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la cour, ils font logés dans un palais, où l'Empereur fait toute la dépenfe de leur table; pour marque d'amitié, il leur envoie tous les deux jours des mets de fa propre table, & quand il veut donner des marques d'affection, il leur envoie des plats extraordinaires.

On a vu que les Chinois font fimples, quoique bien arrangés intérieurement, dans leurs édifices particuliers; c'eft tout autrement dans les ouvrages dont l'utilité publique eft l'objet, & principalement dans les grands chemins magnificence étonnante dans la conftruction, attention finguliere dans l'entretien, police admirable pour leur fureté rien n'eft épargné pour procurer aux voyageurs, aux commerçans & aux voituriers, l'aifance & la fécurité.

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Les grands chemins ont communément quatre-vingt pieds de large, on en voit plufieurs où l'on a élevé à droite & à gauche des banquettes foutenues par un double rang d'arbres, d'efpace en efpace ce font des repofoirs en forme de grottes, qui forment des abris commodes & agréables aux voyageurs; les repofoirs font ordinairement l'ouvrage de quelques vieux mandarins, qui retirés dans leurs Provinces, cherchent à gagner la bienveillance de leurs compatriotes: ces hofpices font d'autant plus avantageux aux voyageurs, que les auberges font rares, même fur les grandes routes. En été des perfonnes charitables font diftribuer gratuitement du thé aux pauvres voyageurs, en hyver elles leur font donner de l'eau chaude, dans laquelle on a fait infufer du gingembre; les routes les plus fréquentées ont de demi-lieue en demi-lieue de petites tours, dont le comble forme une guérite; ces tours font faites de gazon & de terre battue : leur hauteur n'eft que d'environ douze pieds.

Il fe trouve là un corps-de-garde pour veiller à la fureté des voyageurs; ces tours fervent auffi pour marquer les diftances d'un lieu à un autre, & à indiquer les noms des principales villes des environs. Les foldats en faction dans ces guérites, font encore chargés de faire paffer de main en main les lettres de la cour jufqu'aux gouverneurs des villes & des provinces.

Chaque mandarin a ordre de veiller à l'entretien des chemins publics de fon département, & la moindre négligence eft punie févérement. Un mandarin n'ayant point fait affez de diligence pour réparer une route par laquelle l'Empereur devoit paffer, aima mieux fe donner la mort que de fubir le châtiment honteux qui lui auroit été impofé. Un autre mandarin eut ordre de faire deffécher un marais: foit inexpérience, foit défaut de vigilance, il échoua dans cette entreprife; il fut mis à mort.

N'oublions pas une des merveilles de la Chine, dans le compte des dépenfes des travaux publics, c'eft le grand canal Royal, il a trois cents lieues de long, & coupe la Chine du nord au fud. L'Empereur Chi-tson, fondateur de la vingrieme dynaftie, ayant établi fa Cour à Pekin, comme au centre de fa domination, il fit conftruire ce beau canal, pour approvi

fionner fa réfidence de tout ce qui étoit néceffaire à fa Cour & aux trou➡ pes qu'il avoit à fa fuite; là il y a toujours quatre à cinq mille barques, dont plufieurs font du port de quatre-vingt tonneaux, continuellement em ployés à fournir la fubfiftance de cette grande ville le foin de veiller à fon entretien eft confié à des infpe&teurs en grand nombre, qui vifitent continuellement ce canal avec des ouvriers qui réparent auffitôt les mines.

S. X VI I.

De PAutorité.

SI on en croit les Auteurs Anglois de l'Hiftoire Universelle, il n'y a

point de Puiffance fur la terre plus defpotique que l'Empereur de la Chine. S'ils entendent par Defpotifme le pouvoir abfolu de faire obferver exactement les loix & les maximes fondamentales du gouvernement, il n'eft en effet aucun autre pouvoir humain à la Chine capable d'affoiblir celui de l'Empereur, qui eft même fi rigoureux dans l'ordre de la justice, que la conftitution du Gouvernement réclameroit contre une clémence arbitraire qu'il exerceroit par une protection injufte. L'autorité, loin d'y être arbitraire, & au-deffus des loix du gouvernement, qui est établie sur le droit naturel d'une maniere fi irrefragable & fi dominante, qu'elle préferve le Souverain de faire le mal, & lui affure dans fon administration légitime, le pouvoir fuprême de faire le bien; en forte que cette autorité eft une béatitude pour le Prince, & une domination adorable pour les fujets.

