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le liant à un plus grand nombre augmente par-là fa Dépendance. Défirer un grand pouvoir, de grands honneurs, de grandes charges, une grande opulence, c'eft réellement fouhaiter de grands devoirs à remplir, de grands befoins à fatisfaire, de grandes gênes à fupporter, en un mot, des Dépendances d'autant plus affujettiffantes qu'on fe fait honneur de s'y foumettre.

La Dépendance eft tellement inhérente à la forme fociate, que, dans les fociétés où tous dépendent d'un feul, celui-ci dépend de tous.

DÉPENSE, f. f.

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TOUTE la marche de notre subsistance a commencé par des Dépen-

fes, c'eft-à-dire, la consommation. L'homme a confommé les produits Spontanés de la nature, avant de lui en demander par le travail de la culture: cet art fixe les fociétés errantes. L'espoir de la récolte, motif de la culture, a fixé les propriétés. Le cultivateur travaille d'abord pour lui & pour les coadjudans leur confommation eft la premiere forte de Dépenfe. Les débiles & les induftrieux de la fociété, qui ne cultivent point, mais qui préparent, confervent, &c. ont befoin de fubfiftances, qui exigent un excédant de productions par delà la fubfiftance des cultivateurs; feconde forte de Dépenfe. L'échange des fubfiftances leur donne une valeur; cette valeur donne au produit la qualité de richeffe; fans cette qualité elles ne fe multiplieroient pas. Perfonne ne travaille à recueillir l'eau que là où elle fe vend, quoique ce foit le premier bien. Voici donc la production généalogique des productions: consommation engendre demande, demande engendre valeur d'échange ou valeur vénale; valeur vénale engendre richeffe, & richeffe engendre productions.

Voilà donc deux fortes de Dépenfes établies. La valeur des produits donne un prix à la terre: la fociété fe forme: l'enchere des produits entraîne la valeur des fonds de terre, & l'enchere du droit de cultiver. Dès lors il fe forme une troifieme claffe, qui eft celle des propriétaires; qui cedent le droit ufuel de leur propriété, moyennant une portion des produits réservée pour leur fubfiftance. Cette portion fuppofe un produit net ou difponible, c'eft-à-dire, qui ne foit point deftiné à la fubfiftance des cultivateurs & coadjudans, ni à la fubfiftance de ceux qui leur fournissent leurs befoins. Ce produit net eft réellement disponible, c'est-à-dire, qu'il peut être dépensé par les Souverains, les décimateurs & par les propriétaires quelconques. Voilà donc trois claffes dans la fociété; favoir, 1o. les propriétaires : 2o. les cultivateurs, que nous appellons claffe productive, parce qu'en effet c'eft elle qui produit tout, & 3°. ceux que nous appellons claffe ftérile, parce qu'ils donnent la forme & ne produisent rien.

Ces trois claffes font trois fortes de Dépenfes qui donnent le branle à toute l'action de la fociété : la valeur aux produits de la terre; par celleci, à la propriété des fonds, & par cette derniere, au titre d'Empereur, de Roi de tel ou tel autre pays.

On voit par la gradation généalogique énoncée ci-deffus, que la fource des Dépenfes eft la dépenfe elle-même; que plus on dépenfe pour la production, plus on obtient de produits que la confommation enfin eft mere de la production. Ce n'eft pas parce qu'on feme du bled qu'on mange du pain; mais parce qu'on demande du pain & qu'on offre de le payer qu'on feme du bled: la fource des Dépenfes eft donc la Dépenfe elle-même; mais cet axiome général eft, dans fa conféquence, affujetti à des regles de détail qu'il faut toutes analyser, étudier & circonfcrire, & qui naîtront fous nos pas toujours en fuivant la trace de la nature.

La terre répond avec ufure à nos travaux, fans quoi la feconde génération n'eût pas été plus nombreufe que la premiere; car où s'arrête la subsistance, là se borne la population. Mais cette mere nourrice est libérale dans des proportions réglées. Plus on lui donne, plus elle rend: elle refufe pareillement à raifon de ce qu'on eft parcimonieux avec elle. La culture & la production demandent de grandes avances, & plus grandes qu'on ne fauroit l'imaginer, & que ne le penfent fur-tout les citadins qui croient qu'il ne faut que les bras pour avoir des produits; il eft démontré que la claffe productive, au moyen de dix mille livres, par exemple, d'avances productives bien entretenues, & de deux milles livres d'avance annuelles pleinement & librement confiées à la terre, reproduit deux mille livres de produit net ou revenu payé aux propriétaires. C'est par l'emploi de ce revenu que commence la diftribution des Dépenfes.

La claffe propriétaire verfe la moitié du revenu, c'eft-à-dire, mille livres fur la claffe productive, pour fa fubfiftance, & l'autre moitié fur la claffe ftérile pour fes autres Dépenfes. Suivons les autres claffes.

