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A la Chine, dit Mr. de Montefquieu, les maximes font indestructibles; elles font confondues avec les loix & les mœurs; les législateurs ont même plus fait encore, ils ont confondu la religion, les loix, les mœurs & les manieres: tout cela fut morale, tout cela fut vertu; ces quatre points furent ce qu'on appelle les rites. Voici comment fe fit la réunion de la religion, des mœurs & des manieres. Les légiflateurs de la Chine eurent pour principal objet la tranquillité de l'Empire; c'eft dans la fubordination, qu'ils apperçurent les moyens les plus propres à la maintenir. Dans cette idée, ils crurent devoir infpirer le refpect pour les peres, & ils rafsemblerent toutes leurs forces pour cela : ils établirent une infinité de rites & de cérémonies pour les honorer pendant leur vie & après leur mort; il étoit impoffible d'honorer les peres morts, fans être porté à les honorer vivans. Les cérémonies pour les peres avoient plus de rapport aux loix aux mœurs & aux maximes; mais ce n'étoit que les parties d'un même code, & ce même code étoit très-étendu. Le refpect pour les peres étoit néceffairement lié à tout ce qui repréfentoit les peres, les vieillards, les maîtres, les magiftrats, l'Empereur (l'Etre Suprême.) Cette vénération pour les peres fuppofoit un retour d'amour pour les enfans, & par conféquent, le même retour des vieillards aux jeunes gens, des Magiftrats à leurs fubordonnés, de l'Empereur à fes Sujets (& de la bonté du Créateur envers fes Créatures raifonnables.) Tout cela formoit les rites, & ces rites l'efprit général de la nation.

Il n'y a point de tribunal dans l'Empire, dont les décifions puiffent avoir force de loi, fans la confirmation du Prince; fes propres décrets font des loix perpétuelles & irrévocables, quand ils ne portent pas atteinte aux ufages, au bien public, & après qu'ils ont été enregistrés par le ViceRoi, les tribunaux des Provinces & publiés dans l'étendue de leur jurifdiction; mais auffi les déclarations ou les loix de l'Empereur n'ont de force dans l'Empire qu'après un enregistrement dans les tribunaux Souverains..

On peut en voir la preuve dans le tome XXV des Lettres édifiantes, page 284. Les Miffionnaires ne purent tirer aucun avantage d'une déclaration de l'Empereur, qui étoit favorable à la religion Chrétienne, parce qu'elle n'avoit pas été enregistrée & revêtue des formalités ordinaires.

L'ufage des remontrances à l'Empereur a été de tout temps autorisé par les loix à la Chine, & il y eft exercé librement & courageufement par les tribunaux & les grands mandarins. On lui repréfente avec autant de fincérité que de hardieffe, que modérer fa puiffance, l'établit au-lieu de la détruire; que telle de fes ordonnances étant contraire au bien du peuple, il faut la revoquer ou y faire des modifications; qu'un de ses favoris abufe de fa bonté pour opprimer le peuple; qu'il convient de le priver de fes charges, & de le punir de fes vexations.

S'il arrivoit que l'Empereur n'eut aucun égard à ces remontrances, &

qu'il fit effuyer fon reffentiment aux mandarins qui auroient eu le courage d'embraffer la caufe publique, il tomberoit dans le mépris, & les mandarins recevroient les plus grands éloges; leurs noms feroient immortalifés, & célébrés éternellement par toutes fortes d'honneurs & de louanges. La cruauté même de quelques Empereurs iniques n'a pas rebuté ces généreux magiftrats, ils fe font livrés fucceffivement aux dangers de la mort la plus cruelle, qu'avoient déjà fubie les premiers qui s'étoient préfentés. De fi terribles exemples n'ont pas arrêté leur zele; ils fe font expofés les uns après les autres, jufqu'à ce que le tyran effrayé lui-même de leur courage, fe foit rendu à leurs représentations. Mais les Empereurs féroces & réfractaires font rares à la Chine; ce n'eft pas un Gouvernement barbare; fa conftitution fondamentale eft entiérement indépendante de l'Empereur; la violence y eft déteftée, & généralement les Souverains y tiennent une conduite toute oppofée, ils recommandent même de ne leur pas laiffer ignorer leurs défauts.

Un des derniers Empereurs, dans un avertiffement qu'il a donné, écrit du pinceau rouge, exhorte tous les mandarins, qui, felon leur dignité ont droit de préfenter des mémoriaux, de réfléchir murement fur ce qui peut contribuer au bien du Gouvernement, de lui communiquer leurs fumieres fans ménagement fur ce qu'ils trouveront de repréhensible dans fa conduire ces excitations par les Souverains mêmes font fréquentes.

Les cenfeurs qu'on nomme Kolis, examinent tout rigoureufement, & font redoutables jufqu'à l'Empereur & aux Princes du fang.

