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échelles sur la glace de la rivière; parmi eux se trouva un officier principal et de distinction; de manière qu'étant forcés de se retirer avec perte, ils revinrent ensuite à cette même poterne dans le dessein de l'enfoncer à coups de hache; mais le courage des assiégés fit encore échouer cette entreprise, en sorte que les ennemis furent également repoussés à ces différents assauts qui durèrent jusqu'à la pointe du jour.

>>> La nuit suivante du samedi 22, les assiégés ne furent point attaqués; ils demeurèrent tranquilles dans leurs postes, parce que les ennemis ne s'occupèrent que du soin de leurs mines, auxquelles ils faisaient toujours travailler, ce que l'on reconnut par les coups de marteau que l'on donnait sur la pierre, lesquels on entendait distinctement de la ville.

» Alors le commandant de St-Maurice voulant profiter de ce temps de repos, fit travailler incessamment la bourgeoisie à un retranchement dont la coupure comprenait la moitié du terrain de la Cour du Collége, dans la pensée que cette précaution était nécessaire pour se défendre, au cas que la mine renversât par son effet la tour où avait été attaché le mineur, après quoi les assiégés se seraient trouvés à découvert sans défense, sans retraite, et hors d'espérance de salut, tant pour les soldats que pour les bourgeois.

>> Le dimanche 23, le Commandant ayant reconnu que les assiégés étaient fort incommodés par les soldats ennemis qui, dès le commencement du siège, s'étaient emparés desdits Moulins-Vieux, qui ne sont séparés de la tour attaquée que par un petit bras de la rivière du Doubs, y fit jeter des feux d'artifice à la faveur de la mousquetterie et les brûla, malgré l'opiniâtreté et généreuse opposition des soldats ennemis, qui tâchaient de l'empêcher pour se conserver un poste si avantageux, et malgré la présence même de leur général.

>> Ce prince avait fait occuper les toits de ces moulins et des tanneries voisines par un grand nombre de mousquetaires, qui s'étaient mis à couvert par le moyen des cuirs verts tirés de ces tanneries, dont ils se servaient utilement et en sûreté contre le feu des assiégés, tandis qu'ils les découvraient dans la ville, dès le dessus de ces toits beaucoup plus élevés que les murs de son enceinte; en sorte qu'aucune personne ne marchait de jour dans les rues sans risquer de se faire tuer. La nuit qui suivit ce même jour, environ les onze heures, les Suédois mirent le feu au faubourg de St.-Etienne, qui fut entièrement consumé par les flammes, ainsi qu'une partie du couvent des pères augustins, et rien n'échappa à cet embrasement que l'église paroissiale de St.-Etienne, avec deux maisons voisines; et si le vent ne fût devenu contraire au projet des ennemis, il aurait été impossible alors de pouvoir empêcher l'incendie général de toutes les maisons de la ville de Pontarlier, qui, n'étant couvertes qu'en bois, ne pouvaient être secourues; il n'y a eu que la chapelle de la Croix et la maison des sieurs Vuillaume, écuyers, dans l'intérieur des murs, où le feu s'attacha, et auxquelles on donna un si prompt secours, qu'on en empêcha le progrès. Dans cet entrefait, les ennemis crurent profiter de ce surcroît de désordre, et

d'une nouvelle escalade qu'ils entreprirent du côté de la porte de Morieux, vis-à-vis la chapelle de St.-Claude. Mais les bourgeois avec leurs arquebusiers et leurs mousquetaires firent leurs décharges si à propos par les créneaux qui sont sur cette porte, qu'ils empêchèrent même que les assiégeants avec leurs échelles n'approchassent de leurs murailles.

>> Ce fut à l'occasion de l'embrasement de ce faubourg de St.-Etienne, que le crucifix qui était en si grande vénération chez les pères Augustins, à l'honneur duquel ils avaient fait bâtir postérieurement une magnifique chapelle jointe à leur église, fut miraculeusement préservé, non-seulement des flammes, mais encore de la moindre noircûre de fumée, quoiqu'il fût d'un bois très-combustible.

