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peut souffrir ni la stabilité ni le changement, il faut des nouveauiés pour plaire, et il faut suivre les vieilles coutumes pour ne pas déplaire, et notre inconstance inquiète ne pouvant changer les règles immuables de notre devoir, et ne le souffrant d'ailleurs qu'avec peine, elle cherche au moins le changement et la nouveauté dans la manière de les exprimer, et préfère à la simplicité féconde de la parole divine, qui est le fondement et la source de ces vérités, la vaine étendue des pensées humaines, et l'embarras des raisonnemens et du discours, et de toutes les autres faiblesses où le langage des hommes est assujetti: de sorte que nous sommes réduits à ne dire ici que nos pensées, et il y a même quelque sujet de les exposer plutôt que ces vérités divines à la curiosité, qui est presque l'unique motif de ceux qui viennent nous écouter.

Mais comme nous ne pouvons nous dispenser de parler toujours aux juges du même sujet de la justice et de leur devoir, si nous ne pouvons leur en parler d'une manière qui en soit digne et qui puisse leur en inspirer l'amour dans les cœurs; nous tâcherons du moins d'en former dans leurs esprits quelque nouvelle idée, dont le souvenir puisse leur en laisser quelque impression, et nous trouverons dans cette idée quelle est l'importance et quel doit être l'usage de l'une des principales qualités des juges, qui est la force et le courage dont ils doivent être toujours animés pour rendre la justice dans toutes sortes d'occasions.

Nous observons que la justice en général renferme deux choses que ce mot de justice signifie également dans toutes les langues; car on appelle justice l'équité ou la rectitude de la loi, et l'on appelle encore justice l'observation de la loi. L'équité de la loi n'est autre chose que la justice de Dieu, qui est le principe de toute loi et qui justifie par sa seule volonté tout ce qu'il ordonne; et l'observation de la loi est la justice des hommes qui ne consiste qu'en la conformité de leurs actions à la loi qui les doit régler.

Ainsi, la justice comprend universellement tout ce qui est juste; c'est-à-dire, et la loi même vivante en Dieu et tout ce qui est conforme à la loi, et elle renferme encore en ce sens toutes les vertus, parce qu'il n'y en a aucune qui ne soit la pratique de quelque loi; et c'est pourquoi la véritable et parfaite justice consiste dans l'assemblage de toutes les vertus.

Cette justice de Dieu et celle des hommes avec toutes les vertus qui la composent, ont ensemble cela de commun, que l'effet de l'une et de l'autre n'est autre chose que la paix; mais avec cette différence que la justice de Dieu n'est précédée d'aucune guerre, ni d'aucun trouble, et que c'est une paix éternelle que nul changement et nulles contrariétés ne peuvent troubler. Isa. 9. 7.; mais la paix des hommes est sculement le calme et la tranquillité que

produit la justice et les vertus qu'elle comprend, au lieu de la guerre et du trouble que causent les passions qui leur sont contraires. Ainsi, la paix est l'ouvrage de la justice, selon l'expression d'un prophète, et l'écriture nous confirme cette vérité en divers endroits, nous apprenant que ceux qui ignorent la loi sont dans une grande guerre. Is. 32. 17. Sap. 14. 22.; que ceux qui l'aiment sont dans une grande paix. Is. 48. 22. Ps. 118. 165.; que la justice et la paix se sont embrassées ; que celui qui est appelé le juge des vivans et des morts est aussi appelé le prince de la paix. Ps. 84. 11. Eccl. 5. 12. Act. 10. 42. Is. 9. 6. Toutes ces expressions sont autant de preuves de cette vérité, que la paix est l'ouvrage de la justice.

Et parce que c'est principalement dans l'intérieur de chaque particulier que se forme cette guerre et ce trouble, par l'empire des passions qui le dominent et qui l'agitent; la principale justice est celle qui éteint ou réprime ces passions dans leur source, qui est le cœur de l'homme, et cette justice est proprement l'ouvrage de Dieu.

Mais, parce qu'il permet que ces passions, non-seulement agitent l'intérieur des particuliers qui en sont remplis, mais qu'elles passent encore au dehors dans le corps politique, dont ils sont les membres, et que cette guerre intérieure, se répandant au dehors par une infinité de diverses injustices, trouble aussi en une infinité de manières la paix extérieure de la société des hommes, Dieu permettant cette guerre et ce trouble extérieur, il a aussi pourvu à établir un ordre et des voies pour procurer et maintenir la paix de cette société, en réprimant par l'autorité des juges les effets extérieurs de ces passions qui la troublent. Et comme il a voulu qu'on appelât du nom de justice le calme des passions qui violent sa loi divine et qui troublent la paix intérieure dans le cœur de l'homme, il a voulu qu'on appelât aussi du même nom de justice le calme des désordres qui violent la loi civile et qui troublent la paix extérieure, qui doit être parmi les hommes. Et c'est par ce rapport à la justice divine sur l'intérieur, que celle dont nous avons l'honneur d'être les ministres sur l'extérieur a pris aussi le nom, parce que sa fin et son exercice sont d'établir la paix dans le corps politique, comme la fin de l'autre est de l'établir dans les cœurs des hommes.

