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à se défendre de la superstition des pressentiments, quand on a vu les adieux de Marie-Antoinette à sa famille, à ses serviteurs et à son pays, en 1770. Hommes et femmes se livrèrent aux mêmes expressions de la douleur. Les avenues, comme les rues de Vienne, en retentirent. On ne rentrait chez soi qu'après avoir perdu de vue le dernier courrier qui la suivait, et l'on n'y rentrait que pour gémir en famille d'une perte commune. Longtemps cette triste impression se conserva. Longtemps la capitale de l'Autriche rappelait moins l'idée d'un mariage, qu'elle ne présentait l'image d'un deuil. »

Voyons maintenant quelle destinée attendait cette jeune princesse, objet de tant d'amour et de tant de regrets; jetons un coup d'oeil sur l'état de la société et de la monarchie françaises à l'époque où elle venait y occuper le premier rang, et nous trouverons alors dans l'état de cette société,

dans la décadence de cette monarchie, les causes des malheurs qui accablèrent l'existence d'une reine à laquelle l'avenir semblait promettre tant de bonheur,

e mariage de l'archiduchesse Marie-Antoinette eut lieu à Versailles

le 16 mai 1770; née le 2 novembre 1755, elle devint, à l'âge de quinze ans, l'épouse du dauphin de France, Louis-Auguste, né le 23 août 1754, et tous deux montèrent sur le trône de France à la mort du roi Louis XV, le 10 mai 1774. Ainsi un roi de moins de vingt ans et une reine de dix-neuf ans se trouvèrent appelés à gouverner un peuple travaillé depuis longtemps par un esprit d'innovations révolutionnaires, qui avait envahi toutes les classes de la société. Quelques intelligences supérieures entrevoyaient bien avant le couronnement de

Louis XVI l'avenir menaçant qui lui était réservé1, elles éprouvaient comme une sorte de terreur instinctive au milieu des fêtes du joyeux avénement; le mot de révolution avait même été prononcé, et trente ans avant l'assemblée des notables, l'abbé de Caveyrac s'était écrié :

« Un torrent d'écrits inonde le royaume et l'on n'y oppose point de digue. — Déjà l'ennemi est à nos portes, et personne ne s'en aperçoit. Il a des intelligences dans la place, et on s'endort. Quelle sera donc votre surprise, pontifes et magistrats, quand à votre réveil vous trouverez la révolution faite 2 ? »

Cette prévision de l'abbé de Caveyrac n'épouvanta personne, on plaisanta l'abbé

1. « Le gouvernement doit trembler de tolérer dans son sein une secte ardente d'incrédules, qui semblent ne chercher qu'à soulever les peuples, sous prétexte de les éclairer. » (Réquisitoire de l'avocat général Séguier du 18 août 1770.)

2. Le P. Beauregard prêchant à Notre-Dame de

prophète, on le nomma visionnaire, et la société française déjà désorganisée, mais qui se croyait encore vivante, continua de courir sceptiquement vers l'abîme qui l'attendait. Les esprits forts parlaient bien quelquefois d'une révolution, mais d'une révolution purement philosophique, ac

Paris, treize ans avant la révolution, fit retentir les voûtes de l'église de ces paroles prophétiques :

« Oui, c'est au roi, au roi et à la religion que les philosophes en veulent; la hache et le marteau sont dans leurs mains; ils n'attendent que l'instant favorable pour renverser le trône et l'autel! Oui, vos temples, Seigneur, seront dépouillés et détruits; vos fêtes abolies, votre nom blasphémé, votre culte proscrit! Mais qu'entends-je, grand Dieu? que vois-je? aux cantiques inspirés qui faisaient retentir ces voûtes sacrées en votre honneur, succèdent des chants lubriques et profanes! Et toi, divinité infâme du paganisme, impudique Vénus, tu viens ici même prendre audacieusement la place du Dieu vivant, t'asseoir sur le trône du saint des saints, et y recevoir l'encens coupable de tes nouveaux adorateurs! >>

Les magistrats reprochèrent au prédicateur son zèle exagéré !

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