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priété en paffe des hommes à Dieu; fuperftition dangereufe qui doit fon origine à l'efprit ambitieux des Miniftres de la religion.

Il faut confidérer les chofes facrées comme des chofes publiques, qui' appartiennent à l'Etat ou au Souverain. Toute la liberté que donne le droit de la guerre fur les chofes qui appartiennent à l'Etat, elle la donne aussi par rapport aux chofes facrées: elles peuvent donc être endommagées ou détruites par l'ennemi, du moins autant que le demande le but légitime de la guerre; mais cette modification, cette limitation que nous. mettons au dégat des chofes facrées ou religieufes, ne leur eft pas par

ticuliere.

En général, il est bien évident, qu'il n'eft pas permis de faire le Dégat pour le Dégât même, mais qu'il n'eft jufte & innocent que lorsqu'il peut avoir quelque rapport à la fin de la guerre; c'eft-à-dire, lorsqu'il nous en revient à nous-mêmes quelqu'avantage diret, en nous appropriant le bien des ennemis, ou que du moins en le ravageant & le détruifant, nous les affoibliffons en quelque maniere. Ce feroit une fureur également infenfée & criminelle que de faire du mal à autrui, fans qu'il nous en revînt à nous-mêmes aucun bien ni directement ni indirectement il n'arrive guere, par exemple, qu'il foit néceffaire après la prife d'une ville, de ruiner les temples, les ftatues ou les autres bâtimens publics ou particuliers. Il faut donc pour l'ordinaire les épargner, auffi-bien que les tombeaux & les fépulcres.

:

Difons même que par rapport aux chofes facrées, ceux qui croient qu'elles renferment quelque chofe de divin & d'inviolable, font mal, à la vérité, d'y toucher en aucune maniere; mais c'eft feulement parce qu'ils agiffent contre leur propre confcience. Enfin on peut remarquer encore une autre raifon qui pouvoit juftifier les payens du reproche de facrilege, lors même qu'ils pilloient les temples des dieux, qu'ils reconnoiffoient pour tels; c'eft qu'ils s'imaginoient que lorfqu'une ville venoit à être prife, les dieux qu'on y adoroit abandonnoient en même-temps leurs temples & leurs autels, fur-tout après qu'ils les avoient évoqués, eux & toutes les chofes facrées, avec certaines cérémonies: c'eft ce qu'a fort bien développé feu M. Cocceius dans fa differtation de Evocatione facrorum.

par.

Pour faire fentir encore le droit de Dégât & de pillage des chofes même facrées, nous remarquerons, que ce que les hommes doivent ordinairement avoir le plus à cœur, c'eft la religion & ce qui la regarde. En ravageant donc & en pillant les temples, on touche l'ennemi dans la tie la plus délicate, & par-là on le difpofe à nous donner fatisfaction. D'ailleurs, autorifé par le droit de la guerre, à affoiblir mon ennemi. & à lui ôter tous les moyens de me réfifter & de prolonger la guerre, fi les temples contiennent des effets précieux que la fuperftition y a amaffés, je puis les faifir & les employer pour fournir aux frais de la guerre & pour ôter à mon ennemi cette reffource. Ce moyen même me mettra fort

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fans toucher au large, & je fournirai aux frais immenfes de la guerre, aux biens de mes fujets, qui d'ailleurs font affez expofés aux autres calamités de la guerre. Les Proteftans ont beau jeu à cet égard dans les guerres qu'ils entreprennent contre les Catholiques dont les Eglifes font ordinairement remplies d'effets précieux que la fuperftition y confacre.

Enfin le but même de ce droit en fuggere la modération. Ainfi il faut épargner les bâtimens publics, les temples, les tombeaux, tous les monumens refpectables par leur perfection. En effet, que gagne-t-on à les détruire? On n'affoiblit point l'ennemi par-là, on ne lui ôte point les moyens de nous réfifter plus long-temps; nous n'en devenons pas plus puiffans. C'eft fe déclarer ennemi du genre humain, que de le priver de gaieté de cœur, de ces monumens des arts, de ces modeles du goût, comme Belifaire le repréfentoit à Totila, Roi des Goths. Nous déteftons encore aujourd'hui ces barbares, qui détruifirent tant de merveilles, quand ils inonderent l'Empire Romain.

Cependant s'il eft néceffaire de détruire des édifices de cette nature, pour les opérations de la guerre, pour pouffer les travaux d'un fiege, on en a le droit fans doute. Le Souverain du pays ou fon Général, les détruit bien fui-même, quand le befoin ou les maximes de la guerre l'y invitent. Le Gouverneur d'une ville affiégée en brûle les fauxbourgs pour empêcher que les affiégeans ne s'y logent, Perfonne ne s'avife de blâmer celui qui dévafte des jardins, des vignes, des vergers, pour y affeoir fon camp & s'y retrancher. Si par-là il détruit quelque beau monument, c'eft un accique dans dent, une fuite malheureuse de la guerre il ne fera condamné le feul cas, où il eût pu camper ailleurs fans le moindre inconvénient. Il eft cependant difficile d'épargner les chef-d'œuvres des arts, quand on bombarde une ville. Communément on fe borne aujourd'hui à foudroyer les remparts & tout ce qui appartient à la défense de la place : détruire une ville par des bombes & des boulets rouges, eft une extrémité à laquelle on ne fe porte pas fans de grandes raifons. Elle eft cependant autorifée par les loix de la guerre, lorfqu'on n'eft pas en état de réduire autrement une place importante, de laquelle peut dépendre le fuccès de la guerre, ou qui fert à nous porter des coups dangereux.