Le respect fincere qu'on a pour l'Empereur, répond à la fupériorité de fon autorité & approche beaucoup de l'adoration, on lui donne les titres les plus fuperbes, tels que Fils du Ciel, faint Empereur, &c. Les premiers miniftres, les grands de l'Empire, les Princes du Sang, le frere même de l'Empereur, ne lui parlent jamais qu'à genoux; cette vénération s'étend jufqu'aux chofes qui fervent à fon ufage; on fe profterne devant fon trône, devant fa ceinture, devant fes habits, &c. Un Chinois, de quelque qualité qu'il foit, n'ofe paffer à cheval ou en chaise devant le palais de l'Empereur; dès qu'on en approche, on defcend, & on ne remonte qu'à quelques pas delà, &c.

Les Empereurs de la Chine n'abufent pas de tant de foumiffion pour tyrannifer leurs fujets; c'eft une maxime généralement établie parmi ce peuple, (& fondée effentiellement fur la conftitution du gouvernement ;) que s'ils ont pour leur Souverain une obéiffance filiale, il doit à fon tour les aimer comme un pere; auffi ces Princes gouvernent-ils avec beaucoup de douceur, & fe font une étude de faire éclater leur affection paternelle. L'Empereur a deux confeils établis par les loix, l'un extraordinaire & compofé des Princes du Sang, l'autre ordinaire ou entre les miniftres d'E

tat, qu'on nomme Colaos ce font ceux-ci qui examinent les grandes affaires, qui en font le rapport à l'Empereur, & qui reçoivent les décifions.

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Outre le confeil fouverain, il y a encore à Pekin fix cours fouveraidont nous avons expliqué les fonctions: on a dû remarquer que par un trait de politique des mieux raisonnés, pour conferver l'unité de l'autorité à un feul chef, pour empêcher que ces corps ne puiffent donner atteinte à l'autorité Impériale, ou machiner contre l'Etat; on a partagé tellement les objets fur lefquels s'étend leur pouvoir, qu'ils fe trouvent tous dans une dépendance réciproque; de maniere que s'il s'agit de quelque projet militaire, la formation des armées & leur marche eft du reffort du Ping-pou, tandis que leur paiement eft ordonné par le Hou-pou, & que les barques, les vaiffeaux pour leurs transports & la marine, dépendent du Kong-pou. Outre cette précaution, la cour nomme encore un Infpecteur qui examine tout ce qui fe paffe en chaque Tribunal; fans avoir de voix délibérative, il affifte à toutes les affemblées & on lui communique toutes les délibérations; il avertit fecretement la cour, ou même il accuse publiquement les Mandarins des fautes qu'ils commettent, non-feulement dans l'exercice de leurs charges, mais encore dans leur vie privée : leurs actions, leurs paroles, leurs mœurs, tout eft cenfuré rigoureufement. Ces officiers qu'on nomme Kolis, font redoutables jufqu'aux Princes du Sang, & à l'Empereur même.

Chacune des fix cours fuprêmes eft compofée de deux préfidens avec quatre affiftans & de vingt-quatre confeillers, dont douze font Tartares & douze Chinois. Une infinité d'autres tribunaux moins confidérables font fubordonnés à ces cours fouveraines, dans lefquelles reviennent en dernier reffort toutes les affaires importantes.

Pour ce qui eft des provinces, elles font immédiatement régies par deux fortes de gouverneurs; les uns en gouvernent une feule & réfident dans la capitale, mais ces mêmes provinces obéiffent à des Vices-Rois qu'on nomme İfong-tou, qui gouvernent en même temps deux, trois, & même quatre provinces. Quelle que foit l'autorité de ces gouverneurs particuliers leurs droits refpectifs font fi bien réglés qu'il ne furvient jamais de conflit entre leurs jurifdictions.

On auroit de la peine à croire que l'Empereur de la Chine ait le temps. d'examiner lui-même les affaires d'un Empire fi vafte, & de recevoir les hommages de cette multitude de mandarins qu'il nomme aux emplois vacans, ou qui cherchent à y parvenir; mais l'ordre qui s'y obferve eft fi merveilleux, & les loix ont fi bien pourvu à toutes les difficultés, deux heures fuffifent chaque jour pour tant de soins.

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S. X VI I I.
Ι.

Adminiftration.

L ya dans la capitale de chaque province plufieurs tribunaux pour le civil & le criminel, qui répondent tous aux cours fouveraines de Pekin, & qui font fubordonnés aux Gouverneurs particuliers & aux Tfong-Tou, fans compter un nombre infini de jurifdictions fubalternes, qui inftruisent de certaines affaires fuivant les commiffions qu'elles reçoivent. Toutes les villes ont auffi leurs gouverneurs & plufieurs mandarins fubordonnés qui rendent la juftice; de façon que les villes du troifieme ordre dépendent de celles du fecond, qui à leur tour reffortiffent aux villes du premier rang. Tous les juges provinciaux dépendent du Tfong-Tou ou Vice-Roi, qui représente l'Empereur, & qui jouit d'une confidération extraordinaire ; mais l'autorité de cet officier-général eft reftreinte par celle des autres mandarins qui l'environnent, & qui peuvent l'accufer quand ils le jugent propos pour le bien de l'Etat.

