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S. I.

Des Denrées & des matieres premieres.

Left étonnant, a dit un Académicien célébre, combien de choses font devant nos yeux fans que nous les voyions. Les boutiques des artifans brillent de tous côtés d'un esprit & d'une invention, qui cependant n'attirent point nos regards; il manque des fpectateurs à des inftrumens & des pratiques très-utiles, & très-ingénieufement imaginées; & rien ne feroit plus merveilleux, pour qui fauroit en être étonné. (a)

Accordons-nous plus d'attention aux productions naturelles, aux diverfes préparations qu'elles exigent prefque toutes de l'induftrie, foit pour fervir immédiatement à notre ufage, foit pour être rendues propres à recevoir des mains de l'art un nouveau mérite, & pour ainfi dire une création nouvelle? Car l'art rend curieux, intéreffant & nouveau, ce qui nous paroît très-commun & très-ordinaire dans fon état naturel; & de toutes parts l'art préfente à nos regards un nouvel ordre de chofes, un nouvel univers, des êtres pour ainfi dire créés une feconde fois ; & les reffources de l'art étonnent les spectateurs curieux. Mais ne devons-nous que des regards diftraits aux productions naturelles, aux premiers pas, à la premiere marche de l'induftrie?

Tout ce qui nous environne devroit être une fource d'inftructions & de lumieres mais les objets nous font trop familiers; l'habitude de les voir fans ceffe nous rend prefque infenfibles. Notre ame toujours répandue fur la diverfité, fur une infinité d'objets à la fois, fe partage néceffairement & n'en fixe aucun en particulier, à moins qu'elle n'y foit portée par l'attrait d'un intérêt fingulier. C'eft cet attrait qui attire, qui féduit les négocians & les artiftes, qui les fixe & les engage heureufement à la recherche des moyens de s'inftruire & de nous rendre les productions de la nature plus utiles, en les mettant plus à portée de notre ufage & de nos befoins.

On doit obferver dans les manufactures les progrès des arts, leur utilité, leur excellence & qu'en fe multipliant ils ont en quelque forte multiplié les liens de la fociété, liens qui fubfiftent, lors même que ceux de la fociété politique font rompus. Ils ont étendu les befoins & augmenté les communications entre les différentes nations, Mais le principal objet du jeune négociant doit être de connoître le mérite de leurs différentes productions, & les raifons qui peuvent déterminer la préférence des négocians & celle des confommateurs.

(a) Mr. de Fontenelle, Préface fur l'utilité des Mathématiques & de la Phyfique, & fur les travaux de l'Académie des Sciences.

A l'égard

A l'égard des Denrées & des matieres premieres, il doit s'attacher à connoître leurs diverfes qualités & leurs différens emplois; la marche de l'induftrie qui les prépare, les fait circuler & les conferve pour les préfenter à notre confommation de premiere néceffité ou de luxe, befoin des arts qui s'occupent à les rendre propres à nos divers ufages. Cette industrie eft d'autant plus intéreffante, qu'elle donne leur premiere valeur à toutes les productions de la nature.

ou au

La fcience du commerce a, comme les autres fciences, la phyfique, la chymie, l'hiftoire, &c. des endroits qui ne font que curieux. Nous ne la confidérons ici que dans ce qu'elle a de plus utile. Les fervices que le commerce rend à l'humanité par la premiere valeur qu'il donne aux productions de la nature font infinis. Il eft très-intéreffant d'obferver & de connoître la route que le commerce tient pour préfenter à nos befoins, à notre luxe, les productions des trois regnes, qui fe trouvent répandues dans les quatre parties du monde : & cette connoiffance ne fauroit être rendue trop familiere.

Il n'eft prefque point de production qui ne demande quélques foins à l'induftrie pour être confervée, tranfportée ou employée enfuite à divers usages. La plupart exigent une espece de fabrication, de l'exactitude de laquelle dépendent fouvent leurs bonnes, leurs mauvaises ou leurs médiocres qualités telle eft la fabrication qui produit dans le commerce les métaux épurés, les vins, les eaux-de-vie, les fucres; les Denrées compofées de plufieurs productions réunies, comme les liqueurs, la bierre, le favon, &c. Les divers terroirs mettent entre les Denrées femblables une différence effentielle de bonté & de qualité; & les préparations, ou ou cette efpece de fabrications qu'elles demandent pour être préfentées à la confommation, améliorent, confervent ou dégradent les préfens de la nature. C'est là l'une des premieres & des principales caufes de la différence des prix que le commerce donne dans les différens marchés aux diverfes productions de la terre.

C'eft à ces premieres préparations que le befoin, le plus grand & le plus industrieux de tous les maîtres, à enfeignées & perfectionnées, que font dûs les avantages que les différentes nations trouvent à fe faire part réciproquement des dons, que la nature accorde aux divers climats dans lefquels elles vivent; c'eft-là ce qui forme les premiers liens de la fociété, ce qui donna naissance au commerce, & ce qui lui donne encore aujourd'hui fon premier mouvement.

