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prince et on appelle république, les états où la souveraineté réside en plusieurs personnes.

Les états monarchiques sont de plusieurs sortes: empires, royaumes, et autres sous divers noms; plusieurs sont héréditaires, et quelques autres sont électifs. Parmi les héréditaires, quelquesuns ne passent qu'aux mâles, et en d'autres les filles succèdent au défaut des mâles. On peut mettre au nombre des états monarchiques, divers états qui, sous les noms de duchés, comtés, marquisats et autres semblables, forment des principautés dont les dues, les comtes, les marquis sont les souverains : et quoiqu'ils tiennent leurs souverainetés et principautés en fief d'autres princes dont ils sont vassaux, ils ne laissent pas d'avoir une domination souveraine sur leurs sujets; il y a même des royaumes tenus en fiefs. Il y a aussi des principautés attachées à des évêchés, et qui passent à l'évêque par son élection à l'épiscopat (1).

Les républiques sont aussi de diverses sortes; car il y en a qu'on appelle aristocratiques, où le gouvernement est entre les mains de personnes du premier rang; et il y en a qu'on appelle démocratiques, où des personnes du commun du peuple peuvent être appelées au gouvernement. On donne aussi le nom d'oligarchies à quelques-unes où le gouvernement est entre les mains de peu de personnes, pour les distinguer des autres où ceux qui gouvernent sont en plus grand nombre. Ainsi, ces diverses manières du gouvernement des républiques les distinguent les unes des autres; mais elles ont toutes cela de commun, que c'est par l'élection qu'on en remplit les premières places, soit que cette élection se fasse par un certain corps qui en ait le droit, ou par des députés de divers ordres, ou par d'autres voies.

De ces deux espèces générales de gouvernement, ou monarchique ou république, le monarchique est le plus universel, et le plus ancien. Il est le plus universel, puisqu'on voit qu'aujourd'hui tout l'univers est en monarchies, à la réserve d'un très-petit nombre de républiques, et qu'on sait, par les histoires de tous les temps et de tous les lieux, que cette sorte de gouvernement a toujours été le plus en usage. Et on peut remarquer que toutes les républiques qui sont aujourd'hui en Europe, où en est le plus grand nombre, n'ont toutes ensemble qu'une très-petite étendue, et qu'il n'y en a aucune qui n'ait été soustraite d'un gouvernement monarchique qui avait précédé. Car elles ont toutes été démembrées ou de l'empire romain, ou d'autres états monarchiques; et si on remonte à la république de Rome, la plus florissante qui ait jamais été, on sait qu'elle avait été précédée d'une monarchie.

Pour ce qui regarde l'antiquité, celle du gouvernement monar

(1) V. le décret sur l'abolition du régime féodal, rapporté, t. 1, p. 109.

chique a son origine dès la création du monde, où il était tout naturel, qu'une seule famille devenant un peuple, la puissance paternelle du premier chef, de qui les enfans et les descendans composaient ce peuple, fût en sa personne un droit de gouvernement, et que cette unité du gouvernement naturelle dans le commencement de la société des hommes, y persévérât. Aussi voit-on qu'après le déluge qui mit le genre humain au mème état où l'avait mis la création, un seul fut le chef de la première société, et que lorsqu'elle se divisa pour se disperser et en former plusieurs en divers pays, chacune conserva cette manière de gouvernement. On peut remarquer aussi dans les livres saints, qui sont les seuls où l'on a l'histoire depuis le commencement du monde, pendant plusieurs siècles, avant les premiers dont il paraît quelques vestiges dans les autres livres, qu'il n'y est fait aucune mention de républiques. Mais on y voit un usage universel d'états monarchiques, tellement multipliés, que dans la petite étendue qui environnait l'état des Juifs, on compte un grand nombre de rois, dont chacun ne pouvait avoir que des bornes très-resserrées. Et dans toute la suite, on voit dans ces mêmes livres saints et par tous les autres, que presque tous les gouvernemens de l'univers ont été monarchiques.

Il semble qu'on puisse conclure de cette antiquité du gouvernement monarchique, de son origine qu'il tire du gouvernement paternel, et de sa durée dans tous les siècles par tout l'univers, que c'est le gouvernement le plus naturel, et que c'est celui que la multitude a jugé le plus utile. Et quoiqu'il soit vrai que la multitude n'est pas toujours dans les sentimens les plus raisonnables, cette verité a ses bornes en deux sortes d'opinions et de sentimens où la pluralité est souvent sujette aux erreurs. L'une des opinions dans les matières dont la connaissance dépend de principes de sciences connues de peu de personnes, et dont les vérités sont cachées et souvent contraires à ce qui paraît aux sens dont la plupart font la règle de leurs jugemens. Et l'autre des sentimens qu'inspire la corruption du cœur, fa pente de l'amour propre, et les mouvemens des passions; car comme nous naissons tous dans la pente au mal, et que peu de personnes s'élèvent à se conduire par les vues de la vérité et de la justice, la multitude s'égare dans les sentimens qui naissent du cœur; et on jugerait presque toujours très-imprudemment, très-faussement et même criminellement, si on jugeait des sentimens et des mouvemens du cœur selon le goût de la multitude. Ainsi, par exemple, on jugerait mal que l'amour et la recherche des plaisirs, des biens, des honneurs fût le meilleur parti, parce que c'est celui de la multitude. Mais dans les choses où la connaissance du juste et du vrai ne dépend ni de l'étude des sciences, ni de la pureté et droiture du cœur, et où la diversité des sentimens ne blesse ni la religion

