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des ennemis ; que l'autorité de la justice y soit absolue; que l'art militaire, les sciences, les beaux-arts, le commerce puissent y fleurir par la multitude des personnes qui les cultivent, et par les récompenses du mérite de ceux qui ont rendu des services singuliers au public, et que les finances puissent fournir aux dépenses que demandent toutes ces choses, d'où dépend le bien commun de l'état; d'où il s'ensuit que plus un état a d'étendue, plus il a tous ces avantages, et il en a aussi moins à proportion que ses bornes sont resserrées. Car les biens de toutes sortes y abondent moins, et on n'a pas tous les secours nécessaires pour en avoir d'ailleurs; les personnes habiles y sont en bien moindre nombre; on y a moins de secours des deniers publics, et on y est tout autrement exposé aux entreprises des étrangers, dont les moindres peuvent renverser l'état. Puisqu'il est donc du bien d'un état qu'il fleurisse et qu'il se maintienne par son abondance et par ses forces, ce qui demande une étendue qui puisse y fournir, on peut dire que ces avantages ont toujours été, et sont encore naturellement propres à tous les grands états monarchiques, tels que sont aujourd'hui la plupart dans toutes les parties du monde, et qu'ils manquent à presque toutes les républiques qu'on voit à présent; car elles sont restreintes à peu d'étendue, et leur peu de force les expose aux entreprises de leurs voisins, et à implorer la protection des princes qui peuvent leur tourner en une espèce de domination étrangère, et avoir de fâcheuses suites. Et ce qui cause ce peu d'étendue des républiques, et les prive de ces avantages des grands états, c'est parce que le gouvernement des républiques n'est naturel qu'à un petit peuple qui se sépare et se distingue des autres par ses mœurs propres, pour se réunir par des liaisons qui approchent de plus près ceux qui le composent, pour les rassembler sous un gouvernement qui soit à leur gré; de sorte que cette union ne se forme pas aisément entre plusieurs peuples. Mais les grands états ont été formés ou par la multiplication des premiers peuples qui ont commencé d'occuper un pays, ou par des conquêtes qui en ont étendu les bornes; et quelques-uns même, comme ceux de l'Europe, ont été de grandes portions de l'empire romain démembré. Et toutes ces manières, et les autres qui peuvent avoir donné la naissance et l'accroissement à toutes les grandes monarchies, ont eu cette suite de les mettre à couvert des entreprises les unes des autres, et de faire abonder en chacune tout ce qui peut faire le bien d'un état et le maintenir. (Charte, 14.)

On ne doit pas tirer à conséquence, contre ces remarques sur les avantages des monarchies, la grandeur de la république de Rome; car il ne faut considérer comme le corps de cette république que Rome même, ou le peuple romain, qui s'étant rendu maître des autres peuples ne le regardait pas comme composant

avec lui une république, mais comme des états sujets à sa domination. Et pour ce qui regarde les inconvéniens des républiques, celle de Rome tomba en peu de siècles dans le plus grand de ceux qu'on a remarqués, ayant eu sa fin par l'ambition des auteurs des dernières guerres civiles, où le vainqueur se rendit le maître de la république et en fit une monarchie (1).

On peut ajouter à ces réflexions sur les avantages des monarchies ceux de la France, qui de tous les états du monde est celui où ils abondent le plus par son étendue en plusieurs grandes provinces, par sa situation dans le climat le plus tempéré, et sur les deux mers, par sa fertilité de tout ce qu'il y a de meilleur et de plus nécessaire, par la multitude de ses sources, ruisseaux, rivières et fleuves propres aux navigations pour la communication des provinces, par sa proximité de plusieurs états ses voisins, par la politesse de la nation féconde en grand esprits et en grands hommes en toute sorte de professions, par ses richesses, et ses grandes forces. Et aussi n'a-t-on jamais vu d'état d'une si longue et ferme durée avec tant d'avantages au-dessus des autres.

