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qu'au lieu de se proposer pour la fin le bien véritable, et de s'y élever et s'y arrèter, il s'arrète en soi-même, et n'y pouvant trouver son repos, il cherche d'autres objets qu'il puisse attirer à soi pour se rendre heureux, et ainsi il imite la divinité, se mettant à la place de Dieu lorsqu'il s'établit lui-même pour sa propre fin. Ce fut ainsi que Lucifer imita la divinité, lorsqu'il voulut se rendre semblable à Dieu, Ascendam super altitudinem nubium, similis ero A'tissimo, Is. 14. 14; et cette funeste imitation fut encore le crime de l'homme: Eritis sicut Dii, Gén. 2.

Ce sont ces deux sortes d'imitations de la divinité qui sont les deux sources de tous les biens et de tous les maux; et comme elles partagent tous les anges et tous les hommes, elles partagent aussi tous les juges.

Les bons juges sont ceux qui se tiennent fermes dans l'imitation véritable de la divinité, par la vue et par l'amour de la vérité et de la justice, et qui se conduisent dans toutes leurs fonctions en imitant Dieu dans toutes ses œuvres, qui sont la justice mème et la vérité. Opera manuum cjus veritas et judicium. Ps. 110. 7. Mais les mauvais juges sont ceux qui tombent dans cette imitation criminelle, de se mettre eux-mêmes à la place de Dieu, lorsque, s'arrêtant en eux-mêmes, ils se proposent quelqu'autre objet qui leur fait abandonner la justice et la vérité; et ce crime les engage encore dans une espèce d'idolâtrie: car, comme la volonté de l'homme a été faite pour aimer le vrai bien et pour s'y plaire, et que c'est Dieu seul qui est le vrai bien et l'objet naturel de la volonté, il s'ensuit que l'objet, que nous mettons à cette place pour être l'objet de l'amour qui domine en nous, nous tient lieu de divinité; et c'est par cette raison que l'Écriture nous apprend que le principe de l'idolâtrie est l'attrait que les hommes trouvent dans les créatures, selon cette parole du sage: Quorum si specie delectati, Deos putaverunt. Sap. 13. 3.

Il serait maintenant facile de faire voir en détail que ce sont ces deux sortes d'imitations qui distinguent toute la conduite des bons et des méchans juges; mais, pour abréger, il suffira de proposer seulement en peu de paroles le caractère de l'imitation qui fait les bons juges, et le caractère opposé de l'imitation des méchans juges; et nous laisserons à chacun de juger sincèrement de son caractère, et de prendre soin de s'appliquer en particulier ces vérités générales, qui font assez voir quel est en chaque occasion le devoir des juges.

Le caractère d'un bon juge est d'imiter Dien dans son entendement par une vue perpétuelle des vérités et des règles de la justice dans toutes les fonctions de son ministère, et d'ajouter aux principes généraux de la justice l'étude et la connaissance particulière des lois humaines qui en sont les suites, afin d'éclairer son entendement de toutes les lumières nécessaires pour l'intelli

gence de tous ces devoirs; ce sont ces règles qui sont l'objet de son étude et le principe de sa conduite. Testimonia tua meditatio mea est, et consilium meum justificationes tuæ. Psal. 118. 24.

Le caractère d'un bon juge est d'imiter Dieu dans sa volonté, par un zèle et un amour ardent de la vérité et de la justice; c'est l'amour de cet objet divin qui fait qu'il le regarde comme sa fin unique, et qu'il y trouve ce plaisir qui est inséparable de l'objet dominant de la volonté ; c'est ce plaisir qui donne à l'amour toute la force qui le fait agir; cette force souveraine que rien ne peut vaincre, non plus que la mort: Fortis est ut mors dilectio, Ĉant. 8. 6. ; et c'est le plaisir qu'un bon juge trouve dans la vérité et dans la justice, qui est le principe de toute sa force, selon cette parole d'Esdras: Gaudium Domini est fortitudo nostra, 2. Esd. 8. 10., et cette autre parole du sage, Dilectio, custodia legum. Sap. 6. 19.

C'est cet amour de la vérité et de la justice qui élève le cœur du juge à s'unir et s'attacher à cet objet par une union si ferme, qu'elle le rend participant de l'immutabilité et de l'indépendance qui sont le propre de la vérité et de la justice; et il en prend le parti dans toute sorte d'occasions, grandes et légères, faciles et difficiles, avec une vigueur qui lui fait briser les efforts de l'iniquité: Virtute irrumpunt iniquitates, Eccle. 7. 6.; avec une force qui délivre les oppressés des entreprises du violent: Conterebam molas iniqui, et de dentibus illius auferebam prædam, Job. 29. 17.; avec une fermeté que nulle crainte et nulle espérance ne peuvent ébranler, parce qu'il n'aime, ne craint et n'espère que celui qui est la justice et la vérité : Nihil trepidabit et non pavebit, quoniam ipse est spes ejus, Eccl. 34. 16. Et enfin le sage nous apprend que cet amour lui fera garder inviolablement toutes les lois qui sont ses règles, que gardant ces règles il s'élevera à une intégrité qui le mettra au-dessus de tout ce qui pourrait le corrompre et l'affaiblir, et que dans cet état il sera auprès de Dieu même dont il tient la place: Dilectio, custodia legum illius est, custoditio autem legum consummatio incorruptionis est, incorruptio autem facit esse proximum Deo. Sap. 6. 19.