ni les bonnes mœurs, la multitude sent et juge presque toujours mieux que ne sentent et ne jugent ceux qui veulent s'en distinguer, et qui se portent à d'autres vues que celles où la pente naturelle porte le commun des hommes. Car cette pente n'est autre chose que l'inclination de suivre les lumières que Dieu nous donne naturellement; et la raison est le principe qu'il nous a donné pour l'usage de ces lumières. On voit même quelquefois que cette pente de la multitude à un sentiment, se trouve fondée sur des principes naturels qui ne se découvrent pas facilement, et que ceux qui se portent à des sentimens contraires n'ont pas pénétré; le lecteur peut en voir un exemple dans le préambule de la sect. 3 du tit. 9 de ce premier livre.

On peut ajouter à toutes ces considérations, qui font juger que l'état monarchique étant le plus universel et le plus ancien, il est le plus naturel et le plus utile; qu'il est aussi le plus conforme à la l'esprit de la loi divine, et à la conduite de Dieu sur les hommes. Puisque c'est celui que Dieu choisit quand il voulut former un peuple sur lequel il devait faire éclater sa conduite toute puissante, pour figurer un autre peuple qu'il voulait former de toutes les nations du monde, et qui ne devait avoir aussi qu'un seul prince, dont le règne s'étendît à tout l'univers, et à tous les siècles. Il commença par choisir et distinguer une famille, et y établir celui qui en était le chef comme un premier prince, même avec l'usage des armes ; les descendans de ce premier chef qui composèrent ce peuple ayant été dans une captivité de 400 ans (1) sous la tyrannie d'un peuple voisin, où ils se multiplièrent jusqu'à composer plus de six cent mille hommes propres à porter les armes, Lorsque Dieu voulut les délivrer de cette captivité, il leur suscita un libérateur qui les en tira, et qui exerça sur ce peuple pendant toute sa vie les fonctions de prince sous la conduite visible de Dieu, qui se servait de cet homme seul pour exécuter ses ordres en tout ce qui regardait le gouvernement. Et dans toute la suite ce peuple eut toujours des chefs qui le gouvernaient sous le nom de juges, c'est-àdire, selon la langue sainte, de princes qui avaient le gouvernement. Ainsi, pendant tout ce temps de Moïse, et des princes ses successeurs, le gouvernement du peuple juif fut toujours monarchique, c'est-à-dire en la personne d'un seul; de sorte que quand Moise, ne pouvant suffire à régler par soi-même tous les différends du peuple, choisit parmi les anciens les plus sages et les plus habiles pour le soulager dans cette fonction, il se réserva la connaissance des difficultés qui mériteraient que l'on vînt à lui(2). Dès le commencement du gouvernement de Josué son successeur, Dieu lui dit qu'il serait avec lui, comme il avait été avec Moïse; et il commença d'agir en chef qui avait seul le gouvernement,

(1) Gen. 15. 13. Act. 7. 6. (2) Deuter. 1. 17.

donnant ses ordres aux premiers du peuple qui devaient commander sous lui, et qui tous lui promettaient une fidèle obéissance, lui déclarant que le premier qui manquerait d'obéir à tout ce qu'il ordonnerait serait mis à mort (1).

[Les meilleurs gouvernemens, dit Burlamaqui, sont ou une monarchie limitée, ou une aristocratie tempérée par la démocratie, par quelque privilége en faveur de la généralité du peuple (2). Pour ce qui est de la monarchie, elle s'établit lorsque le corps entier du peuple confère l'autorité souveraine à un seul homme, ce qui se fait par une convention entre le roi et ses sujets (3)].