» Cette figure de Sauveur, de stature humaine, était exposée à l'extérieur de ladite église, dans la clotûre d'une fenêtre, vis-à-vis la grande porte qui donne l'entrée à l'avant cour très-spacieuse que l'on traverse pour aller au couvent, qui était la promenade ordinaire des gens de la ville, dite vulgairement le cloître. La croix de ce Christ était soutenue sur un autel de pierre, et couverte d'un avant-toit qui fut également réduit en cendres, de même qu'une grande partie de ce couvent ; et quoique l'autel de cette chapelle fût d'une pierre très-dure, d'un pied et demi d'épaisseur, elle fut toute calcinée, sans que l'on pût remarquer la moindre marque de feu à cette image, quoique violemment poussé par le vent. Ce fait est constaté par le procès-verbal, attesté de témoins irréprochables, qui en fut dressé le 5 de février 1655, par messire Denis Guichard, prêtre et principal du collége Royal de Bourgogne à Paris; faisant alors sa résidence dans la ville de Pontarlier, en qualité de Commissaire délégué par monseigneur l'archevêque de Besançon.

» Cet événement miraculeux qui paraît étrange, mérite cette briève digression; mais la Providence en a disposé autrement dans le dernier malheur de Pontarlier, arrivé le vendredi 51 d'août 1736. Ce n'était plus une armée d'hérétiques, ennemis du culte des images qui ravageaient nos montagnes, et saccagcaient les lieux saints, mais une troupe d'ouvriers, les plus infâmes débauchés, qui, après avoir profané un endroit consacré à la religion, ont mis le feu par malice ou imprudence à notre superbe Tour du clocher de l'église de St.-Bénigne, d'où les flammes se sont répandues sur les deux tiers de cette ville, plus infortunée qu'elle n'a jamais été.

>> Le lendemain, lundi 24, la mine étant dans sa perfection et prête à jouer, les bourgeois crurent qu'il était temps de songer à leur propre conservation, et à celle de leur ville. Ils prirent donc la résolution de prier M. le commandant de St.-Maurice, de bien vouloir considérer qu'il était impossible de pouvoir se soutenir plus longtemps, et de vouloir donner les mains à une composition, à quoi il ne voulut pas d'abord consentir; mais enfin, après d'instantes prières, il y condescendit, à condition néanmoins que tous les bourgeois lui remettraient une délibération par écrit, soussignée d'eux; que c'était à leur réquisition que la composition se demanderait, et sur

leurs remontrances générales de tous les manquements qu'ils reconnaissaient dans leur ville pour une défense ultérieure.

>> Les bourgeois se soumirent volontiers à ces conditions, et fondèrent leur raison sur ce que les murailles de leur ville n'étaient pas à l'épreuve du canon; qu'un des canons, des deux seulement qu'ils avaient, était crevé, aussi bien que douze fauconnaux et plus de cent trente mousquets et arquebuses; qu'il ne se trouvait plus dans la place que 700 livres de poudre, et 300 livres de plomb; qu'il n'y avait plus d'eau dans la ville, puisque les assiégeans avaient coupé les canaux des fontaines, dont les sources sont éloignées de plus d'un quart de lieue, et qu'étant taries, ils ne pourraient plus puiser de l'eau de la rivière, quoiqu'elle entoure la moitié de leurs murailles, parce qu'elle était glacée presque jusqu'au fond.

» A la vérité, les assiégés n'avaient plus d'autre eau que celle que la glace avait épargnée et qui entrait dans la ville au travers d'un boulevard, de grosses pierres de taille à bosse, où sont encore à présent les moulins neufs, que les Suédois ne pouvaient pas enflammer, étant bien à couvert par cette fortification.

