête, & de couper en pieces; le premier paffe pour le plus doux & n'eft point infamant leur façon de penfer eft toute différente au fujet, du fecond; ils penfent qu'il ne peut y avoir rien de plus aviliffant que de ne pas conferver en mourant fon corps auffi entier qu'on l'a reçu de la nature.

:

Le troisieme eft celui des traîtres & des rebelles; le coupable est attaché

à un

à un pilier, on lui écorche d'abord la tête, on lui couvre les yeux avec fa peau, pour lui cacher fes tourmens, & on lui coupe enfuite fucceffivement toutes les parties du corps; le bourreau eft un foldat du commun, dont les fonctions n'ont rien de flétriffant à la Chine, & même à Pekin, il porte la ceinture de foie jaune, pour lui attirer le respect du peuple, & pour montrer qu'il eft revêtu de l'autorité de l'Empereur.

Les prifons de la Chine ne paroiffent ni horribles ni auffi mal-propres que celles d'Europe; elles font fort fpacieuses, bien difpofées & commodes: quoiqu'elles foient ordinairement remplies d'un grand nombre de miférables, l'ordre, la paix & la propreté y regnent en tout temps par les foins du geolier. Dans les feules prifons de Can-tong on compte habituellement quinze mille prifonniers. L'Etat ne les nourrit point; mais il leur eft permis de s'occuper à divers travaux qui leur procurent leur fubfiftance. Si un prifonnier meurt, on en rend compte à l'Empereur. Il faut une infinité d'atteftations, qui prouvent que le mandarin du lieu n'a pas été fuborné pour lui procurer la mort; qu'il eft venu le vifiter lui-même & qu'il a fait venir le médecin, & que tous les remedes convenables lui ont été adminiftrés.

Les femmes ont une prifon particuliere, dans laquelle les hommes n'entrent point: elle eft grillée, & on leur paffe, par une espece de tour tout ce dont elles ont befoin. Mais ce qui eft fur-tout admirable dans les prifons Chinoifes, dit Navaret, qui y avoit été renfermé avec d'autres miffionnaires, c'eft que nous y fumes tous traités avec douceur, & avee autant de respect, que fi nous euffions été d'un rang distingué.

S. X X.

Mandarins de l'Empire.

Na vu que, pour parvenir à être mandarins, il falloit avoir pris les divers grades qui conduifent au doctorat. C'eft fur tous ces mandarins lettrés, que roule le gouvernement politique. Leur nombre eft de treize à quatorze mille dans tout l'Empire: ceux des trois premiers ordres font les plus diftingués, & c'est parmi eux que l'Empereur choifit les Colaos ou miniftres d'Etat, les préfidens des cours fouveraines, les gouvernemens des provinces & des grandes villes, & tous les autres grands officiers de l'Empire.

Les mandarins des autres claffes, exercent les emplois fubalternes de judicature & de finances, commandent dans de petites villes, & font chargés d'y rendre la juftice. Ces fix dernieres claffes font tellement fubordonnées aux mandarins des trois premieres, que ceux-ci peuvent faire donner la baftonnade aux autres.

Tous font infiniment jaloux des marques de dignité qui les diftinguent du peuple & des autres lettrés. Cette marque eft une piece d'étoffe quar Tome XV. Dddd

rée qu'ils portent fur la poitrine; elle eft richement travaillée, & on voit au milieu la devife propre de leurs emplois. Aux uns, c'eft un dragon à quatre ongles; aux autres un aigle, ou un foleil, &c. Pour les mandarins d'armes, ils portent des lions, des tigres, des pantheres, &c.

Quoiqu'il y ait une dépendance abfolue entre ces diverfes puiffances qui gouvernent l'Etat, le plus petit mandarin a tout pouvoir dans fa jurifdiction; mais releve d'autres mandarins, dont le pouvoir eft plus étendu ceux-ci dépendent des officiers-généraux de chaque Province, qui, à leur tour, relevent des tribunaux fouverains de Pekin.