Ces cenfeurs informent l'Empereur, par des mémoires particuliers, des fautes des mandarins, on les répand auffi-tôt dans tout l'Empire, & ils font renvoyés au Li-Pou, qui ordinairement prononce la condamnation du coupable. En un mot, l'autorité de ces infpecteurs eft très-grande, & leur fermeté dans leurs réfolutions, égale leur pouvoir l'Empereur même, n'eft pas à l'abri de leur cenfure, lorfque fa conduite déroge aux regles & aux loix de l'Etat. L'hiftoire Chinoife offre des exemples étonnans de leur hardieffe & de leur courage. Si la cour, ou le grand-tribunal, entreprend d'éluder la juftice de leurs plaintes, ils retournent à la charge, & rien ne peut les faire défifter de leur entreprife. On en a vu quelques-uns pourfuivre, pendant deux ans, un Vice-Roi foutenu par tous les grands de la cour, fans être découragés par les délais, ni effrayés par les menaces, & forcer enfin la cour à dégrader l'accufé dans la crainte de mécontenter le peuple. (Hiftoire des conjurations & confpirations, &c.)

Il n'y a peut-être point de pays où l'on faffe des remontrances au Souverain avec plus de liberté qu'à la Chine. Sous un des derniers Empereurs, un Généraliffime des armées, qui avoit rendu des fervices confidérables à l'Etat, s'écarta de fon devoir, & commit même des injuftices énormes. Les accufations portées contre lui demandoient fa mort. Cependant, à cause de fon mérite & de fa dignité, l'Empereur voulut que

tous les principaux mandarins envoyaffent en cour leur fentiment fur cette affaire un de ces mandarins répondit que l'accufé étoit digne de mort ; mais en même-temps, il expofa fes plaintes contre un Miniftre fort accrédité, qu'il croyoit beaucoup plus criminel que le Généraliffime. L'Empereur qui aimoit ce Miniftre fut un peu étonné de la hardieffe du mandarin; mais il ne lui témoigna point fon mécontentement. Il lui renvoya fon mémorial après avoir écrit ces paroles, de fa propre main : » Si mon miniftre eft coupable, vous devez l'accufer, non pas en termes généraux, » mais en marquant fes fautes, & en produifant les preuves que vous en » avez. » Alors le mandarin, fans crainte de déplaire, entra dans un grand détail fur tous les chefs d'accufation, & fit voir à l'Empereur que le miniftre avoit abufé de fa confiance pour tyrannifer le peuple par toutes fortes d'exactions: il le repréfentoit comme un homme qui vendoit fon crédit, & fe déclaroit toujours en faveur de ceux qui lui donnoient le plus d'argent. Cet indigne miniftre, difoit-il, fe fera engraiffé du fang du peuple, aura violé les loix, méprifé la raifon, offenfé le ciel, & tant de crimes demeureront impunis, parce qu'il eft allié à la famille Impériale? Votre Majesté peut bien dire, je lui pardonne; mais les loix lui pardonnerontelles? C'est l'amour de ces loix facrées qui m'oblige à parler & à écrire. Ces remontrances produifirent leur effet. Le miniftre fut dépouillé de tous fes emplois, chaffé de la cour, & envoyé en exil dans une province éloignée. (Mélanges intéressans & curieux.) On trouve deux exemples femblables dignes d'attention, dans un mémoire de M. Freret, inféré dans ceux de l'Académie des belles-lettres. On en trouve un, auffi remarquable, dans les mémoires du Pere le Comte.

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y a à Pekin fix Cours fouveraines, dont voici les départemens. La premiere s'appelle Lii-pou, elle propofe les mandarins qui doivent gouverner le peuple, & veiller à la conduite de tous les Magiftrats de T'Empire: elle eft auffi dépofitaire des fceaux.

La feconde nommée Hou-pou, eft chargée de la levée des tributs & de la direction des finances.

La troifieme, à qui l'on donne le nom de Li-pou, les coutumes & les rites de l'Empire.

eft pour

maintenir

Les foins de la quatrieme qu'on appelle Ping-pou s'étend fur les troupes, & fur les poftes établies dans toutes les grandes routes, qui font entretenues des revenus de l'Empereur.

La Hing-pou, qui eft la cinquieme, juge des crimes; toutes caufes capitales y font jugées définitivement, c'eft la feule qui ait droit de condamner à mort fans appel; mais elle ne peut faire exécuter un criminel qu'après que l'Empereur a foufcrit l'arrêt.

L'inspection fur les ouvrages publics, tout ce qui concerne les ports & la marine, font du reffort du Tribunal nommé Kong-pou.

Tous ces Tribunaux font divifés en différentes Chambres auxquelles les

affaires

affaires font diftribuées, & comme leur étendue n'eft pas la même dans toutes les parties, le nombre des juges de chaque tribunal varie aussi à proportion.

De ces fix Cours fouveraines relevent encore plufieurs autres tribunaux inférieurs.

Toutes ces cours n'ont proprement au-deffus d'elles que l'Empereur, ou le grand confeil qu'on appelle le tribunal des Co-la-us, compofé de quatre ou fix mandarins, qui font comme les miniftres d'Etat; les fix tribunaux fupérieurs ont les départemens qui font partagés chez nous aux fecrétaires d'Etat, au chancelier, au contrôleur-général des finances: tous ces tribunaux font veillés de près par des infpecteurs fort rigides & fort attentifs à leur conduite; ils ne connoiffent point des affaires d'Etat, à moins que l'Empereur ne les leur envoie ou qu'il ne les commette à cet effet dans ce cas, fi l'un a befoin de l'autre, ils fe concertent, & concourent ensemble pour difpofer de l'argent & des troupes, fuivant l'ufage de l'Empire & l'exigence des cas en tout autre temps, chaque Cour ne fe mêle que des affaires de fon reffort.