>> Ils remontraient de plus, que presque les trois quarts des bourgeois,

entre lesquels on comptait sept tant échevins que notables, un sergentmajor, un capitaine d'enseignes, le capitaine de la bourgeoisie, et plus de trois cent cinquante autres personnes capables de porter les armes, étaient absents, s'étant retirés avant l'arrivée des ennemis, en telle sorte que pendant les quatre nuits précédentes, ils avaient été obligés d'être sur pied, sans repos pour la défense de leurs remparts; qu'ils étaient si abattus et si fatigués par les longues gardes de leurs postes, et faute de nourriture et de sommeil, qu'ils sentaient bien l'impossibilité où ils se trouvaient de se défendre et de soutenir plus longtemps les efforts des assiégeans, et finalement, que la ville ne devait plus attendre de secours de l'armée de Charles IV, duc de Lorraine.

>> Ce prince s'étant avancé avec ses troupes jusques dans le Val de Maillot, terre de M. d'Achey, qui n'est éloignée de la ville que de quatre petites lieues, on lui avait envoyé pour la deuxième fois, par députation, M. Hugues Franchet, le 16 de ce mois de janvier, et les bourgeois remontraient solidement que ce duc aurait pu aisément venir à eux, depuis neuf jours passés, s'il ne les avait abandonnés à la merci des ennemis, sans jamais avoir voulu faire en leur faveur la moindre démarche pour les secourir.

>> Voilà un faible mais véritable récit de l'extrémité où les habitants assiégés se trouvaient après la retraite inespérée des troupes du duc Charles IV, lorsque M. le commandant de St.-Maurice envoya un tambour sur la tour attaquée, sous laquelle était la mine prête à la faire sauter, avec ordre d'y battre la chamade par trois fois avec le tour du chapeau, et un moment après se montra sur le parapet un capitaine nommé Gonzal, qui demanda à conférer avec un officier des assiégeans. Cela ayant été exécuté, ils convinrent entr'eux que de part et d'autre on se livrerait des ôtages.

>> Ceux de la ville furent un capitaine du régiment de M. de St.-Maurice pour les troupes; le même jour environ les dix heures du soir, le sieur docteur Miget, rentra dans la ville avec les articles de la capitulation, signés de son Altesse, qui furent incontinent communiqués à la bourgeoisie et reçus d'autant plus agréablement par les habitants éblouis par les apparences de générosité et de douceur, qu'ils croyaient que c'était la conservation du peuple et de la ville car cette même nuit le feu devait être mis à la mine composée de trois fourneaux ou chambres qui avaient été visités par les députés des assiégés, en telle sorte que la tour étant renversée, les ennemis avec leurs canons d'un côté, et d'un autre trois escalades préparées à différents endroits, eussent infailliblement forcé les postes par ces assauts et auraient peut-être tout passé au fil de l'épée, sans espoir d'aucun quartier; ainsi pour sauver la vie et les biens de ces habitants, aussi bien que l'honneur des femmes et des filles, il fallut se soumettre aux vainqueurs.

» Le mardi 23, le duc de Veimar ne sortit point de son quartier, qui était à la Rasse ou moulin à scie du sieur Bressand, et aujourd'hui celle de M. le conseiller Petit-Benoît; il fit seulement publier un édit dans la ville pour désarmer les bourgeois et leur enjoindre sous peine de la vie, de porter toutes les armes à feu, dans la maison de ville, avec ordonnance aux magistrats de lui donner un dénombrement des hommes absents, de même que des grains, des vins, et sel qui se trouveraient actuellement dans la ville, à la reconnaissance desquels on fit travailler incessamment. Dans ce même temps M. le commandant de St.-Maurice sortit de Pontarlier avec son régiment, avec armes et bagages, escortés jusqu'à Besançon par un détachement de cinq cents chevaux Suédois, selon que l'on en était convenu.

» Ce même jour, le Magistrat en corps alla saluer son Altesse dans son quartier, et la prier de vouloir prendre dans la ville, le logement qui lui avait été préparé le mieux qu'il avait été possible.