Au pillage du pays, on a substitué un ufage, en même-temps plus humain & plus avantageux au Souverain qui fait la guerre c'eft celui des contributions. Quiconque fait une guerre jufte, eft en droit de faire contribuer le pays ennemi à l'entretien de fon armée, à tous les frais de la guerre il obtient ainfi une partie de ce qui lui eft dû; & les fujets de l'ennemi, fe foumettant à cette impofition, leurs biens font garantis du pillage, le pays eft confervé. Voyez CONTRIBUTION.

On ravage fouvent entiérement un pays, on faccage les villes & les villages, on y porte le fer & le feu. Terribles extrémités, quand on y eft fores! Excès barbares & monftrueux quand on s'y abandonne fans une

abfolue néceffité! Deux raifons cependant peuvent les autorifer. 1. La néceffité de châtier une nation injufte & féroce, de réprimer fa brutalité & de fe garantir de fes brigandages: 2°. On ravage un pays, on le rend inhabitable, pour s'en faire une barriere pour couvrir la frontiere contre un ennemi que l'on ne fe fent pas capable d'arrêter autrement. Le moyen eft dur, il est vrai; mais pourquoi n'en pourroit-on pas en ufer aux dépens de l'ennemi, puifqu'on fe détermine bien dans les mêmes vues à ruiner fes propres provinces ?

Concluons donc par une regle générale qui contient tous les cas poffibles pour la direction d'un Souverain ou d'un Général lorfqu'il s'agit de Dégât, ou de pillage. Orez le cas où il s'agit de punir un ennemi, tout revient à cette regle générale. Tout le mal que l'on fait à l'ennemi pour l'affoiblir, pour lui ôter les moyens de prolonger la guerre, & pour l'obliger à nous fatisfaire plus promptement, eft permis par le droit naturel : au contraire, tout le mal que l'on fait à l'ennemi fans néceffité; toute hoftilité qui ne tend point à amener la victoire & la fin de la guerre, eft une licence que la loi naturelle condamne.

Ajoutons enfin fur cette matiere, les fages réflexions que fait Grotius pour engager les Généraux d'armées à garder à l'égard du Dégât, une juste modération, par le fruit qui peut leur en revenir à eux-mêmes. D'abord, dit-il, on ôtera par-là à l'ennemi une des plus puiffantes armes, je » veux dire le désespoir : de plus, en ufant de la modération, dont il s'agit, on donne lieu de croire que l'on a grande espérance de remporter » la victoire; & la clémence par elle-même eft très-propre à dompter & » à gagner les efprits. C'eft ce que l'on pourroit prouver par plufieurs faits » confidérables. «

Si on en croit M. de Folard, les entreprises qui confiftent uniquement à ravager & à faire le Dégât bien avant dans une frontiere, ne font guere utiles, & elles font plus de bruit qu'elles ne font avantageufes; parce que fi l'on n'a pas d'autre objet que celui de détruire le pays, on fe prive des contributions. » Si l'on faifoit, dit Montecuculi, le ravage au temps de la » récolte, on ôteroit à l'ennemi une partie de fa fubfiftance; mais comme » on ne peut le faire alors, parce que l'ennemi tient la campagne, & qu qu'il » l'empêche, on le fait dans l'hyver quand il eft entiérement inutile." II eft certain que le ravage d'un pays, lorfqu'il n'eft pas fort étendu, ne change rien ou peu de chofe à la nature de la guerre. L'ennemi fe pourvoit d'une plus grande quantité de provifions, & le mal ne tourne, comme le dit l'auteur qu'on vient de citer, qu'à l'oppreffion des pauvres payfans, ou des propriétaires des biens qu'on a détruits. Si l'on remporte enfuite quelqu'avantage fur l'ennemi, on ne peut fuivre fa victoire: on fouffe les mêmes inconvéniens qu'on a voulu faire fouffrir à fon ennemi: ainsi » loin que ces Dégâts nous foient avantageux, dit encore Montecuculi » ils nous font au contraire très-préjudiciables, & nous faifons juftement

» ce que l'ennemi devroit faire s'il n'étoit pas en état de tenir la cam>pagne. "

Un Général prudent & judicieux ne doit donc pas faire le Dégât d'un pays fans de grandes raifons; c'est-à-dire, lorfque ce Dégât eft abfolument néceffaire pour fauver & conferver les provinces frontieres; mais lorfque le Dégât ne peut produire que du mal, & l'intérêt de quelques particuliers chargés de cette trifte fonction, le bien des habitans, celui même de l'armée qu'on commande s'opposent à cette deftruction. On dit le bien de l'armée méme, parce que le pays qu'on pille fournit des provifions pour fervir de reffource dans le befoin.

