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vons de temps à autre, tant dans les grains que dans les autres Denrées de premiere néceffité, des chertés, qui, comme je l'ai déjà observé, caufent au commerce un préjudice infini: car quand les grains ne manqueroient pas dans tout le Royaume à la fois, & qu'une partie feroit en état d'en fournir à l'autre par la voie du commerce, les frais de transport qui feroient confidérables d'une Province fouvent éloignée à une autre, & les gains que font les marchands dans ce cas, en augmentent de beaucoup le prix, & occafionnent toujours une partie du mal que j'ai expofé. Pareillement fi l'abondance eft un peu grande, le prix de la Denrée en est entiérement avili; le marchand y met un taux fi bas, que les particuliers qui en ont du fuperflu, font obligés, pour s'en défaire, & faute de pouvoir le conferver pour une faifon plus convenable, de le donner presque pour rien, de maniere que loin de profiter de cette abondance, ils tirent à peine affez d'argent de leurs grains pour payer les impofitions & fe dédommager des frais de culture, qu'ils ont été obligés d'avancer. Le marchand qui eft contraint de faire voiturer au loin pour en avoir le débit, en voit fouvent doubler & même tripler le prix de la premiere valeur par les frais exorbitans qu'il lui en coûte. Tout cela tombe en pure perte pour le cultivateur & l'acheteur, de forte que tous les ordres de l'Etat s'en reffentent : tels font les inconvéniens dangereux pour le commerce & la subsistance d'un Etat; il feroit bien à propos de les détruire, & il ne feroit peut-être pas impoffible d'y réuffir, en imitant en quelque forte l'exemple des Egyptiens, & en faifant conftruire dans différens endroits de chaque Province, de vaftes magafins, où l'on conferveroit dans les années favorables le furplus des grains, pour fuppléer aux années de difette.

Obfervations fur les magasins à grains qu'on peut établir en France.

CETTE

ETTE matiere a été beaucoup difcutée depuis quelque temps. On a trouvé que nos peres ont eu, comme nous à ce fujet, les mêmes idées; mais la queftion a toujours été indécife. Tantôt on a permis le commerce des grains de Province à Province, tantôt on l'a empêché, à caufe des abus qui s'y commettoient; puis on l'a permis de nouveau; de même aussi on a tantôt permis, & tantôt prohibé l'exportation des grains chez l'étran ger, & tantôt permis avec certaines reftrictions. Comment fe déterminer? Le peuple cultivateur n'eft point en état par lui-même de faire des magafins, & de conferver le furplus de fes grains dans les années d'abondance pour les années de difette. Il y auroit même à appréhender, fi en général les propriétaires des terres fe trouvoient dans une aifance proportionnée à une telle entreprife, qu'ils ne fe relâchaffent dans le travail, & que l'agriculture n'en fouffrit une perte confidérable.

On a remarqué, qu'auffitôt que le laboureur fe trouve un peu dans l'aifance, il ceffe de fe livrer aux travaux pénibles de la charrue, & s'en dé

barraffe fur des mercénaires qu'il tient à fes gages. Il cherche à donner à fes enfans une éducation fupérieure, & difproportionnée à fon état. Voilà pour la fuite autant de fujets qui abandonnent l'agriculture, & qui augmentent, foit dans les Provinces, foit dans les Villes, une espece de peuple fainéant, qui ne s'occupant prefqu'à rien, deviennent autant de membres inutiles dans l'Etat par ce moyen, les terres n'ont jamais le nombre des ouvriers néceffaire pour les cultiver comme elles devroient l'être, & pour leur faire produire les fruits dont elles feroient capables, fi on leur donnoit toutes les améliorations poffibles. Il eft démontré qu'il ne faut jamais que le petit peuple foit affez opulent pour se fouftraire aux travaux néceffaires de l'agriculture. Il ne feroit guere moins dangereux de le mettre dans une fituation trop aifée, que de le laiffer expofé à une mifere qui le privât du néceffaire, & le réduifit à l'affreufe néceffité de vivre des ali-' mens deftinés aux brutes.

