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Quoique fuivant les loix, les Chinois. ne puiffent avoir qu'une femme légitime, & que dans le choix que l'on en fait, on ait égard à l'égalité du rang & à l'âge, il eft néanmoins permis d'avoir plufieurs concubines; mais ce n'eft qu'une tolérance, dans la vue de ne pas mourir fans postérité. La loi n'accorde cette liberté qu'à ceux dont la femme eft parvenue à l'âge de quarante ans fans avoir d'enfans.

Lorfqu'un mari veut prendre une feconde femme, il paie une fomme convenue avec les parens de la famille, & leur promet par écrit d'en bien ufer avec elle. Ces fecondes femmes dépendent abfolument de l'épouse légitime, & doivent la refpecter comme la maîtreffe de la maison, leurs enfans font cenfés appartenir à la premiere, qui feule porte le nom de mere; ils ont droit dans ce même cas de pure tolérance, à la fucceffion du pere avec les enfans de la femme légitime, s'il en furvenoit, ce qui marque l'étendue du droit de fucceffion, & la fureté du droit de propriété dans cet Empire.

§. XIII.
L'Agriculture.

LE E menu peuple de la Chine ne vivant prefque que de grains, d'her bes, de léguines, en aucun endroit du monde, les jardins potagers ne font ni plus communs, ni mieux cultivés. Point de terres incultes près des vil les, point d'arbres, de haies, de foffés; on craindroit de rendre inutile le plus petit morceau de terrein.

Dans les provinces méridionales, les terres ne repofent jamais, les collines, les montagnes mêmes font cultivées depuis la bafe jufqu'au fommet: rien de plus admirable qu'une longue fuite d'éminences entourées & comme couronnées de cent terraffes qui fe furmontent les unes les autres en retréciffant on voit avec surprise des montagnes qui ailleurs produiroient à peine des ronces ou des buiffons, devenir ici une image riante de fertilité (Hiftoire générale des voyages.)

:

Les terres rapportent généralement trois moiffons tous les ans, la premiere des riz, la feconde de ce qui fe feme avant que le riz foit moiffonné, & la troifieme de feves ou de quelques autres grains. Les Chinois n'épargnent aucuns foins pour ramaffer toutes les fortes d'immondices prores à fertilifer leurs terres, ce qui d'ailleurs fert beaucoup à l'entretien de la propreté des villes.

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Tous les grains que nous connoiffons en Europe, tels que le froment, le riz, l'avoine, le millet, les pois, les feves, viennent bien à

la Chine.

L'ufage eft que le propriétaire de la terre prend la moitié de la récolte, & qu'il paie les taxes; l'autre moitié refte au laboureur pour fes frais & fon travail. Les terres n'étant pas chargées de la redevance de la dixme Tome XV.

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eccléfiaftique dans ces pays-là, la portion du laboureur fe trouve à peu près dans la même proportion que dans ces pays-ci pour les fermiers, dans les provinces où les terres font bien cultivées.

Les laboureurs font à la Chine au-deffus des marchands & des artifans. Il y a quelques Royaumes en Europe où l'on n'a pas encore fenti l'importance de l'agriculture, ni des richeffes néceffaires pour les entreprises de la culture, qui ne peut être foutenue que par des habitans notables par leur capacité & par leurs richeffes; en ces pays l'on regarde les laboureurs comme de fimples payfans, manouvriers, & l'on a fixé leur rang au-dessous du bas peuple des villes. (Voyez les loix civiles de Domat, vous connoitrez quel eft ce Royaume, & quelle idée on y a des loix fondamentales des fociétés.)

Au contraire l'agriculture a toujours été en vénération à la Chine, & ceux qui la profeffent ont toujours mérité l'attention particuliere des Empereurs; nous ne nous étendrons pas ici fur le détail des prérogatives que ces Princes leur ont accordées dans tous les temps.

Le fucceffeur de l'Empereur Lang-Hi, a fur-tout fait des réglemens trèsfavorables pour exciter l'émulation des laboureurs. Outre qu'il a donné luimême l'exemple du travail, en labourant la terre & en y femant cinq fortes de grains, il a encore ordonné aux Gouverneurs de toutes les villes, de s'informer chaque année de celui qui fe fera le plus distingué, chacun dans fon gouvernement, par fon application à la culture des terres, par une réputation integre, & une économie fage & bien entendue. Ce laboureur eftimable eft élevé au degré de mandarin du huitieme ordre, il jouit de la nobleffe & de toutes les prérogatives attachées à la qualité de mandarin.

L'Empereur Xun a établi une loi qui défend expreffément aux Gouver neurs de provinces de détourner par des corvées les laboureurs des travaux de l'agriculture.

