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A Monsieur l'Editeur

DES

MÉMOIRES DE TOUS.

Paris, le 12 décembre 1834.

Vous me demandez, monsieur, une préface ou plutôt quelques lignes d'avant-propos, pour le fragment des Mémoires de M. de Goguelat que vous allez imprimer dans votre intéressante collection. Que dirai-je, à cette occasion, à moins de parler de M. de Goguelat lui-même ? car de l'ensemble de ses Mémoires, je n'en sais rien, absolument rien, sinon qu'ils formaient vingt cahiers à peu près aussi volumineux que celui que je vous ai remis ; j'ignore également à quelles circonstances historiques se rapportaient tant de souvenirs et quellaps de temps ils embrassaient. M. de Goguelat parlait peu; c'était un vieillard des moins communicatifs même dans la plus parfaite intimité. Il m'est souvent arrivé d'être de ses dîners du lundi, lorsqu'il fêtait de vieux amis, ou d'anciens frères d'armes qui avaient comme lui quitté la France après le 10 août, et à qui la générosité de nos princes avait ouvert le noble asile des invalides: eh bien! dans ces réunions, M. de Goguelat était encore discret, et ses réminiscences ne se manifestaient qu'à demimot. Peut-être cette réserve lui était-elle imposée par la conscience de son propre caractère, contre les emportemens duquel il sentait le besoin de se mettre en garde : il y avait certaines choses et certains personnages dont on ne s'entretenait jamais en sa présence, sans que soudain sa physionomie ne s'animât d'une expression véhémente de colère ou d'indignation. Il n'é

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tait pas jusqu'à la vue des objets auxquels se rattachaient pour lui de fâcheuses idées, qui n'eût cette puissance d'émouvoir sa vivacité et de l'enflammer. Un jour revenant avec lui de la procession du vœu de Louis XIII, et passant sur le pont Notre-Dame, je remarquai que son regard devenait étincelant. Tout-à-coup par un mouvement brusque et presque convulsif, sa main se porta sur la garde de son épée. Les brigands! les scélérats! s'écriait-il, et tout son visage était menaçant. A qui en avez-vous? lui dis-je? Ils étaient là, me répondit-il, huit séides, huit spadassins, là, à l'angle de la petite ruelle; ils m'assaillirent dans la rue de la PlancheMibray; heureusement j'avais alors bon pied, bon œil, et la main preste, je dégainai, l'un deux resta sur la place, les autres s'enfuirent. Ah ! le coquin! - Et qui donc? — Égalité, qui voulait me punir de l'accueil que je lui avais fait à son retour de Londres!-Vous ne pardonnerez donc jamais aux d'Orléans? Jamais! Pourtant, lui fis-je observer, les fils ne doivent pas porter la peine des crimes de leurs pères. Son altesse monseigneur le duc d'Orléans n'expie-t-elle pas tous les jours par les respects et les soumissions d'un sujet humble et fidèle des torts qui ne furent pas les siens? Et son impatience pendant le fatal procès ? — Il était jeune.-Et l'intrigue de 1815 avec Fouché, et la protestation à la naissance du duc de Bordeaux, et la protection accordée au pamphlétaire Paul-Louis, et les conférences avec le marquis de Maison: bah! bah! fit-il, vous savez l'axiome Talis pater... Et puis, ajouta-t-il, ces grandes soumissions dont l'excès a été remarqué du dernier des gardes sont précisément ce qui m'inquiète. Timeo Danaos, et l'opposition souterraine !

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Ges appréhensions se sont vérifiées, après le funeste évènement de 1830. Le 29 juillet, la garde royale abandonnait déjà le château des Tuileries, que M. de Goguelat ne croyait pas à un échec irréparable. Il habitait à cette époque sur le quai Voltaire, no 21 bis, dans un des superbes hôtels de Vigier des bains. Tant que dura le combat, il ne quitta pas ses croisées, restant ainsi exposé au feu d'une mousqueterie, dont les balles égarées vinrent plusieurs fois frapper la pierre à quelques pouces de sa tête. Peu d'hommes conservèrent dans un âge avancé une plus forte dose de courage... -C'est bien, c'est bien, disait-il, en voyant la troupe se replier devant l'insurrection, tout à l'heure nous prendrons notre revanche. Et il se figurait que Marmont avait voulu attirer les insurgés dans un piége. Dès qu'il fut assuré qu'il n'en était rien, il ferma ses volets, comme si la lumière d'un jour si malheureux lui était insupportable. C'était la pensée et l'action de ce Romain qui se couvre le visage de son manteau.