La claffe productive de ces mille livres reverfées, en dépense moitié fur elles-même en achats & confommation de fubfiftances pour les agens &c. & verfe l'autre moitié fur la claffe ftérile, pour les Dépenfes de ce genre. D'autre part, la néceffité contraint la claffe ftérile à la même répartition. Voilà la circulation qu'il eft inutile de fuivre dans fes rameaux de détail & de répartition individuelle à l'infini. Chaque claffe a donc reçu deux mille livres, quoiqu'il n'y ait en circulation que deux mille livres en tout. La claffe propriétaire les a reçues de la claffe productive, en paiement des fermages: la claffe productive les a pareillement reçues, favoir, mille livres directement par les achats directs que la claffe propriétaire a faits chez elle; cinq cents livres de la claffe ftérile, de la moitié des mille livres, que la claffe propriétaire avoit verfée fur celle-ci, & autres cinq cents livres qui lui reviennent de la claffe ftérile, pour l'emploi,

par la Dépenfe de la moitié des mille livres que la claffe productive lui a portée par fes achats. De fon côté la claffe ftérile a touché pareillement les deux mille livres favoir mille livres directement de la claffe propriétaire, cinq cents livres de la moitié du versement de la claffe propriétaire fur la claffe productive, & cinq cents livres qui retournent à elle de fon propre versement fur la claffe productive. Par ce moyen ces deux mille livres en circulation ont fait l'effet réel de fix mille livres; mais elles ne l'ont fait en représentation que parce que la quotité des richeffes repréfentées & leur confommation ont été telles. C'eft ainfi que nous parcourrons & reconnoîtrons pied à pied l'anatomie entiere de la fociété.

Confidérons feulement ici l'effet de l'interception de quelque partie du numéraire circulant, pour le retenir dans les rets de l'avarice ou de la cupidité voyez le triple de productions invendues, la valeur vénale, la qualité de richeffe, la production & par conféquent la fubfiftance retranchées d'autant; l'obftruction, la maladie; & par les progrès calculés du mal, la mort du corps politique qui en réfulte.

Le revenu eft la feule portion difponible de la production : & c'eft de la maniere dont on le dépenfe, que dépend tout le branle de la fociété. Il n'y a même que le revenu qui foit proprement Dépense; car chacun pourroit confommer fes produits, fans procurer aucun des effets de la Dépense. Le revenu, au contraire, fuppofe la valeur vénale, la fociété formée, les achats & les ventes en ufage, & le numéraire convenu : un plus grand revenu fuppofe un grand Etat; les chemins ouverts, les rivieres navigables, les mers libres, les befoins multipliés, les arts perfectionnés, & la terre fertilifée par une bonne & forte culture; en un mot le revenu eft le thermometre moral & phyfique d'un Etat.

II importe d'abord que le revenu foit dépenfé; mais il faut qu'il le foit dans la direction & felon la diftribution que j'ai marquée ci-deffus. La reproduction des Dépenfes eft le complément de l'œuvre œconomique & le point central de toute action de la fociété; tout fe consomme, il faut que tout fe reproduife. Plus on confomme, plus on demande; plus on demande, plus les chofes demandées acquierent de valeur d'échange ou de valeur vénale; plus la valeur vénale est attribuée à une chose quelconque, plus cette chofe acquiert la qualité de richeffe, & plus l'homme avide de richeffe travaille pour se la procurer; & plus auffi celui dont le travail le produit eft en état d'accroître fon travail par l'aide de tout ce qui peut y concourir, qu'il acquerra toujours avec des richeffes. La Dépenfe donc des richeffes eft la voie de la reproduction des richeffes qui doivent fournir aux nouvelles Dépenfes. Plus on confomme de produits, & plus les produits que l'on confomme ont de valeur, plus on verra renaître de produits. If eft néceffaire, il eft vrai, que la valeur de ces produits fe foutienne, pour que la Dépense ne ceffe pas d'être Dépense circulante & reproduite, pour n'être plus que confommation fourde & inac

sive & par-là bientôt expirante. Cependant le maintien de la valeur vénale abfolument néceffaire à la qualité de richeffe, paroît difficile au premier coup-d'œil, puifque la terre produifant avec ufure, la furabondance paroît devoir faire tomber le prix; mais le commerce vient au fecours: la population, fans qu'il foit befoin de la calculer par générations, fe trouvera toujours au niveau des subsistances, quand elles auront une valeur vénale, & foutiendra cette valeur. Mais il faut, pour que cette condition subsiste, que tout l'ordre œconomique & politique de la fociété porte & tende vers l'accroiffement du revenu, qui fert pour diftribuer des falaires à tous les ordres de la fociété : que toutes les Dépenfes tournent en confommation des produits on verra s'étendre à l'infini la reproduction des Dépenses.

Voilà qui peut fuffire pour remplir la carriere œconomique, & trouver le grand œuvre de la reproduction des fubfiftances, toujours par l'action &, la reproduction des Dépenfes. Eclairciffons la voie maintenant, & montrons les conféquences qui résultent de ces principes.