Ce Juge dans cet état sera bien éloigné de rien donner ni à la faveur, ni aux amis, ni aux présens, ni à l'intérêt, ni à toute autre considération; car quelle faveur pourrait engager dans l'injustice celui qui regarde l'iniquité comme le plus grand monstre de la nature, qui tend à détruire son souverain bien; quels amis pourraient attirer hors de son devoir celui qui n'aime autre chose que la justice et la vérité, et qui ne peut ne pas haïr ce qui l'en détourne; quels présens peuvent corrompre, et quel intérêt peut aveugler celui qui est éclairé de la lumière incorruptible de la loi, et qui fait son trésor des richesses du souverain bien de la vérité et de la justice, et qui, étant auprès de Dieu,

regarde toute la grandeur et toute la beauté des créatures comme une ombre et comme un néant à l'égard de cette beauté divine de la vérité et de la justice; car c'est cette justice que Salomon appelle un trésor infini, thesaurus infinitus, Sap. 7. 14.; et ce prince le plus éclairé de tous les juges, la propose aux rois et aux juges comme un trésor que les rois doivent préférer à leurs royaumes, et les juges à toute leur autorité, à toutes les grandeurs et à toutes les richesses de l'univers, et il en jugeait ainsi, autant par sa propre expérience que par sa sagesse : Præposui illam regnis et sedibis, et divitias nihil esse duxi in comparatione illius, nec comparavi illi lapidem pretiosum : quoniam omne aurum in comparatione illius arena est exigua, et tanquam lutum æstimabitur argentum in conspectu illius. Sap. 7. 8.

On voit assez, par ce caractère d'un bon juge, quels sont ces devoirs, et la manière dont il s'en acquitte, et il est facile de juger quel est le caractère opposé des mauvais juges.

Ce caractère d'un mauvaisjuge est de n'avoir pas pour son principe perpétuel la vue et l'amonr de la vérité et de la justice, c'est d'imiter malheureusement la divinité, en s'établissant soimême pour sa propre fin, et se laissant vaincre et dominer à d'autres objets qui peuvent lui plaire plus que la justice, et qui l'en détournent. Ce sont les différentes impressions de ces objets qui forment dans son esprit autant d'erreurs qui lui tiennent lieu de règles proportionnées à l'égarement de ses désirs.

Ainsi, les mauvais juges sont différemment corrompus selon la diversité des objets qui les éloignent de la vérité et de la justice. Quelques-uns l'ont tellement abandonnée qu'ils n'en ont pas la moindre vue ni le moindre amour, et aimant toute autre chose plus que la justice, ils sont toujours également prêts à l'injustice pour un léger intérêt, pour une vengeance, pour un présent, pour une recommandation et pour une infinité d'autres engagemens qui les attirent selon les différentes faiblesses de leurs passions.

D'autres ont une conduite mêlée d'un amour apparent de la justice, et d'un amour effectif de leur intérêt et de leurs autr. s passions, et ceux-là font le plus grand nombre: ils paraissent quelquefois et souvent mème aimer la justice, parce qu'ils ne manquent pas d'en regarder les règles, lorsqu'elles n'ont rien de contraire à leurs autres vues; et surtout ils font éclater l'apparence de cet amour de la justice lorsqu'ils peuvent joindre son parti avec leur honneur et leur intérêt; mais lorsque la conjoncture est telle qu'il faut choisir et se déclarer ou pour la justice ou pour l'intérêt, l'amour dominant decouvre et met en évidence le fond du cœur qui n'aimait effectivement que soi-même et son intérêt, et fait bi ́n voir qu'il aimait dans la justice, non la justice, mais les avantages qu'il y rencontrait.

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Ainsi, par exemple, ou voit le même juge qui paraît allumer son zèle contre le crime lorsque l'honneur, l'intérêt, la recommandation ou d'autres vues l'engagent à la recherche et à la punition du criminel, et qui demeure dans le repos et dans le silence, si rien ne l'excite que la justice et le bien public.