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Tous les mandarins font encore réprimés par les vifiteurs que la cour envoie en chaque Province, & que l'on nomme Kolis. L'effroi que répandent ces contrôleurs eft fi général, qu'il fait dire en proverbe le Rat a vu le Chat. Ce n'eft pas fans raifon; car ces cenfeurs ont le droit de dépouiller tous les mandarins en faute, de leur crédit & de leurs emplois.

Ces cenfeurs informent, par des mémoires particuliers, l'Empereur des fautes des mandarins; on les répand auffi-tôt dans tout l'Empire, & ils font renvoyés au Lii-pou, qui ordinairement prononce la condamnation du coupable. En un mot, l'autorité de ces Infpecteurs eft très-grande, & leur fermeté dans leurs réfolutions égale leur pouvoir; l'Empereur même n'eft pas à l'abri de leur cenfure, lorfque fa conduite déroge aux regles & aux loix de l'Etat. L'hiftoire de la Chine offre des exemples étonnans de leur hardieffe, & de leur courage.

Rien n'eft plus digne d'admiration que la façon de rendre la juftice; le juge étant pourvu gratuitement de fon office, & fes appointemens étant réglés, il n'en coûte rien pour l'obtenir. Dans les affaires ordinaires, un particulier peut s'adreffer aux cours fupérieures, s'il le juge à propos; par exemple, un habitant d'une ville, au lieu de fe pourvoir pardevant le gouverneur de fa réfidence, peut recourir directement au gouverneur de fa province, ou même au Tlong-tou: & lorfqu'un juge fupérieur a pris une fois connoiffance d'une affaire, les juges inférieurs n'y prennent plus aucune part, à moins qu'elle ne leur foit renvoyée. Chaque juge, après les informations néceffaires, & quelques procédures, dont le foin appar tient à des Officiers fubalternes, prononce la fentence que lui dicte la juftice; celui qui perd fa caufe, eft quelquefois condamné à la baftonnade, pour avoir commencé un procès avec de mauvaises intentions, ou pour

l'avoir foutenu contre toute apparence d'équité. Pour les affaires d'importance on peut appeller des jugemens des Vice-Rois, aux cours fuprêmes de Pekin; ces cours ne prononcent qu'après en avoir informé Sa Majefté, qui, quelquefois prononce elle-même, après avoir fait faire toutes les informations convenables; la fentence eft auffi-tôt dreffée au nom de l'Empereur, & renvoyée au Vice-Roi de la province, qui demeure chargé de la faire exécuter. Une décifion dans cette forme eft irrévocable: elle prend le nom de faint Commandement, c'est-à-dire, Arrêt fans défaut, sans partialité.

A l'égard des affaires criminelles, elles n'exigent pas plus de formalités que les affaires civiles. Dès que le magiftrat eft informé d'une affaire, il peut faire punir le coupable fur le champ: s'il eft témoin lui-même de quelque défordre dans une rue, dans une maison, ou dans un chemin, ou s'il rencontre un joueur, un débauché ou un fripon, fans autre forme de procès il lui fait donner par les gens de fa fuite vingt ou trente coups de bâton; après quoi il continue fon chemin cependant ce coupable peut encore être cité à un Tribunal par ceux à qui il a fait quelque tort; on inftruit alors fon procès en forme, & il ne finit que par une punition rigoureuse.

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L'Empereur nomme un commiffaire pour examiner toutes les caufes criminelles fouvent il les adreffe à différens tribunaux, jufqu'à ce que leur jugement foit conforme au fien. Une affaire criminelle n'eft jamais terminée qu'elle n'ait paffé par cinq ou fix tribunaux fubordonnés les uns aux autres, qui font tous de nouvelles procédures, & prennent des inftructions fur la vie & la conduite des accufés & des témoins; ces délais à la vérité, font long-temps languir l'innocence dans les fers; mais ils la Lauvent toujours de l'oppreffion.

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S. XIX.

Loix pénales.

Es voleurs pris armés, font condamnés à mort par la loi s'ils font fans armes, ils fubiffent un châtiment, mais fans perdre la vie, fuivant la nature du vol; il en eft de même fi leur entreprise n'a pas eu d'exécution.

En général, les loix pénales font fort douces à la Chine, & fi les examens réitérés des procédures criminelles retardent la juftice, le châtiment n'en eft pas moins fûr, toujours il eft réglé par la loi, & proportionné au crime. La baftonnade eft le plus léger, il ne faut que peu de chose pour fe l'attirer, & elle n'imprime aucune ignominie; l'Empereur même la fait quelquefois fubir aux perfonnes d'un rang diftingué, & ne les voit pas moins après cette correction,

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