Tous ces magiftrats font refpectés à proportion, autant que l'Empereur, dont ils paroiffent repréfenter la majefté à leurs tribunaux le peuple ne leur parle qu'à genoux. Ils ne paroiffent jamais en public qu'avec un appareil impofant, & accompagnés de tous les officiers de leur jurisdiction. Entre les marques de leur autorité, on ne doit pas oublier le fceau de l'Empire. Celui de l'Empereur eft de jafpe fin quarré & d'environ quatre à cinq pouces il eft le feul qui puiffe en avoir de cette matiere. Les fceaux qu'on donne aux Princes, par honneur, font d'or; ceux des mandarins des trois premiers ordres font d'argent; les autres, d'un rang inférieur, ne font que de cuivre ou de plomb: la forme en eft plus grande ou plus petite, fuivant le rang du mandarin qui en eft le dépofitaire.

Rien n'eft plus magnifique que le cortege du Gouverneur qui fort de fon palais; jamais il n'a moins de deux cents hommes à fa fuite: on peut juger de-là, quelle doit être la pompe qui accompagne l'Empereur.

Mais, malgré l'autorité dont jouiffent tous les mandarins, il leur eft très-difficile de fe maintenir dans leurs emplois, s'ils ne s'étudient à fe montrer les peres du peuple, & à paroître lui marquer une fincere affection. Un mandarin taxé du défaut contraire, ne manqueroit pas d'être noté dans les informations que les Vice-Rois envoient tous les trois ans à la cour de tous les mandarins de leur reffort. Cette note fuffiroit pour lui faire perdre fa charge.

Il eft, fur-tout, de certaines occafions où les mandarins affectent la plus grande fenfibilité pour le peuple; c'eft lors qu'on craint pour la récolte, & qu'on eft menacé de quelque fléau. On les voit alors vêtus négligemment, parcourir les temples à pied, donner l'exemple de la mortification & obferver rigidement le jeûne général qui fe prefcrit en pareil cas.

Comme un mandarin n'eft établi que pour protéger le peuple, il doit toujours & à toute heure être prêt à l'écouter. Quelqu'un vient-il reclamer fa juftice; il frappe à grands coups fur un tambour qui eft près de la falle où il donne audience, ou en dehors de l'Hôtel; à ce fignal le mandarin, quelque occupé qu'il foit, doit tout quitter pour entendre la requête. Inftruire le peuple, eft encore une des fonctions principales: le premier & le quinzieme de chaque mois, tous les mandarins d'un endroit s'affemblent en cérémonie, & un d'eux prononce, devant le peuple, un difcours

dont le fujet roule toujours fur la bonté paternelle, fur l'obéiffance filiale, fur la déférence qui eft due aux magiftrats, & fur tout ce qui peut entretenir la paix & l'union.

L'Empereur, lui-même, fait affembler de temps en temps les grands feigneurs de la Cour, & les premiers mandarins des tribunaux de Pekin, pour leur faire une inftruction, dont le fujet eft tiré des livres canoniques. Les loix interdifant aux mandarins, l'ufage de la plupart des plaifirs, tels que le jeu, la promenade, les vifites, &c. ils n'ont point d'autre divertiffement que ceux qu'ils fe procurent dans l'intérieur de leurs palais. Il leur eft auffi défendu de recevoir aucun préfent. Un mandarin, convaincu d'en avoir reçu ou exigé un, perd fa place; fi le préfent monte à quatrevingts onces d'argent, il eft puni de mort. Il ne peut pofféder aucune charge dans fa ville natale, ni même dans fa province. Le lieu de fon exercice doit au moins être éloigné de cinquante lieues de la ville où il a pris naiffance.

L'attention du gouvernement va fi loin à ce fujet, qu'un fils, un frere, un neveu, ne peut être mandarin inférieur, où fon pere, fon frere, fon oncle feroit mandarin fupérieur. Si l'Empereur envoie pour Vice-Roi d'une province, le pere ou l'oncle d'un mandarin fubalterne, celui-ci doit en informer la Cour, qui le fait paffer à un même emploi, dans une autre province.

Enfin rien n'eft plus propre à retenir dans le devoir tous ceux qui ont quelque part à l'adminiftration des affaires publiques, que la gazette qui s'imprime chaque jour à Pekin, & qui fe répand dans toutes les Provinces; elle forme une brochure de foixante à foixante-dix pages. Nul article ne fe rapporte à ce qui fe paffe hors de l'Empire. On lit les noms des mandarins deftitués, & les raifons de leur difgrace.