C'est aux foins, aux travaux infinis des négocians, à leurs connoiffances & à leur expérience, que nous devons la bonté & l'exactitude des premieres préparations qu'exigent les Denrées & les matieres premieres, & l'avantage dont nous jouiffons, de les obtenir à propos, de les avoir toujours prêtes pour fatisfaire à nos befoins au plus bas prix qu'il eft poffi ble de nous les procurer, quelque éloigné que foit le pays qui les produit, Bbb

Tome XV.

La diftinction que fait le négociant des diverfes qualités des Denrées, foit qu'il contracte à la premiere main, foit qu'il achete dans les entrepôts par lui-même ou par commiffion, force l'induftrie à perfectionner les préparations des Denrées, & à multiplier les précautions néceffaires pour les conferver. Plus il y a de négocians inftruits occupés des mêmes branches de commerce de Denrées & de matieres premieres, plus il y a de concurrence & cette concurrence tourne entiérement à l'avantage du public en multipliant à l'infini les moyens d'améliorer, de conferver & de produire dans les marchés l'abondance & le bas prix. Les mêmes foins des négocians & leur concurrence enrichiffent les propriétaires des Denrées & des matieres premieres, en donnant à leur fuperflu, un prix qui les met en état d'acquérir les Denrées & les marchandises qui leur manquent, & de fe procurer toutes les commodités de la vie.

L'Europe eft approvifionnée de poivre par les Compagnies des Indes. On le recueille dans les Indes Orientales, principalement depuis Vajapour jufqu'au Cap de Comorin. On en diftingue de deux fortes; le poivre noir & le poivre blanc. Mais ce n'eft ni la plante, ni le terrein qui donnent lieu à cette diftinction: c'eft une préparation donnée au poivre, qui conftitue le poivre blanc, qui ne differe du poivre noir qu'en ce qu'il a été dépouillé de fa peau. On lui donne cette préparation en le battant avant qu'il foit tout-à-fait fec, ou lorfqu'il eft féché en le laiffant tremper quelque temps dans l'eau. Cette préparation donne au poivre une valeur nouvelle ordinairement d'environ cent pour cent.

Il y a du choix à faire dans l'achat du poivre blanc & dans celui du poivre noir. C'eft fur-tout en Hollande qu'on doit acheter le poivre blanc, fi on veut l'avoir de la premiere main. On doit le choifir gros, bien nourri, pefant, fans mélange de grains noirs ni de pouffiere. Étant réduit en poudre, il doit être d'un gris tirant fur le blanc.

Le poivre noir doit être, comme le blanc, gros, bien nourri, pesant, fans mêlange de pouffiere, & les grains ne doivent point être ridés.

On mêle dans le poivre noir des épices grifes d'Auvergne, de la maniguette, de la pouffiere de poivre & de la croute de pain; & dans le blanc des épices blanches ou du poivrbir blanchi avec du riz battu. Il eft très-difficile de reconnoître ces fupercheries, imaginées pour augmenter par ce mélange artificieux de Denrées viles, le poids de la Denrée chere. Le moyen de les éviter c'eft de n'en commettre l'achat qu'à de bons négocians.

Le girofle ne demande pas moins d'attention. Il faut choisir les clous bien nourris, pefans, gros, faciles à caffer, piquant les doigts quand on les manie, d'un goût chaud & aromatique, d'une odeur excellente & laiffant une humidité huileufe lorfqu'on les preffe. On doit rejetter les clous qui n'ont point ces qualités, qui font maigres, mous & prefque fans goût & fans odeur,

La confervation de cette épicerie exige une grande attention de la part des négocians qui en font commerce. Il faut la garder dans un magafin qui ne foit ni trop fec ni trop humide. Elle peut gagner en poids jusqu'à vingt-cinq pour cent. Mais fi l'avidité du gain en augmente trop le poids, il lui fait perdre infiniment de fa qualité.

La canelle qu'on nomme aufli cinnamome, eft l'écorce d'un arbre qui ne croît que dans l'Ile de Ceylan. Les Hollandois maîtres de cette Ifle, le font auffi de tout fon commerce, dont la canelle eft la principale branche. Eux feuls apportent cette épicerie en Europe, ainfi que la mufcade & le clou de girofle. Il feroit inutile de s'arrêter aux différentes fortes de canelle qui fe trouvent ailleurs qu'à Ceylan, qui n'ont avec celle-ci qu'une reffemblance imparfaite & dont on n'a pu faire jufqu'à préfent un objet de commerce. Ce qui eft intéreffant ici, c'eft la diftinction qu'il y a à faire dans l'achat de la canelle de Ceylan, dont la Compagnie des Indes de Hollande produit de trois fortes dans le commerce. Car elle s'eft interdit par une loi expreffe le commerce de toute autre forte de canelle. Mais malgré cette précaution d'une très-fage politique, la canelle tirée du même arbre donne lieu à différentes qualités qu'il eft important d'obferver. Il y a la canelle fine, la moyenne & la groffiere. L'âge de l'arbre, la différence de l'écorce des branches & de celle du tronc établiffent les différentes qualités.