Il serait facile de rapporter d'autres exemples des égaremens et des illusious des mauvais juges, qui se tournent différemment à la justice ou à l'injustice selon les différentes impressions dont ils se trouvent prévenus; mais il faut finir, et il suffit d'avoir proposé le caractère qui renferme les qualités nécessaires pour faire un bon juge, et le caractère opposé des mauvais juges, pour faire voir à chacun quel il est et quel il doit être. Le bon juge est celui qui sait les règles de sa profession, et qui a le cœur tellement animé de l'amour de la justice que jamais il ne l'abandonne; et le mauvais juge est celui qui, soit qu'il sache ou qu'il ignore sa profession, n'a que les apparences de cet amour, qui disparaissent par les impressions contraires de l'amour des autres objets qu'il préfère à la vérité et à la justice.

Ces deux idées renferment en abrégé toute la conduite des bons et des mauvais juges, et chacun peut reconnaître s'il est de ces bons juges qui considèrent leur ministère comme une fonction divine, et qui ne l'ont pas profané par leurs injustices; ou s'il a mérité d'être mis au nombre des mauvais juges, que le juge souverain exterminera par ces paroles: Discedite à me omnes operarii iniquitatis. Luc. 17. 27.

HARANGUE

Prononcée aux assises de l'année 1682.

L'engagement où nous nous trouvons à parler ici du devoir des juges, et la nécessité de nous réduire à peu de paroles dans une matière si vaste et si importante, nous obligent à nous restreindre à la première de leurs règles, et qui est le fondement de toutes les autres.

Tous les devoirs de tous les hommes sont renfermés dans une loi d'où dépendent toutes les autres, et cette loi n'est autre chose que la règle qui prescrit à l'homme ce qu'il doit aimer, et la manière dont il doit aimer; et la même vérité qui nous enseigne que c'est cette loi de l'amour qui fait la justice de tous les hommes, et que toutes les lois ne sont que des suites de cette première, nous apprend aussi que c'est un amour qui fait la justice de tous les juges, et que c'est l'amour m'ne de la justice: Diligite justitiam qui ju·licatis terran. Sap, 1. 1. C'est cet amour qui est le caractère du jng souverain des hommes, et il est remarqué que sa qualité de juge est un effet de son amour pour la justice,

et de sa haine contre l'injustice, Sedes tua Deus in sæculum sæculi: dilexisti justitiam et odisti iniquitatem: propterea unxit te Deus, Ps. 44 8.; et toutes les lois du devoir des juges sont tellement des dépendances de cet amour, que Salomon, demandant à Dieu les qualités nécessaires pour juger son peuple, ne lui demanda que la bonne disposition du cœur: Dabis ergo servo tuo cor docile, ut populum tuum judicare possit, 3. Reg. 3. 9.; parce qu'il savait qu'il ne pouvait rendre la justice s'il ne l'aimait, et n'avait un cœur flexible à tous les mouvemens de l'amour de la justice, et que cet amour était un principe universel qui le conduirait dans tout le détail de tous ses devoirs.

C'est donc une vérité divine, et la loi générale de tous les juges, que pour rendre la justice ils doivent l'aimer, et que c'est l'amour de la justice qui doit être le principe de leur conduite; et c'est par conséquent une vérité divine aussi, que, sans cet amour, les juges les plus éclairés et les plus habiles sont indignes de tenir ce rang, et que leur science n'est qu'une lumière froide, languissante et inutile, si elle n'est animée d'un amour actif, qui les applique à tous leurs devoirs.

Il n'y a donc rien de plus important que de bien connaître et bien observer cette loi si courte et si essentielle du devoir des jeges, d'aimer la justice; et pour comprendre cette loi dans toute sa force et son étendue, il faut la considérer sur ses fondemens, qui sont les mêmes que ceux que la loi générale qui commande l'amour aux hommes, et c'est aussi le mème esprit qui fait la force et la justice de l'une et l'autre.

Nous ne pouvons nous instruire des fondemens et de l'esprit de ces deux lois, qui règlent en général l'amour qui fait la justice de tous les hommes, et celui qui fait la justice de tous les juges, par une voie plus sûre et plus naturelle, qu'en considérant cette loi divine de l'amour dans le fond de la nature que nous a donné celui qui nous a fait ce commandement, et dans l'ordre de la société qu'il a mis entre les hommes: car nons verrons dans notre nature et dans notre société, que Dieu nous a formés pour l'exercice de cette loi, et cette vue nous découvrira le caractère général de la justice de tous les hommes, et le caractère propre de celle de juges, et nous fera voir en même temps que c'est l'amour de la justice qui est le principe unique par lequel les juges doivent exercer toutes les fonctions de leur ministère, et qu'ils ne peuvent s'en acquitter que par cet amour; de sorte que nous ne pouvons nous dispenser de considérer la manière dont Dien a formé la nature de l'homme et l'ordre de la société, pour y decouvrir les fondemens et l'esprit de cette loi de l'amour qui en est la règle.

Personne n'ignore que Dieu a composé l'homme d'une ame et d'un corps, qu'il a mis dans cette ame deux puissances, un en

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