S. X X I.

Défauts attribués au Gouvernement de la Chine.

LE Defpotifme ou le pouvoir abfolu du Souverain de la Chine eft fort

exagéré par nos auteurs politiques, ou du moins leur eft-il fort fufpe&t. M. de Montefquieu a fur-tout hafardé beaucoup de conjectures, qu'il a fait valoir avec tant d'adreffe, qu'on pourroit les regarder comme autant de fophifmes fpécieux contre ce gouvernement: nous pourrions, en renvoyant nos lecteurs au Recueil des mélanges intéreffans & curieux, p. 164 & fuiv. T. V, nous dispenser d'entrer dans aucun examen des raifonnemens de M. de Montefquieu, que l'auteur de ce Recueil a très-favamment difcutés & refutés; mais il fembleroit peut-être que nous chercherions à les éluder fi nous négligions de les expofer ici; on pourra du moins les comparer avec les faits raffemblés dans notre compilation.

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» Nos miffionnaires, dit M. de Montefquieu, nous parlent du vafte Empire de la Chine, comme d'un gouvernement admirable, qui mêle dans fon principe, la crainte, l'honneur & la vertu : j'ignore ce que c'eft que cer honneur chez un peuple qui ne fait rien qu'à coups de bâton. «

La charge n'est pas ménagée dans ce tableau : les coups de bâton font à la Chine une punition réservée aux coupables, comme le fouet, les galeres, &c. font de même dans d'autres Royaumes des punitions. Y a-t-il aucun gouvernement fans loix pénales? mais y en a-t-il un dans le monde où l'on emploie autant de moyens pour exciter l'émulation & l'honneur? Le filence de M. de Montefquieu à cet égard, eft une preuve bien manifefte de fon exagération & de fon intention décidée à nous représenter les Chinois comme des hommes ferviles & efclaves fous une autorité ty◄ rannique.

» D'ailleurs il s'en faut beaucoup que nos commerçans nous donnent une idée de cette vertu dont parlent les miffionnaires. «<

Il s'agit ici d'un point de conduite libre de particuliers, concernant le commerce avec les étrangers, qui n'a aucun rapport avec la dureté de l'exercice d'une autorité abfolue c'eft une querelle fort déplacée relativement à l'objet de l'Auteur. Le reproche dont il s'agit doit-il s'étendre jufque fur le commerce intérieur que les Chinois exercent entr'eux ? Les marchands de l'Europe qui vont à la Chine, ne pénétrent pas dans l'intérieur de ce Royaume: ainfi M. de Montefquieu ne peut pas, à cet égard, s'appuyer du témoignage de ces marchands. Si celui des miffionnaires avoit favorifé les ideés de M. de Montefquieu, il auroit pu le citer avec plus de fureté, parce qu'ils ont réfidé affidument & pendant long-temps dans cet Empire, & qu'ils en ont parcouru toutes les provinces. C'eft trop hafarder, que d'oppofer à leurs récits celui des marchands de l'Europe, qui ne nous diront pas fi la mauvaise foi des Chinois dans le commerce qu'ils exercent avec eux, n'eft pas un droit de repréfailles : mais toujours l'Auteur n'en peut-il rien conelure relativement au prétendu Defpotifme tyrannique du Prince.

Si c'eft précisément la vertu des Chinois que M. de Montefquieu veut cenfurer, celle du marchand qui commerce avec l'étranger eft-elle un échantillon de la vertu du laboureur & des autres habitans? Avec un pareil échantillon jugeroit-on bien exactement de la vertu des autres nations, fur-tout de celle où tout le commerce extérieur eft un monopole fous la protection des Gouvernemens ?

» Les lettres du P. Parennin, fur le procès que l'Empereur fit faire à des Princes du fang néophytes, qui lui avoient déplu, nous font voir un plan de tyrannie conftamment fuivi, & des injures faites à la nature avec regle, c'est-à-dire, de fang-froid. «

Sur le procès que l'Empereur fit faire à des Princes de fang néophytes; ce dernier mot femble être mis à deffein d'infinuer que ces Princes

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