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La bonne canelle eft fine, unie, facile à rompre, mince, d'un jaune tirant fur le rouge, d'un goût aromatique vif piquant & cependant agréable. Mais ce n'eft pas affez pour la fureté de l'acheteur d'avoir ces notions; il doit être inftruit qu'il y a une canelle groffiere connue sous le nom de canelle matte, qui eft l'écorce des vieux canelliers; que cette forte de canelle mêlée avec la canelle fine, en augmente le poids & le volume & la dégrade infiniment. Il doit favoir encore qu'on tire de l'huile ou de l'effence de la canelle; & on a à prendre garde lorfqu'on achete de fortes parties de canelle, quelle ne foit point fourrée, c'est-à-dire, mêlée de canelle dont l'effence a été tirée, ce qu'on peut diftinguer au goût &

à la couleur.

Il y a de quatre fortes de foude, qui font les cendres de plantes différentes; celles d'Alicante & de Carthagene, qui font les cendres d'une plante qu'on cultive avec foin, nommée barille; celles de la plante nommée bourdine, qu'on cultive auffi; & celle d'une autre plante qui croît d'ellemême fur les bords de la mer en quelques pays, & qu'on nomme en France varech.

L'ufage du favon, dont la confommation eft immenfe & fi néceffaire aux manufactures de fil, de toiles, d'étoffes de laine & de foie, & l'ufage des verres & des glaces qui font un des plus grands prodiges de l'art, ont rendu la foude une des productions naturelles des plus intéreffantes dans le commerce. Des quatre fortes la plus chere, la plus précieufe & la plus

utile, c'eft celle d'Alicante; parce que c'eft la feule qu'on emploie pour faire le favon d'Alicante, de Marfeille & de Gênes; c'eft-à-dire, le favon de la premiere qualité, & dont on fe fert auffi pour les manufactures des glaces. La foude de Carthagene eft inférieure, celle de bourdine encore davantage, & bien plus encore celle de varech.

La bonne foude de barille doit être feche, en pierre, fonante, d'un gris bleuâtre en dedans & percée en dehors de petits trous; étant mouillée elle ne doit donner aucun goût de marécage & doit être fans mélange. On l'appelle fourrée lorsqu'elle eft mife en vente prefqu'en poudre, parce qu'il eft rare qu'en cet état elle fe trouve pure. On évite ce défaut en l'achetant en caillous. Celle de Carthagene doit avoir les mêmes qualités avec cette différence qu'elle eft moins bleue, qu'elle a de plus petits trous & qu'elle eft plus couverte d'une peau verdâtre, qui eft un défaut.

Parmi les fecours infinis que la chymie a donnés aux arts, aux manufactures & au commerce, le fecret du favon eft l'un des plus intéreffans. Sans ce fecours nous ferions privés de l'art de donner aux toiles, aux étoffes, aux différens tiffus dont nous nous fervons, cette fraicheur, cette propreté & cet éclat qui fait leur principal mérite. Le favon nous donne ces avantages. Le favon compofé d'huile & de fel alkali, qu'on doit regarder comme une des matieres premieres très-importantes de plufieurs manufactures, exige pour l'union de ces deux productions naturelles dont il eft formé, des préparations affez fines, affez recherchées, pour devoir être confidéré comme étant lui-même le produit d'une manufacture, dont l'huile & le fel alkali tiré de la barille font les matieres premieres. On a vu quelle attention demande le choix de ce fel celui de l'huile n'en demande pas moins pour former dans leur union par la fabrication, le premier favon, celui de la qualité fupérieure, qui feule peut être employée à la préparation des foies & à les rendre propres à prendre toutes les couleurs qu'on veut leur donner.

Le favon s'unit à l'eau, s'y diffout & forme alors un bain qui diffout à fon tour les graiffes, les huiles & les impuretés dont les toiles & les étof fes font impregnées, & qui en rend l'ufage fi fain, fi propre & fi agréable. Le même diffolvant eft le feul que l'art ait pu trouver jufqu'à ce jour, propre à débarraffer la foie de cette efpece de cire ou de gomme dont le ver à foie enveloppe fon ouvrage, qui ôteroit à la foie plus des trois quarts de fon mérite fans le fecours du favon, qui détruit entiérement cet ennemi de l'art fans dégrader la foie, par une opération fimple qu'on nomme le décreufement. C'eft ainfi que les arts, dit un ancien, se tiennent par la main, qu'ils fe fervent & s'éclairent mutuellement.

Nous avons des favons de différentes fortes : les favons durs blancs & marbrés, les favons mous blancs & les favons noirs. Quoique la confommation de ces derniers foit immense, les premiers méritent plus d'atten,

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