Il semble qu'on puisse conclure de toutes ces réflexions, que l'état monarchique doit être préféré à celui de la république, et qu'il s'ensuit de quelques-unes des raisons de cette préférence, qu'entre les monarchies le gouvernement de celles qui sont héréditaires est plus naturel et plus utile que de celles qui sont électives, et qu'il a moins d'inconvéniens. Car au lieu que dans les monarchies héréditaires c'est Dieu qui semble disposer lui-même plus visiblement du gouvernement, y appelant les princes par leur naissance; les élections sont sujettes à de grands inconvéniens, soit pour le choix des personnes où il est facile qu'on soit trompé, ou par les cabales et les factions. Et le règne même des princes électifs les mieux choisis a ses inconvéniens de divisions dans l'élection, de longs interrègnes qui exposent à des factions et à d'autres mauvaises suites, de moins d'exactitude dans l'obéissance à une autorité moins absolue, de lenteur dans les affaires de l'état, et d'autres mauvaises suites. Et enfin si on distingue entre les monarchies héréditaires celles où la souveraineté ne passe qu'aux mâles, et celles où les femmes peuvent règner, on peut dire que le gouvernement de celles-ci est moins naturel, et qu'il y a beaucoup d'inconvéniens. De sorte que de tous les états le plus naturel et le plus parfait est celui des monarchies héréditaires, qui ne peuvent passer qu'aux mâles.

[J'établis d'abord cette grande maxime, dit Blakstone, comme le fondement du jus coronæ, ou du droit de succession au trône de ce royaume (d'Angleterre): la couronne est héréditaire par la loi commune et par l'usage; elle est héréditaire d'une manière qui lui est propre.... Elle

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appartient au plus prochain héritier après la mort ou la démission du dernier souverain...

Les terres ne sont pas naturellement plus héréditaires que les trônes; mais la loi a jugé qu'il convenait au bonheur et à la tranquillité de tous, d'établir le même ordre de succession pour les unes et pour les autres. Un droit héréditaire, immuable et de droit divin, entraînant nécessairement la doctrine d'une obéissance passive et illimitée, serait sans doute la plus oppressive et la plus redoutable des constitutions; mais lorsqu'un droit héréditaire est entièrement lié avec ces priviléges et ces droits, dont le parlement jouit, une telle union doit former une constitution aussi admirable dans la théorie, que louable et faite pour durer longtemps dans la pratique.

L'ordre de succession, dit Montesquieu, est fondé dans les monarchies sur le bien de l'état, qui demande que cet ordre soit fixé, pour éviter les malheurs que j'ai dit devoir arriver dans le despotisme, où tout est incertain, parce que tout y est arbitraire.

Ce n'est pas pour la famille régnante que l'ordre de succession est établi, mais parce qu'il est de l'intérêt de l'état qu'il y ait une famille régnante. La loi qui règle la succession des particuliers, est une loi civile, qui a pour objet l'intérêt des particuliers; celle qui règle la succession à la monarchie, est une loi politique, qui a pour objet le bien et la conservation de l'état (1).

Le gouvernement monarchique a un grand avantage sur le gouvernement despotique. Comme il est de sa nature qu'il y ait sous le prince plusieurs ordres qui tiennent à la constitution, l'état est plus fixe, la constitution plus inébranlable, la personne de ceux qui gouvernent plus assurée. (V. Charte, 15, 57, 58, s.)

Cicéron croit que l'établissement des tribuns de Rome fut le salut de la république : « En effet, dit-il, la force du peuple qui n'a point de chef est plus terrible. Un chef sent que l'affaire roule sur lui, il y pense: mais le peuple, dans son impétuosité, ne connaît point le péril où il se jette (2). »

La couronne doit demeurer dans la postérité du premier roi, dit Burlamaqui, et ne doit point passer à ses parens en ligne collatérale, et moins encore à ceux qui n'ont avec lui que des liaisons d'affinité. C'est là, sans doute, l'intention du peuple qui a rendu la couronne héréditaire dans la famille du prince; ainsi, à moins qu'il ne s'en soit expliqué autrement, au défaut des descendans du premier roi, le droit de disposer du royaume retourne à la nation.