Nous découvrons par cette suite que cette double justice et cette double paix intérieure et extérieure forment les deux règnes, sous lesquels Dieu conduit les hommes; le règne spirituel et invisible de la religion sur les cœurs des particuliers, et le règne temporel et visible de la police sur le corps politique de la société des hommes. Il est seul le souverain unique de ces deux règnes, et il laisse éclater de temps en temps des marques visibles de sa conduite secrète et de son empire sur l'un et sur l'autre.

Mais, pour cacher aux hommes la grandeur et la gloire de cette conduite, et pour les tenir dans les voies sensibles dont ils sont capables, il laisse sur la terre un ministère visible et continuel de l'un et de l'autre de ces deux règnes.

C'est pour cela qu'il a mis le ministère du règne spirituel et invisible de la religion sur les cœurs dans le sacerdoce, dont les fonctions sont de procurer la paix intérieure par la justice des cœurs dans, les voies, et par les moyens qu'il dispense dans son église; et il a mis le ministère du règne temporel de la police sur le corps politique dans la puissance visible qu'il donne aux rois et aux juges qui tiennent sa place, pour maintenir la paix extérieure par les voies de la force et de l'autorité qu'il leur confie.

C'est dans ce ministère du règne temporel de la police que Dieu a établi la justice que nous exerçons, et la fin de ce ministère est de maintenir la paix et l'ordre parmi les hommes dans le mélange où ils doivent vivre, pour s'aider les uns les autres de leur industrie par les arts, de leurs biens par le commerce, et pour former les autres liaisons et dépendances mutuelles que la nature et les lois ont mises entre eux.

Nous voyons dans cet objet de la justice, que la principale fonction des juges est de réprimer par leur force et par leur courage les violences et les injustices qui rompent les liens de cette société qui doit être parmi les hommes, et qu'ainsi l'office des juges est d'exercer sur les actions extérieures l'empire de la justice qu'ils ne peuvent porter jusque dans les cœurs et de faire sur le corps politique, dont ils sont les chefs, ce que chaque particulier est obligé de faire en soi-même sur ses passions.

C'est par cette raison que, comme dans la conduite spirituelle de la religion sur les cœurs, Dieu anime les particuliers d'une force divine qui les élève au-dessus de leurs passions, afin qu'ils puissent s'en rendre les maîtres, il a de même établi dans la conduite temporelle du corps politique une autorité divine qui élève une partie des hommes au-dessus du reste, pour les rendre les juges et les vengeurs des injustices qui troublent ce corps.

Mais cette force et cette autorité que Dieu donne aux juges n'est qu'un instrument d'une autre force spirituelle, qui est celle dont nous parlons, qui doit être dans le cœur du juge, pour animer et employer cette autorité contre les rebellions et les entreprises des particuliers qui sont les membres qui composent le corps politique. Car ces membres, que l'on compare si communement aux membres du corps humain, sont assemblés d'une manière bien différente; les membres du corps naturel n'ont aucun bien particulier qui leur soit propre, leur usage unique et leur fin commune est le bien du corps. Ainsi, ils s'exposent tous pour le corps sans se faire la moindre violence, et il faudrait au contraire leur faire une extrême violence pour retenir leur pente na

turelle à s'exposer pour le bien du corps; et loin de se nuire les uns aux autres, ils s'exposent aussi les uns pour les autres. Mais les particuliers, qui sont les membres du corps politique, ayant leurs fins différentes et leurs intérêts séparés de celui du corps, ils considèrent peu la paix commune à l'égard du bien particulier qu'ils se proposent en la violant.

C'est pourquoi ce corps politique ne pouvant subsister comme le corps naturel par un concours universel et mutuel de tous ses membres dans une union volontaire, Dieu y a mis les principes d'une autre union par l'autorité des rois et des juges, qui contient ce corps et régit ces membres. Car le principal du devoir des rois est de prévenir les entreprises et les rebellions des membres contre le corps; et le principal du devoir des juges est de réprimer les injustices et les entreprises des membres entre eux.