>> Ce prince répondit à ce compliment que quoique les bourgeois se fussent fait battre mal à propos, néanmoins qu'ils seraient traités conformément à la capitulation, n'ignorant pas qu'une juste défense était permise, par toutes sortes de raisons et de maximes militaires, à moins qu'elle ne fût prise pour prétexte de forfaits, par celui qui n'avait ni la coutume, ni l'intention de garder la foi donnée; mais il fit bien connaître dans la suite que ce n'était pas la sienne, par les tristes événements qui n'ont que trop prouvé la perfidie et la manière inhumaine de penser de ce loup cruel déguisé sous la peau d'un agneau, qui était bien contraire à ce qu'il disait.

>> Le mercredi 26, environ les 11 heures avant midi, ce prince fit son entréc dans la ville, et prit son logement dans la maison du sieur Faverot, qui est celle qu'occupent les pères jésuites.

» Ce même jour le duc fit entrer dans la ville trois mille hommes, au lieu de trois cents dont on était convenu par le huitième article de la capitulation, à laquelle il commença par là à manquer de fidélité, et dans l'instant

il fit rendre une ordonnance très-sévère pour contraindre toute la bourgeoisie à porter, sans délai, dans une maison indiquée, tout le pain qu'elle avait; cela fut suivi d'une prompte exécution, et il en distribua quatre mille rations aux soldats Suédois, qui, dès ce jour-là, commencèrent à se rassasier de la faim pressante qu'ils avaient apportée du siége de Brisac, et dont on devait faire un détachement le lendemain, pour le faire marcher du côté de Nozeroy, distance de cinq lieues.

>> Ces troupes à leur départ, ayant remarqué que les flammes avaient épargné la rue du faubourg St.-Pierre, du côté du vent, elles la brûlèrent, sans qu'il y restât une seule maison sur pied; autre infraction au premier article de la capitulation.

» Ce même jour 27, le duc de Veymar fit entrer deux mille hommes en garnison dans la ville, moitié Français et moitié Allemands; et pour prévenir les désordres de ces troupes de différentes nations, on divisa les quartiers de cette manière.

» Le général eut pour le sien, les deux côtés de la grande rue du côté de la bise, et les Suédois l'autre côté devers le vent; et les uns et les autres se mirent à discrétion dans les maisons des bourgeois, qui souffrirent de leur insolence, tout ce que l'avarice du soldat est capable de lui faire entreprendre avec une licence sans bornes, de celui qui les commande.

>> Après que ce prince eut pris quelques rafraîchissements dans la ville, il en visita les murailles et les fortifications; ensuite il manda le Maire et les Echevins auxquels il fit entendre qu'il voulait avoir soixante mille écus pour la rançon de la ville, dans le terme de 8 jours; les menaçant des plus rudes tourments et même de leur ôter la vie en cas de désobéissance. Pour commencer à mettre à exécution de si horribles menaces, il fit resserrer les bourgeois dans leurs maisons, et ensuite les abandonna à la discrétion et à la brutalité des soldats.

» Le terme prescrit pour le paiement de la rançon étant arrivé, et ayant été impossible aux habitants de trouver en si peu de temps une somme aussi exhorbitante que celle de soixante mille écus, le duc sans avoir égard aux conditions stipulées dans le traité de la capitulation, ni à l'injustice de sa demande, fit saisir huit des principaux bourgeois et les mit aux arrêts, tous huit ensemble, dans une seule maison, sous une grosse garde, à laquelle il consigna expressément de leur interdire toute sorte de communication avec les autres citoyens, de crainte que ces prisonniers ne reçussent quelque soulagement, et les livra à la dureté inépuisable de ses troupes naturellement très - mal disciplinées, desquelles ils recurent tous les outrages dont le souvenir fait encore horreur à ceux qui ont appris la vérité de leurs prédécesseurs.

>> Tous les habitants consternés de la violence dont on usait envers leurs compatriotes, et presque désespérés des suites qu'ils avaient à craindre pour eux-mêmes, s'ils ne donnaient à son altesse la satisfaction qu'elle exigeait par de si rigoureux traitements, ne laissèrent néanmoins pas que de tra

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