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Le gouvernement des juges fut suivi de celui des rois, par un changement qu'il n'est pas nécessaire d'expliquer ici. Car il ne s'agit pas des différentes manières dont un seul peut avoir le vernement; mais seulement en général de la préférence du gouvernement d'un seul à celui d'une république, comme étant le plus naturel et le plus conforme à la conduite de Dieu sur le peuple qu'il avait choisi. Et en effet, après que Dieu eut donné à ce peuple un roi qu'il lui avait demandé, et qu'il eût puni et le peuple pour avoir voulu un gouvernement différent de celui qu'il avait lui-même réglé, et ce roi même pour n'avoir pas suivi tous ses ordres; il ne laissa pas de leur donner un second roi, et de choisir lui-même pour cette place un homme qui mérita cet éloge singulier d'ètre selon le cœur de Dieu (4), et qu'il rendit digne de représenter, par son règne celui de ce prince qui devait naître de lui et former ce règne divin dont celui de ce peuple était la figure: et il donna à ce second roi plusieurs successeurs ses descendans qui régnèrent sur ce même peuple. (Charte, 74.)

On voit par cette suite de monarchies dans l'étendue de tout l'univers, et dans la durée de tous les siècles, et par cette conduite de Dieu sur le peuple juif, que l'état monarchique est le plus naturel et le plus conforme à celui que Dieu a lui-même mis en usage sur son peuple. Et c'est par cette même conduite que Dieu ayant formé la société de chaque état, comme un corps dont ceux qui le composent sont autant de membres, il a établi en chacun un chef (5) pour gouverner et tenir sa place, comme un père dans sa famille, et qui par l'unité du gouvernement imite et représente celui de sa providence, et contienne les membres de ce corps dont il est le chef dans les liaisons qui doivent former l'ordre de la société qui les unit. (Charte, 13, 14, 15.)

Il semble suivre de ces vérités, que l'état monarchique est le plus naturel, et le plus utile. Et aussi voit-on que les inconvéniens qui ne sauraient manquer de naître dans toutes les choses où la conduite des hommes a quelque part, sont naturellement moindres dans les monarchies que dans les républiques. Ainsi,

(1) Jos. 1. 18. (2) Princ. de droit polit. ch. 2, § 44. (3) Ibid. ch. 1, § 14. (4) Act. 13. 22. 1. Reg. 13. 14 (5) Eccli. 17. 14.

dans une monarchie les sujets ne s'avisent pas d'aspirer à la place du souverain; et on y voit bien moins de cabales et de factions. Car l'ambition des particuliers y ayant pour borne un rang de sujet, elle ne va pas à des entreprises de s'élever à celui du chef, et à troubler l'état par des séditions et des guerres civiles. Mais dans une république plusieurs pouvant prétendre les premières places, et y parvenir par l'élection, les brigues ont souvent plus de part aux suffrages que le mérite : et ceux qui se proposent une élévation aux premières places ne manquent pas d'en faire pour y réussir, et s'il manquent d'occasions et de conjonctures pour user de la force, ils tâchent de s'attirer les suffrages par des préseus, par des promesses, par des menaces sur ceux à qui ils peuvent en faire, et par d'autres voies, qui divisent les familles, corrompent ceux qui doivent faire l'élection, et font élever au gouvernement de méchans sujets. Ainsi ces choix injustes ont encore l'inconvénient des envies, des jalousies, des divisions, des inimitiés, et font que la soumission à ceux qui sont entrés par ces voies dans les places du gouvernement, y est plus pénible, et quelquefois même odieuse. Les élections même les plus légitimes n'empêchent pas que ceux qui se croient d'un plus grand mérite que les personnes élevées au-dessus d'eux au gouvernement, ne les y regardent avec jalousie, et qu'il ne naisse de tous ces inconvéniens diverses suites opposées au bien public qui devait être le fruit du gouvernement. On voit aussi dans les républiques, que ceux qui remplissent les premières places ayant leurs intérêts propres et celui de leurs familles distingués de ceux de l'état, le bien public y est exposé à céder au leur dans les occasions où l'élévation peut favoriser cette pente à leurs intérêts: au lieu que dans une monarchie, le gouvernement souverain étant en la main d'un seul qui ne doit avoir qu'une seule vue, et un seul intérêt du bien de l'état qu'il doit considérer comme le sien propre, rien ne le divise. Et cette unité qui n'empêche pas l'usage des bons conseils rend les résolutions plus fermes, plus secrètes et plus proportionnées au bien de l'état, et en facilite l'exécution, qu'elle rend plus prompte, plus forte et plus absolue, par la réunion de toutes les forces et de tout ce qui regarde cette exécution en la personne du souverain, en qui réside la plénitude et l'unité du gouvernement. (Charte, 14, 15, 57.)

Outre ces avantages naturels au gouvernement monarchique, on peut encore en remarquer un commun à presque toutes les monarchies qui sont dans le monde, et qu'on ne voit point dans la plupart des républiques. Tout le monde sait que pour procurer et maintenir le bien d'un état, il faut qu'il abonde de toutes les choses qui peuvent contribuer aux nécessités et aux commodités de la vie pour toutes sortes de personnes qui le composent ; qu'on y vive en paix et en sûreté contre les entreprises des voisins et

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