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DÉLATEUR, f. m. Accufateur fecret.

E genre d'hommes odieux étoit fort commun à Rome du temps des Empereurs qui les encourageoient à cet infame métier, par l'appât des récompenfes, comme nous l'apprend Tacite : Sic delatores, genus hominum publico exitio repertum, & pœnis quidem nunquam fatis coercitum, per præmia eliciebantur. Les loix avoient à la vérité fixé des récompenfes pour les accufateurs, & Caligula leur accordoit la huitieme partie des biens de l'accufé: Quod delatoribus octava confifcatorum bonorum pars decreta esset. Mais ce qui étoit autorifé par les loix, étant devenu par la fuite un moyen de gagner fa vie, & les Délateurs ne confultant plus que leur avidité pour dénoncer les plus honnêtes gens, les bons Empereurs, comme Tite & Trajan, furent contraints de févir contre cette pefte publique, & de les livrer aux derniers fupplices: Hos affiduis, dit Suétone, in foro flagellis ac fuftibus cafos, ac noviffimè traductos per amphitheatri arenam partim fubjici, ac venire imperavit, partim in afperrimas infularum avehi. Voyez ACCUSATIONS fecretes. Dans les premiers temps de la république d'Athenes, on pouvoit fe rendre dénonciateur contre un citoyen qui prévariquoit dans le miniftere public, ou qui trahiffoit la patrie, fans rien craindre, pas même lorfque l'accufé étoit renvoyé abfous; mais enfuite cette licence ayant multiplié les Délateurs, il y eut une loi qui les condamnoit à une amende de mille drachmes, s'ils n'avoient pour eux une moitié de leurs juges & la cinquieme partie de l'autre moitié,

DÉLATEUR,

DÉLATEUR, f. m. Celui qui dénonce à la justice un délit & fon auteur, Jans fe porter partie civile.

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A qualité de Délateur & celle de dénonciateur font dans le fond la même chofe; il femble néanmoins que la qualité de Délateur s'applique finguliérement aux dénonciations les plus odieufes.

Les loix romaines difent que les Délateurs font la fonction d'accusateur; & en effet, ils accufent le coupable on diftingue néanmoins dans notre ufage les Délateurs & dénonciateurs d'avec les accufateurs proprement dits.

Le Délateur ou dénonciateur, eft celui qui fans être intéreffé personnellement à la vengeance du crime, le dénonce à la juftice qui fait feule la poursuite; au lieu que l'accufateur eft celui qui étant intéreffé à la vengeance du crime en rend une plainte à la juftice, & en pourfuit la réparation pour ce qui le concerne comme partie civile.

Il y a toujours eu des Délateurs, & leur conduite a été envifagée différemment felon les temps. Les plus fameux Délateurs qui font connus dans l'hiftoire, font ceux qui fe rendoient dénonciateurs du crime de lese-majefté; ils avoient le quart du bien des condamnés. Cneius Lentulus, homme qualifié, fut accufé par fon fils. Caïus permit aux efclaves d'accufer leurs maîtres. Claude au contraire défendit d'écouter même les affranchis. Galba fit punir les Délateurs efclaves ou libres. Ils furent pareillement punis sous l'Empereur Macrin les efclaves qui avoient accufé leurs maîtres étoient mis en croix. Conftantin par deux loix faites en 312 & en 319, défendit abfolument d'écouter les Délateurs, & ordonna qu'ils feroient punis du dernier fupplice.

Les chofes furent réglées tout différemment par le code Théodofien; car outre les dénonciateurs particuliers qui étoient autorifés, il y en avoit de publics appellés curiofi & ftationarii; on y voit auffi qu'il y avoit des gens qui fe dénonçoient eux-mêmes pour avoir la part du dénonciateur.

Suivant les loix du digefte & du code, les Délateurs étoient odieux; & le nom en étoit honteux, tellement que c'étoit une injure grave d'avoir à tort traité quelqu'un de Délateur. Les efclaves ne pouvoient accufer leurs maîtres, ni les affranchis leurs patrons; ceux qui contrevenoient à cette loi devoient être punis. Le patron qui avoit accufé fon affranchi étoit exclus de la poffeffion de fes biens.

Cependant les Délateurs non-feulement étoient autorifés, mais il y avoit plufieurs cas dans lefquels ils n'étoient point réputés infâmes; c'eft ce qu'explique la loi 2 au digefte de jure fifci; c'étoient ceux qui ne s'étoient point rendus dénonciateurs par aucun espoir de récompenfe; ceux qui avoient dénoncé leur ennemi pour en obtenir réparation, ou qui avoient eu pour objet l'intérêt public; enfin ceux qui avoient été obligés de faire la déTome XV, Xx

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