Les enfans adoptifs, n'étant pas du sang royal, sont aussi exclus de la couronne, qui doit revenir à la disposition du peuple dès que la tige rovale vient à manquer.

Entre ceux qui sont en même degré, soit réellement, soit par représentation, les mâles sont préférés aux femmes, parce qu'on les présume plus propres à faire la guerre, et aux autres fonctions du gouvernement (3).

On appelle gouvernement monarchique, dit le chevalier Gaetano Filangieri, celui où un seul homme gouverne, mais par des lois fixes, qu'on nomme lois fondamentales. Ces lois supposent nécessairement

(1) Esprit des lois, liv. 26, ch. 16, § 4 et 5. (2) Esprit des lois, liv. 5, clr. 11, §1 et 2. (3) Princip. du droit polit., ch. 3, § 30, 32, 33.

des canaux moyens par où se transmet la puissance, et des forces réprimantes qui en conservent la modération et l'éclat (1).

A l'égard de la succession purement héréditaire, voici en quoi le bien de l'état demande qu'elle suive une route un peu différente des successions entre particuliers au même dégré. 1o Le royaume ne doit pas être partagé entre plusieurs frères, ou autres héritiers au même dégré; autrement on affaiblirait l'état ; et les sujets ayant différens maîtres ne seraient plus unis. 2o Il faut que la succession demeure dans la postérité du premier roi, sans passer jamais à ses parens en ligne collatérale, moins encore à ceux qui n'ont avec lui que des liaisons d'affinité. Car le peuple n'a prétendu donner la couronne qu'à ce roi et à sa postérité. Ainsi, dès qu'il ne reste plus aucun descendant du roi, le droit de disposer du royaume retourne au peuple. 3° On ne doit admettre à la succession que ceux qui sont nés d'un mariage conforme aux lois du pays. Par là les enfans naturels ou bátards sont exclus, quand même le père les aurait aimés aussi tendrement que ses enfans légitimes..... Les enfans adoptifs doivent aussi être exclus de la succession à la couronne, non-seulement à cause que l'on a plus de respect pour ceux qui sont véritablement du sang royal, et plus grand sujet d'espérer. qu'ils hériteront des vertus de leurs ancêtres; mais encore parce que c'est à la postérité naturelle de ses rois que le peuple a conféré la succession, afin que cette race venant à manquer, le droit de disposer désormais de la forme du gouvernement retournât à lui; droit qui pourrait être perpétuellement éludé, si l'adoption était un titre légitime pour prétendre à la succession..... 6o Enfin, il y a une différence considérable entre les successions de particulier à particulier, et celles des princes, dont le royaume a été originairement fondé par le peuple, c'est que, chaque roi ne moute sur le trône qu'après la mort de son prédécesseur, mais seulement à son occasion. Car, dans ces sortes de royaumes, la succession ne dépend pas de la volonté du dernier possesseur, mais de la volonté du peuple, qui l'a établie dans la race du premier roi.

Comme dans l'ordre de la succession qui appelle simplement à la couronne le plus proche du dernier roi, il peut aisément arriver qu'on ne voie pas bien qui doit avoir la préférence entre plusieurs personnes un peu éloignées de la tige. Comme d'autant plus que, dans les dégrés éloignés, le droit de représentation s'évanouit, pour prévenir les contestations qui pourraient naître de là, plusieurs peuples ont établi la succession que l'on appelle linéale, et qui consiste en ce que tous ceux qui descendent du premier roi de la famille régnante sont censés former autant de lignes perpendiculaires, dont chacune a droit au royaume, selon qu'elle est plus proche; et entre ceux de cette ligne qui sont au même dégré, celui à qui le sexe premièrement, et ensuite l'âge donne la préférence; en sorte que la couronne ne passe point d'une ligne à l'autre, tant qu'il reste quelqu'un de la précédente..... On appelle donc toujours à la succession, premièrement les enfans du dernier roi, mais en sorte que l'on a égard au mort, dont il reste quelque enfant, à quelque dégré qu'il soit.... Que si le dernier possesseur de la couronne meurt sans enfans, on ne remonte pas jusqu'au premier auteur de la race royale, mais on prend la ligne la plus proche de celle du