Si on laiffe à des marchands le foin d'enlever dans les campagnes les bleds fuperflus des années d'abondance, pour en faire des magafins fur les lieux mêmes, on verra arriver ce qui arrive tous les jours; ces marchands n'entreprendront ce commerce, que dans la vue d'y gagner confidérablement, & de faire rapporter à leur argent le même intérêt que dans les autres commerces, c'eft-à-dire, au moins dix pour cent. Pour cet effet, comme ils favent très-bien leur compte, & qu'ils favent spéculer aussi-bien que qui que ce foit, ils ne voudront, dans les années d'abondance, acheter les grains qu'à un prix très-modique; par conféquent ils n'enleveront qu'une partie du fuperflu: à l'égard du reftant, le cultivateur ne trouvant pas à s'en défaire, la fera confommer à fes beftiaux, ce qui eft une pure perte pour l'Etat, comme l'a très-bien obfervé Mr. Duhamel dans fon Traité de la maniere de conferver les grains. Si ce marchand fait des magafins, ou il faudra qu'il les faffe conftruire à fes propres dépens fur fon propre fonds, & d'une maniere propre à fon commerce, ou bien il faudra qu'il les loue voilà des capitaux ou des intérêts qu'il fera fupporter comme il eft jufte, fur la vente des grains; les pertes & les déchets qui furviennent à fes grains, font encore des raifons pour en augmenter le prix; enfin ajoutez fur le tout dix pour cent de profit fur tous les capitaux & avances pour chaque année, il s'enfuivra que fi ce bled demeure trois années en magafin, ce bled, quoiqu'acheté à vil prix, deviendra trèscher, pour peu que le marchand y gagne : fi les magiftrats veulent s'en. mêler, & les taxer, comme la chofe paroît affez jufte, le marchand qui aura fait cette tentative, n'y trouvant pas à faire un certain profit, ou ne voudra plus l'entreprendre une autre année; ou s'il eft affez hardi pour le rifquer encore, il achetera les bleds à des prix fi modiques, que le cultivateur n'y trouvera que de la perte. Enfuite, quand les grains, dans une autre année un peu moins abondante, auront hauffé de prix, le marchand cherchant, comme il eft jufte, à faire rentrer fes fonds, fera en état de

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lâcher un peu la main pour vendre; la vente qu'il fera de fon grain, nuira encore à la vente du peu de grain qu'aura le cultivateur, qui par ce moyen n'en deviendra que plus milérable, & le peuple n'en mangera pas le pain à guere meilleur marché.

Enfin, pour reprendre en deux mots tout ce que je viens de dire, fi l'on entreprend de faire des magafins à grains, foit par un commerce libre entre plufieurs petits marchands, foit que de puiffantes compagnies de gens riches & opulens fe forment pour cela, ou que ce foient des perfonnes prépofées par le Roi qui le faffent au profit de fes finances, on n'en fera pas beaucoup mieux pour cela car toutes ces perfonnes, quelles qu'elles puiffent être, attireront à elles la meilleure partie du profit: de forte que ni le cultivateur, ni le consommateur, ne jouiront d'aucun avantage, & il y aura toujours une différence immenfe dans le prix du bled, dans les années de difette & les années abondantes ces différences laifferont fubfifter les mêmes inconvéniens, les mêmes défordres, dont je me plaignois au commencement de cet ouvrage, & ne feront qu'ajouter à la cherté ordinaire un prix qui fera toujours tenir le pain cher, fans que cela puiffe encourager l'agriculteur, ni les artifans: car le laboureur ne profitera d'aucun des avantages de ces magafins, les artifans & les ouvriers fabriquans feront obligés d'acheter les vivres à plus haut prix; par conféquent il eft vifible qu'ils fe trouveront hors d'état de donner leurs ouvrages à un prix plus bas, au contraire ils feront forcés d'en augmenter la valeur; & nos voifins qui entretiennent leurs Denrées fur un pied plus fixe & plus réglé, feront toujours dans le cas de pouvoir donner les marchandifes de leur fabrique à un prix plus bas que les nôtres. Par exemple, l'Angleterre eft dans l'ufage de recueillir plus de bled que nous à proportion; & par des réglemens de police que le Parlement a faits, il fe maintient prefque toujours au même taux, au moyen d'une certaine gratification de tant par mefure de bled que l'on tranfporte hors de l'Ifle. Lorfque le prix du bled paffe une certaine fomme fixée l'Etat encourage les marchands à faire fleurir le commerce, & le bled fe foutient à un certain prix, qui n'eft ni affez haut pour faire fouffrir le peuple, ni affez médiocre pour le jetter dans l'oífiveté. Le prix du bled paffe-t-il le taux fixé, la gratification ceffe, & alors on n'en fait plus fortir de l'Etat : on remarque auffi que communément les Anglois mangent beaucoup moins de pain que les François à proportion; par conféquent il eft rare que leurs terres ne produifent pas une quantité de grains fuffifante pour leur confommation. La Hollande eft dans l'ufage d'avoir du bled & de manger le pain en tout temps au même prix, c'eft l'Etat qui fournit le grain au peuple, & qui va le chercher dans les Contrées où il fe trouve être à meilleur marché. Donc, fi nous n'y faifons une férieuse réflexion, ces peuples qui font nos rivaux pour le commerce, ont & auront toujours un grand avantage fur nous à cet égard, fur-tout les Hollandois qui font plus fobres & laborieux, moins portés au Tome XV.

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libertinage que les François, tant à caufe de leur climat qui eft plus froid, qu'à caufe du défaut de vin qui nuit & dérange beaucoup les ouvriers François.