L'Empereur Yao éloigna fes enfans du trône pour y placer un jeune laboureur qui s'étoit rendu fort recommandable par fa fagacité & fa probité. Celui-ci après un regne glorieux, laiffa la couronne à Yu, qui par l'invention des canaux, avoit trouvé le moyen de faire rentrer dans la mer les eaux qui couvroient la furface d'une partie de l'Empire, & de faire ufage de ces canaux pour fertilifer les terres par les arrofemens. C'est par fon élévation au trône, & par de tels travaux, que l'agriculture reçut un Juftre éclatant. (Mélanges intéreans & curieux.)

Il y a une fête du printemps pour les habitans de la campagne; elle confifte à promener dans les champs une grande vache de terre cuite, dont les cornes font dorées : cette figure eft fi monftrueufe que quarante hommes ont peine à la foutenir, elle eft fuivie immédiatement d'un jeune enfant ayant un pied nud & l'autre chauffé, & qui la frappe d'une verge comme pour la faire avancer; cet enfant eft le fymbole de la diligence

& du travail. Une multitude de laboureurs avec tout l'attirail de leur profeffion entourent la figure, & la marche eft fermée par une troupe de mafques.

Toute cette foule fe rend au palais du gouverneur ou du mandarin du fieu; là on brite la vache, & on tire de fon ventre quantité de petites. vaches d'argile dont elle eft remplie, (Symbole de fécondité) & on les diftribue aux affiftans. Le manda: in prononce un difcours à la louange de l'agriculture, & c'est ce qui termine la cérémonie.

§. XIV.

Le Commerce confidéré comme dépendance de l'Agriculture. ON a vu que l'Empire de la Chine étoit très-abondant en toutes fortes de productions, il eft aifé de préfumer de-là que le commerce de cette nation eft très-floriffant; mais comme les Chinois trouvent chez eux toutes les commodités de la vie, (& que la grande population affure le débit & la confommation de toutes les denrées dans le pays même), leur commerce extérieur eft très-borné relativement à l'étendue de cet Etat. Leur principal négoce fe fait dans l'intérieur de l'Empire, dont toutes les parties ne font pas également pourvues des mêmes chofes; chaque Province ayant fes befoins & fes richeffes particulieres, elles refteroient toutes dans l'indigence, fi elles ne fe communiquoient réciproquement ce qu'elles ont d'utile. Une circulation établie dans un pays de dix-huit cents lieues de circonférence, préfente fans doute l'idée d'un commerce fort étendu : auffi l'hiftorien dit que le commerce qui fe fait dans l'intérieur de la Chine eft fi grand, que celui de l'Europe ne peut pas lui être comparé. Un commerce purement intérieur paroîtra bien défectueux à ceux qui croient que les nations doivent commercer avec les étrangers pour s'enrichir en argent. Ils n'ont pas remarqué que la plus grande opulence poffible confifte dans la plus grande jouiffance poffible, que cette jouiffance a fa fource dans le territoire de chaque nation, que cette fource eft la fource même de Por & de l'argent, foit qu'on les tire des mines, foit qu'on les achete avec d'autres productions; ceux qui ont des mines, vendent en or & en argent pour étendre leur jouiffance à laquelle les métaux font inutiles par eux-mêmes; ceux qui n'ont pas de cette marchandife, l'achetent fimplement pour faciliter les échanges dans leur commerce, fans s'en charger au-delà de cet ufage, parce que l'or & l'argent fe paient avec des richeffes plus néceffaires que ces métaux, & que plus on en acheteroit, plus on diminueroit la jouiffance qui eft la vraie opulence; d'ailleurs on confond le commerce des nations, qui n'a pour objet que la jouiffance, avec le commerce des marchands, qui eft un fervice qu'ils font payer fort cher, & d'autant plus cher que leur commerce s'étend au loin; ainfi plus les nations peu

vent en épargner les frais, au préjudice même des grandes fortunes des commerçans, & pour les dépenfes néceffaires à la réproduction perpétuelle des richeffes qui naiffent de la terre, plus ils affurent les revenus de la nation & du Souverain.

Le tranfport des différentes marchandises eft très-facile à la Chine, par la quantité des canaux dont chaque Province eft coupée, la circulation & le débit y font très-prompts; l'intérêt qui fait la paffion dominante du peuple Chinois, le tient dans une activité continuelle tout eft en mouvement dans les villes & dans les campagnes, les grandes routes font auffi fréquentées que les rues de nos villes les plus commerçantes, & tout l'Empire ne femble être qu'une vafte foire.

Mais un vice dans le commerce, c'eft, dit-on, le défaut de bonne-foi: les Chinois ne fe contentent pas de vendre le plus cher qu'ils peuvent, ils falfifient encore leurs marchandises : une de leurs maximes eft que celui qui achete donne le moins qui lui eft poffible, & que même ils ne donneroient rien fi on y confentoit; ils inferent de-là qu'on peut exiger & recevoir les plus groffes fommes, fi celui qui achete eft affez fimple, ou affez peu intelligent pour les donner. Ce n'eft pas le marchand qui trompe, difent-ils, c'eft l'acheteur qui fe trompe lui-même : on ne fait nulle violence, le profit que retire le vendeur eft le fruit de fon induftrie.