Dans un Royaume fi vaste, il est aifé de fentir que l'adminiftration des finances, le gouvernement des troupes, le foin des ouvrages publics, le choix des magiftrats, le maintien des loix, des coutumes & de l'adminiftration de la justice, demandent de la part de ces premiers tribunaux un libre exercice de leurs fonctions: c'eft ce qui a donné lieu d'ailleurs à cette multitude de mandarins à la cour & dans les provinces.

L

S. X V I.
L'impôt.

A fomme que les fujets de l'Empire doivent payer, eft réglée par arẻ pent de terre qu'ils poffedent, & qui eft eftimé felon la bonté du territoire; depuis un temps les propriétaires feuls font tenus de payer la taille, & non pas ceux qui cultivent les terres.

Nul terrein n'en eft exempt, pas même celui qui dépend des temples; on n'exerce point de faifie fur ceux qui font lents à payer, ce feroit ruiner des familles dont l'Etat fe trouveroit enfuite chargé depuis le printemps jufqu'à la récolte, il n'eft pas permis d'inquiéter les payfans; ce temps paffé on reçoit d'eux une quotité de fruits en nature ou en argent, ou bien on envoie dans leurs maisons les pauvres & les vieillards, qui font nourris dans chaque ville des charités du Souverain; ils y restent jufqu'à ce qu'ils aient confommé ce qui eft dû à l'Empereur. Cet arrangement n'a lieu que pour de petits propriétaires qui cultivent eux-mêmes quelque portion de terrein qu'ils poffedent; car comme on vient de le voir, les fermiers ne font pas chargés de l'impôt qui fe leve fur les terres qu'ils culti Tome XV.

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vent, ou fi on leur en demandoit le paiement, ce feroit en diminution du prix du fermage, comme cela fe pratiquè en France à l'égard du vingtieme qui fe leve fur les revenus des propriétaires : ainfi ce paiement fait par le fermier, de côté ou d'autre, lui eft indifférent & ne l'expofe point à être muleté. Le P. Duhalde dit que le total de l'impôt annuel eft de mille millions de notre monnoie, (un milliard). Cet impôt eft peu confidérable à raison de l'étendue de pays qui eft fous la domination de l'Empereur ce qui prouve que les biens, quoique tenus en bonne valeur, font peu chargés.

L'Empereur peut augmenter l'impôt quand les befoins de l'Etat l'exigent ; cependant, excepté dans le cas d'une néceffité preffante, il ufe rarement de ce pouvoir, il a même coutume d'exempter chaque année une ou deux Provinces de fournir leur part, & ce font celles qui ont fouffert quelques dommages, foit par maladies ou autres événemens fâcheux,

C'eft la feconde Cour fouveraine de Pekin, appellée le Hou-pou, qui a, comme nous avons dit, la direction des finances : tous les revenus de l'Etat paffent par fes mains, & la garde du tréfor Impérial lui eft confiée: on ne connoît en ce pays-là, ni fermiers, ni receveurs-généraux ou particuliers des finances. Dans chaque ville, les principaux magiftrats font chargés de la perception de l'impôt. Ces mandarins rendent compte au tréforier-général établi dans chaque Province, qui rend compte au Houpou, & ce Tribunal à l'Empereur.

Suivant les anciens principes du Gouvernement Chinois, qui regardent le Souverain comme le chef d'une grande famille, l'Empereur pourvoit à tous les befoins de fes officiers. Une partie des tributs de la Province s'y confomment par les penfions de tous les genres des magiftrats, & de tous les autres ftipendiés; par l'entretien des pauvres, des vieillards & des invalides; par le paiement des troupes; par les dépenfes des travaux publics; par l'entretien des poftes & de toutes les grandes routes de l'Empire; par les frais des examens, & des dépenfes de voyage des afpirans aux degrés; par les revenus deftinés à foutenir la dignité des Princes & Princeffes de la Famille Impériale; par les fecours que l'Empereur accorde aux Provinces affligées des calamités; par les récompenfes qu'il diftribue pour foutenir l'émulation & les bons exemples, ou pour reconnoître les bons fervices de ceux qui en quelque genre que ce foit, ont procuré quelque avantage à l'Etat, ou qui fe font diftingués par des actions fignalées.

Les mandarins qui font appellés des provinces à la cour, ou que la cour envoie dans les provinces font défrayés fur toute la route, ainfi que leur fuite, & on leur fournit les barques & les voitures dont ils ont befoin. La même chofe s'observe à l'égard des ambaffadeurs des puiffances étrangeres, ils font entretenus aux dépens de l'Empereur, depuis le premier jour qu'ils entrent fur les terres jusqu'à ce qu'ils en fortent: arrivés à

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