(1) Science de la législation, liv. 1, ch. 10.

défunt, et ainsi de suite, en observant toujours dans le même degré la prérogative du sexe et de l'âge (1). Ainsi, à la doctrine de ces philosophes, je vais appliquer la loi qui dispose:

Art. 1. La royauté est indivisible, et déléguée héréditairement à la race régnante, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.

Art. 2. La personne du roi est inviolable et sacrée... (V. Charte, 13.) L'art. 1 de la sect. 2 porte: Le roi est mineur jusqu'à l'âge de dix-huit ans accomplis; et pendant sa minorité, il y a un régent du royaume.

Art. 2. La régence appartient au parent du roi le plus proche en dégré, suivant l'ordre de l'hérédité au trône, et âgé de vingt-cinq ans accomplis pourvu qu'il soit Français et régnicole, qu'il ne soit pas héritier présomptif d'une autre couronne, et qu'il prête le serment civique. Les femmes sont exclues de la régence.

Art. 3. Si un roi mineur n'avait aucun parent réunissant les quatre qualités ci-dessus exprimées, le régent du royaume sera élu ainsi qu'il va être dit aux art. suivans. (2).]

ces

On ne doit pas s'arrêter à répondre aux objections des inconvéniens qui arrivent dans les monarchies dont les souverains se trouvent incapables de soutenir le poids du gouvernement, soit par leur bas âge, ou par leurs défauts, ou même par des vices qui les portent à de mauvais usages de leur puissance. On sait qu'il y a partout diverses sortes d'inconvéniens, qu'il n'y a rien au monde de si bon et de si parfait qui n'en soit suivi, et que les meilleurs établissemens ont toujours les leurs; ainsi, objections ne prouvent rien. Car, outre que les inconvéniens du gouvernement des républiques sont plus fréquens, et autant ou plus grands; quand il s'agit de juger de l'utilité d'un gouvernement, et de toute autre sorte de choses, on doit en considérer la nature elle-même, et juger meilleur ce qui a naturellement les caractères d'un plus grand bien. Et pour les inconvéniens qui peuvent arriver dans les monarchies par les défauts du prince, c'est un effet de la providence de Dieu qu'on doit souffrir, de même que les mauvais succès des plus justes guerres, et les autres fléaux qui nous viennent de la main de Dieu. Car c'est à lui que sont réservés les événemens, sans qu'aucune prudence humaine puisse les promettre bons: et c'est en sa main que sont les gouvernemens, et les volontés de ceux qui gouvernent (3). Et dans les états même où ceux qui gouvernent out le plus de sagesse et d'application, soit monarchies ou républiques, on ne peut empecher une infinité d'injustices que commettent ceux à qui le souverain ou la république sont obligés de confier ce que ne peuvent faire par eux-mêmes ceux qui remplissent les premières

(1) Puffendorf, liv. 7, ch. 7, § 12, 2 alinéa, § 13. (2) Constitut. du 3-14 sept. 1791, ch. 2, sect. 1 et 2. V. constitut. du 24 juillet 1793; du 5 fructidor an 3; du 22 frimaire an 8; sénatus-consulte organique du 16 thermidor an 10, du 28 floréal an 12; charte constitutionnelle du 4 juin 1814; acte additionnel aux constitutions de l'empire du 22 avril 1815. (3) Eccles. 5. 7.

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