Les voyageurs ont fortement établi en Europe l'opinion de ce brigandage des Chinois dans leur commerce, ils citent même des exemples de falfifications fi groffieres & fi répréhenfibles, qu'il faudroit en conclure que le vol, le pillage fe pratique impunément à la Chine, où cependant la police s'exerce avec l'exactitude la plus rigoureufe pour les plus petits délits, ce qui s'étend même jufques dans l'obfervation du rite du cérémonial civil qui eft porté à l'excès. Ceux qui ont fait ces relations, ont confondu furément le négoce qui fe fait dans le port de Canton avec les Européens; ils ont confondu, dis-je, ce négoce nouvellement établi, où l'on a cherché à fe tromper de part & d'autre avec le commerce qui se fait entre les fujets de l'Empire. Le Gouvernement qui s'intéreffe peu au négoce étranger, y tolere les repréfailles frauduleufes, parce qu'il eft difficile d'affujettir au bon ordre des étrangers de trois mille lieues, qui difparoiffent auffi-tôt qu'ils ont débité leurs marchandifes. Nous avons beaucoup d'exemples de nations très-louables, qui ont été corrompues par l'accès d'un commerce étranger; mais il paroît que dans la repréfaille, les Chinois font devenus plus habiles que les Européens, & qu'ils exercent cette habileté avec d'autant moins d'inquiétude qu'ils ne s'expofent point à venir commercer dans nos ports où les marchands fe fréquentent, fe connoiffent, & où la bonne-foi s'établit. Il n'eft pas concevable qu'un commerce puiffe s'exercer entre les habitans d'un pays avec des représailles frauduleufes & réciproques; que gagneroit-on à s'entre-tromper mutuellement? Cela n'apporteroit qu'une inquiétude pénible & fort embarrassante,

qui rendroit un commerce journalier, fort difficile, & prefqu'impraticable; mais cela eft encore plus inconcevable dans une nation auffi policée qu'elle l'eft à la Chine, où de tout temps la bonne-foi & la droiture ont été recommandables dans le commerce: c'eft un des principaux objets de la morale de Confucius, morale qui fait loi dans cet Empire.

Le commerce intérieur de la Chine étant très-floriffant, il n'eft pas étonnant que fes habitans fe mettent fi peu en peine de l'étendre au dehors, fur-tout quand on fait attention au mépris naturel qu'ils ont pour les nations étrangeres. Le commerce extérieur eft très-borné : Canton, Èmouy, Ningpo, villes maritimes, font les feuls ports où l'on charge pour l'étranger; leurs voyages fur mer ne font pas non plus de long cours, ils ne paffent guere le détroit de la Sonde; leurs embarquemens ordinaires font pour le Japon, pour Siam, Manille & Batavia.

Les commerces éloignés font peut-être plus nuifibles que favorables à la profpérité des nations qui s'y livrent, abftraction faite des commerçans qui peuvent y faire de groffes fortunes, en grande partie aux dépens de leurs concitoyens; les marchandifes que l'on va chercher fi loin, ne font guere que des frivolités fort cheres, qui entretiennent un luxe très-préjudiciable. On pourroit nommer plufieurs nations fort attachées à ce genre de commerce qu'elles exercent dans toutes les parties du monde, & qui, à la réserve des profits de leurs commerçans, ne fourniffent pas des exemples de prospérité.

. X V.

Légiflation pofitive.

LEs loix de la Chine font toutes fondées fur les principes de la morale, car, comme on l'a déjà dit, la morale & la politique ne forment à la Chine qu'une même science; & dans cet Empire, toutes les loix pofitives ne tendent qu'à maintenir la forme du Gouvernement; ( Mélanges intére fans & curieux.) Ainfi il n'y a aucune puiffance au-deffus de ces loix, elles fe trouvent dans les livres claffiques, que l'on nomme facrés & qui font appellés l'U-King; c'eft-à-dire, les cinq volumes. Autant les Juifs ont de vénération pour l'ancien Teftament, les Chrétiens pour le Nouveau, les Turcs pour l'Alcoran, autant les Chinois ont de respect pour l'U-King. Mais ces livres facrés comprennent tout ensemble la religion & le gouvernement de l'Empire; les loix civiles & les loix politiques les unes & les autres font dictées irrévocablement par la loi naturelle, dont l'étude fort approfondie eft l'objet capital du Souverain & des lettrés chargés du détail de l'adminiftration du gouvernement. Ainfi tout eft permanent dans le Gouvernement de cet Empire, comme la loi immuable, générale & fondamentale, fur laquelle il eft rigoureufement & lumineufement établi,

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