Il est question des rapports des Dépenfes entr'elles. C'eft de tous les points de la science œconomique celui qui demande le plus d'étude, & qui fuppofe le plus d'habitude des principes & des réfultats; mais auffi c'eft le complément de l'inftruction à cet égard. Et comme les Dépenfes ne fauroient avoir de rapports entr'elles que par le moyen du commerce, je commencerai par cet agent univerfel de la fociété.

Le commerce a des Dépenfes qui font payées par le produit net ou revenu; c'eft le porte-faix dont vous payez le voyage pour faire porter une caiffe d'un bout à l'autre de la ville; mais il y en a auffi qui fe font aux dépens du revenu. Une toife de bois apportée en ville de loin ou de près, fe vend au même prix de quarante livres; par exemple, fi elle coûte trois livres de frais d'exploitation & trente-quatre livres de frais de transport, il n'y a que trois livres pour le propriétaire; c'eft trente-quatre livres retranchées sur le revenu, mais non payées par le revenu. Cette fomme ne peut pas entrer non plus dans le compte des Dépenfes du revenu de celui qui a acheté la toife de bois, puifqu'il ne l'a pas achetée plus cher que fi elle n'avoit coûté que trois livres de frais de tranfport. C'est donc le fonds lui-même qui fournit cette Dépenfe au préjudice du revenu : cette Dépense donc rentre dans l'ordre des confommations d'un plus grand produit total par de plus grands frais de cultivation : confommations inutiles & fans effet dans la fociété & par la fociété. Si au lieu d'égoûts dans la ville pour entraîner les immondices, vous les faifiez enlever & balayer, & tranfporter à la riviere par des hommes, ce feroit bien des hommes employés, & bien des confommations de plus; on ne s'en avise pas néanmoins; & l'on fent fans favoir pourquoi, que ce feroient des hommes en pure perte.

Il n'eft donc de Dépenfes utiles, de véritables Dépenfes, qu'autant qu'elles ont de rapport entr'elles. Ce principe une fois bien pofé, il faut pour

anatomiser la fociété entiere, & difcerner les différens rapports de Dépenfes, pofer la barriere qui fépare & diftingue l'effet des différens travaux. - La claffe productive comprend tous les hommes deftinés aux travaux néceffaires pour obtenir les productions propres à la jouiffance des hommes. Ces travaux fe terminent à la vente des productions en premiere main: c'eft là la barriere. Par cette vente, les productions paffent comme matiere premiere dans les mains des agens de la claffe ftérile, pour la fabrication, ou comme marchandises, pour être transportées & revendues aux lieux de leur confommation: l'accroît de leur prix, paffé cette premiere vente, n'eft point augmentation de richeffes; cet accroît n'eft que prix de rétribution due aux agens de la claffe ftérile : & ce prix eft pour eux prélevé d'avance fur celui de la vente en premiere main. Le produit total des ventes de la premiere main, faites par la claffe productive dans l'année, est donc la mesure des richeffes renouvellées dans cette même année. Ces principes une fois bien établis, c'eft fur le terrein donné, fur fon étendue, fa nature & fes débouchés, que l'on peut calculer jufqu'au dernier denier, & jufqu'à la moindre tête, le degré de puiffance & de population dont un Etat eft fufceptible dans les mains d'un Gouvernement conforme aux loix de la nature.

Rapports des Dépenfes avec la population.

LA population eft aftreinte aux bornes de la fubfiftance. Il faut que la

portion de fubfiftance de chaque individu devance le jour de fa naiffance; que le retour régulier de cette portion lui foit affuré par la continuation de fon travail, & qu'en raifon de ce que cette portion devient furabondante, il puiffe la partager avec fa famille. Avant de faire naître des hommes, il faut leur trouver de l'emploi & des falaires; pour affurer & perpétuer cet emploi & ces falaires, il faut affurer & perpétuer les richeffes, il faut que la répartition des fubfiftances foit un ordre de diftribution des rétributions. La terre eft fertilifée par ceux qui peuvent lui fournir les avances ceux-ci ne font travailler qu'à condition que le travail fe falarie lui'même. Pour qu'ils facrifient leurs avances à cet efpoir, il faut que la valeur vénale des productions qu'ils follicitent foit conftante & affurée. C'eft fur cette valeur vénale que tout leur calcul eft fondé plus ils voient cette valeur croître, plus ils donnent de travail & de falaires: tant ce calcul n'a de fondement que la confommation courante & conftante: c'eft ainfi que la Dépense prépare, étend & limite la production. C'eft par cette marche feulement qu'on peut affurer une portion conftante de fubfiftances à la génération future, & à un accroiffement de population proportionné à l'accroiffement affuré des richeffes. Loin donc de refferrer les Dépenses de fubfiftances, il faut au contraire exciter la confommation des subsistances, puifque plus l'on en confomme, plus la terre en reproduit. En un mot,

la

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