Il serait facile de venir au détail de ces entreprises qui sont les occasions où les juges ont besoin de force; mais ce serait une longueur superflue que d'entreprendre ce qu'il y aurait à dire sur ce détail. Il suffit en un mot que les juges doivent s'animer de cette vertu dans toutes les rencontres où la justice se trouve opprimée; quand les riches oppriment les pauvres, quand les violens accablent les faibles, quand les seigneurs veulent abuser de l'autorité de la justice contre leurs justiciables, et dans toute sorte d'autres rencontres où les inégalités et les disproportions des particuliers opposés entre eux mettent l'injustice en balance contre la justice.

Ce n'est que pour ces sortes d'occasions que les juges sont établis, et Dieu ne leur donne sa place que pour les élever audessus du reste des hommes par le caractère et l'autorité qu'il ne leur communique, qu'afin qu'ils élèvent aussi la justice par leur force et par leur courage au-dessus de toutes les forces de l'injustice.

On dira peut-être que cette force est une vertu peu nécessaire aux juges dans les petites justices; mais nous pouvons dire tout au contraire qu'ils en ont autant ou plus de besoin que les plus grands juges, parce qu'il leur arrive souvent des occasions difficiles, et qu'étant dépouillés de l'éclat de la dignité qui environne et soutient les autres, ils ne peuvent soutenir que par leur vertu le caractère de la Divinité que leur donne le titre de juge, et ils doivent faire éclater du moins leur courage s'ils ne peuvent faire sentir leur autorité.

Ce courage suffit seul au juge pour résister à tous les efforts qu'on pourrait faire pour le corrompre, sans qu'il ait besoin d'aucunes forces extérieures pour se soutenir, et lors même qu'il faut entreprendre et qu'il faut agir, il ne laissera pas de remplir l'étendue de sou devoir par les preuves qu'il pourra donner de sa résistance et de ses efforts contre l'injustice, et conservant par

cette conduite le respect et la dignité de son ministère, il préviendra même et arrêtera plusieurs injustices. Mais le juge qui manque de cette vertu, quelque dignité et quelques forces extérieures qu'il ait d'ailleurs, au lieu qu'il devrait étre une image vivante de la divinité qu'il représente dans sa fonction, ce ne sera, selon l'expression d'un prophète, qu'une statue sans bras et sans yeux. Zach. 11. 17; et loin d'attirer le respect, il n'attirera que le mépris, non-seulement sur sa personne, mais encore sur sa dignité.

Nous voyons maintenant la vérité et l'importance de cette parole du sage; que celui qui n'a pas le courage et la force de s'élever pour la justice, et de briser la force opposée de la violence et de l'injustice, ne doit pas s'exposer à se faire juge. Eccle. 7. 6.; car le ministère des juges étant de tenir la place de Dieu, et d'être comme les cautions et les garans qu'il donne aux hommes pour la justice qu'il leur promet, afin de les garantir de l'oppression et de l'injustice, ils ne peuvent soutenir la grandeur de ce ministère que par leur courage et par une généreuse indignation qui les anime et les excite incessamment contre l'injustice, d'une manière digne de Dieu, et ceux qui manquent de ce courage ont déjà violé la première des règles qu'ils doivent s'être proposées en se faisant juges.

Ce devoir des juges dans cette place qu'ils doivent remplir nous fait comprendre le caractère d'un juge faible et d'un juge fort, et la différence de l'un et de l'autre, et cette opposition sera une dernière preuve de la nécessité indispensable où sont tous les juges d'avoir beaucoup de courage et beaucoup de force. Le juge faible n'est qu'une figure inanimée, une statue et un tronc informe qui déshonore la place qu'il occupe de la divinité vivante, et qui n'est que l'objet du mépris et de la colère de Dieu et des hommes. Mais voici une description que nous trouvons dans l'écriture du caractère d'un juge fort. « Les premiers du peuple demeuraient en sa présence dans le silence et dans le respect, « et il était l'objet de l'admiration de la multitude, parce qu'il délivrait le pauvre et l'orphelin de l'oppression, et qu'il était l'appui et le vengeur des veuves et des misérables. Sa gloire était de relever ceux qui étaient sur le point de périr sans lui. << Son cœur était plein de l'amour et du zèle de la justice, et cette plénitude se répandait et éclatait au dehors dans toute sorte d'occasions. S'il lui survenait quelque obscurité dans la recher«che de la justice, il s'appliquait avec une extrême diligence pour découvrir, et quand il voyait l'injustice, il s'élevait « contre les injustices, il brisait les efforts et la violence des méchans, et il leur arrachait la proie des mains. Job. 29. 9. et « seq. »>

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Ces paroles divines nous donnent un exemple singulier et une pleine idée d'un juge fort, et si nous y ajoutions quelque chose,

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