Il feroit donc fort à fouhaiter que l'Etat voulût adopter quelques moyens qui puffent nous préferver efficacement des inconvéniens qui arrêtent notre commerce, ainfi que les progrès de l'Agriculture & de la population. S'il m'étoit permis de hafarder quelques idées nouvelles fur cette matiere, je ferois prefque certain d'avoir levé le point de la difficulté. Je me flatte même que la politique de notre Gouvernement trouveroit dans ce projet des vues affez étendues pour le bien public, qui ferviroient à affermir encore plus la Puiffance Royale, & à augmenter confidérablement fes forces de terre & de mer, ainfi que le commerce de la nation, Comme je n'ai d'autre deffein que de me rendre utile à ma patrie, & que mon zele ne m'écartera jamais de mon devoir envers mon Prince, je ne crois pas être blâmé, en fourniffant au public un moyen qui me paroît fi effentiel à fon bonheur, ou du moins qui ne peut jamais lui être préjudiciable, quelque interprétation qu'on puiffe donner à mes idées.

Voici donc un nouveau projet que je préfente au public, pour établir dans tout ce Royaume de vaftes magafins, dans lefquels on pourra, pendant les années d'abondance, raffembler toutes les Denrées fuperflues, & même les matieres premieres, qui fervent à nos fabriques, afin que dans tous les temps on puiffe maintenir une balance prefque uniforme dans le commerce; de maniere, par exemple, que le pain qui fe vend dans les marchés de la capitale ne puiffe jamais valoir moins d'un fol fix deniers, ni jamais plus de deux fols la livre, & à proportion dans toutes les villes du Royaume & dans les campagnes, pour réserver pareillement & raffembler tous les autres grains, légumes, vins & autres Denrées, qui par ce moyen feront toujours à des taux proportionnels à leurs qualités; établis fement qui tourneroit également au profit du Roi, à celui des cultivateurs, & à celui des confommateurs, & qui maintiendroit l'uniformité fi importante dans le commerce.

Idée générale d'une Compagnie d'agriculture, divifée en Compagnies particulieres, pour la régie des magafins à grains, & autres entreprifes tendantes à l'avantage de l'agriculture.

NOUS

Ous avons commencé par prévenir nos lecteurs contre les compagnies qui fe forment pour faire des entreprises générales à leur profit; nous avons même fait connoître combien elles font préjudiciables au bien public, & par la même raifon combien elles ont d'inconvéniens qui nuifent au bien de l'Etat, qui eft inféparable de celui des particuliers. Le nouveau moyen que nous allons propofer, n'aura rien de commun avec ces compagnies, que le nom. A l'égard des principes qui ferviront de bafe à cette

compagnie, ils feront totalement oppofés à toutes les regles établies parmi les compagnies ordinaires. Les membres mêmes qui la formeront, ne feront pas des gens qui puiffent fe choifir eux-mêmes, & qui foient obligés d'apporter des fonds pour avoir intérêt dans la fociété. On y recevra indifféremment tous ceux qui réuniront les qualités requifes, pour y pouvoir entrer toutes les conditions pourront y être admifes indiftin&tement pourvu que leurs intérêts femblent fe concilier avec le bien général de la fociété. Cette compagnie n'aura d'autre chef que le Roi, & fera gouvernée fuivant des regles & des ftatuts qui feront fimples, & mis à la portée de tout le monde, afin que tous les intéreffés, depuis le plus petit jufqu'au plus grand, foient en état d'en être inftruits, auffi bien que de toutes fes délibérations, fes dépenfes, recettes, &c. Tout fera rendu public, fans en rien excepter; & par ce moyen les moindres membres pourront participer à la connoiffance des affaires générales de la compagnie, par la connoiffance qu'ils prendront des affaires particulieres.

Des membres qui compoferont cette compagnie, & des qualités requifes pour y être admis.

LE bien public nous paroît demander que, pour compofer cette com

pagnie d'agriculture, on ne fafle choix que des gens qui pofféderont les fonds de terre ou rentes feigneuriales fur les terres qui font dans le Royaume; ainfi à l'exception des Eccléfiaftiques & Communautés religieufes, & de tous particuliers qui n'auront pas, au moins en propre, cinq arpens de terre en une feule piece, ou pour mille livres de fonds de terre, tout le monde pourra être admis dans la compagnie. Les actions vaudront à proportion de la valeur des biens en fonds de chaque intéreffé, ou des rentes feigneuriales qui feront appréciées, en exceptant néanmoins le prix des maifons, moulins & autres machines & engins, qui étant fujets à bien des variations, ne paroiffent pas d'une nature affez folide, pour entrer en comparaison avec les fonds de terre qui ne peuvent jamais manquer.

J'ai cru devoir écarter de la compagnie les Eccléfiaftiques. Ce foin pourroit les diftraire de leur occupation principale, qui eft l'inftruction des peuples; leurs terres étant des fonds morts, elles ne doivent point participer comme celles des autres fujets de l'Etat, au bénéfice qui pourra réfulter pour la compagnie. A l'égard des particuliers qui n'ont pas au moins cinq arpens de terre en une feule piece, je les ai exceptés du nombre de la compagnie, afin d'écarter le petit-peuple qui ne feroit qu'y introduire de la confufion. La précaution d'exiger au moins cinq arpens en une feule piece m'a paru utile, afin d'obliger à l'avenir les gens de la campagne à ne point morceler les terres comme ils font en les divifant, ce qui nuit beaucoup à l'agriculture.

La compagnie fera divifée par diftri&s d'environ vingt ou trente paroif

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