Il y avait quelques jours que je n'étais venu chez M. de Goguelat, lorsque, le 4 août au matin, je me proposai de lui faire une visite; je me présentai selon ma coutume; mais sa domestique me dit qu'il s'était enfermé, et qu'il désirait être seul. J'insistai pour qu'elle m'annonçât, et dès qu'il sut que c'était moi, il donna l'ordre de me faire entrer. Mon ami, ayant ses béquilles auprès de lui, était assis dans son fauteuil, en face d'un grand feu; à sa

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droite était une table couverte de cartons.-Vous êtes surpris, me dit-il, de ce que je me chauffe dans la canicule, je ne me chauffe pas, j'anéantis; ce sont les secrets des 5 et 6 octobre et bien d'autres que je livre aux flammes. A présent que nous avons changé de maîtres. il ne serait rien moins que prudent de les garder. On me connaît; Je m'attends à des perquisitions, à des persécutions peut-être ; je veux assurer la tranquillité de mes vieux jours.... En même temps il jeta dans la cheminée une grande quantité de papiers. Ah! f...., dit-il (il jurait assez facilement), voilà encore un cahier de mes Mémoires.-Sans doute, lui dis-je, le manuscrit de votre Mémoire sur le voyage à Varennes.

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Non pas, me répondit-il, celui-là n'est qu'une réfutation des erreurs de MM. de Bouillé, et des mensonges calomniateurs de Madame Campan; c'est un plaidoyer que nous avons fait, M. de Rivoire et moi, et auquel MM. Berville et Barrière ont mis la dernière main. Mais j'ai écrit des Mémoires; ceux-là, personne n'y avait touché, personne ne savait leur existence; ils conservaient quelques faits ignorés, et je crois qu'ils auraient été de quelque prix pour l'histoire. Et vous les avez brûlés ?- Sans pitié....; ce monde est vraiment indigne d'apprendre la vérité. Au moins, lui dis-je, permettez-moi de lire ce qu'il en reste. Il ne s'y opposa pas; mais à peine avais-je commencé, que, fatigué probablement de mon silence, il me dit : —Mettez cela dans votre poche, et parlez-moi un peu de nos princes. Où sont-ils? que vont-ils devenir ? on les a poussés dans l'abime.... C'est la grande conjuration de 1789 qui a eu son dénouement en 1830. La conversation fut assez longue. Au moment de me retirer, M. de Goguelat me fit promettre de ne communiquer à personne, du moins de son vivant. le cahion que j'ompontaic e mais il ainuta.

que vous voudrez....

M. de Goguelat est mort à Paris, le 3 février 1832, dans la quatre-vingttroisième année de son âge. Doué d'une organisation de fer, il aurait fourni la carrière d'un siècle entier, si un accident, en le forçant à ralentir la prodigieuse activité de sang dont il était pourvu, ne fût venu hâter sa fin. Ses jambes s'étant embarrassées dans la corde d'un petit chien qu'on menait en laisse, il tomba dans la rue de Rivoli, et sa première infirmité fut une luxation du fémur qui le retint au lit plusieurs mois; depuis, il ne se rétablit jamais complètement de cette chute. Pendant sa maladie, S. A. R. madame la Dauphine lui donna des preuves bien touchantes de l'estime qu'elle faisait de lui : elle ne laissa pas passer un jour sans envoyer demander des nouvelles de sa santé.

M. de Goguelat, d'abord officier au corps des ingénieurs-géographes des camps et armées du roi, capitaine au régiment d'Artois dragons, puis officier d'état-major et secrétaire intime de LL. MM. le roi et la reine de France à partir de 1789, confident attentif de leurs douleurs et de leurs projets, M. de Goguelat, dis-je, a rempli des missions aussi délicates que périlleuses, depuis les premiers jours de la révolution jusqu'à la chute du

trône renversé par les Jacobins. Au mois de juin 1791, il fut le principal agent dans l'entreprise qui avait pour but de sauver le roi, en l'emmenant de Paris à Varennes; il fit bonne contenance en mauvaise situation, et reçut, en voulant défendre la famille royale, deux coups de feu à bout portant, l'un dans la poitrine et l'autre à la tête. Successivement déposé dans les prisons de Rocroi et de Mézières, transféré dans celle d'Orléans, traduit devant la haute cour qui siégeait dans cette ville, il ne dut sa liberté qu'à l'amnistie dont fut accompagnée l'acceptation de la constitution par le roi. Il revint aussitôt près du prince. Au 10 août, il fut du petit nombre des serviteurs fidèles qui se rendirent avec le roi à l'assemblée : il resta près de lui dans la loge du Logographe, et pendant les trois jours que Sa Majesté demeura aux Feuillans, durant la captivité des augustes victimes, il n'eut d'autre pensée que celle de leur délivrance; il remua ciel et terre pour arriver à ce résultat, et s'il se fût trouvé des imitateurs de son audace, nul doute qu'il eût réussi.

M. de Goguelat était président du chapitre de l'ordre du Phénix, dont le grand- maître était le prince de Hohenlohe. Il était passionné au plus haut degré pour les distinctions et les mœurs chevaleresques; c'était là sa religion; c'était celle de l'honneur et de la loyauté. Quant au catholicisme, je puis affirmer qu'il n'était pas des plus orthodoxes; cependant il faisait partie d'une confrérie dont les membres devaient tous avoir leur sépulture au Calvaire, sous la condition expresse de se préparer à faire une sainte mort. Plusieurs fois on le pressa inutilement d'y songer; une religieuse essaya de le convertir; il l'éconduisit en se dispensant avec elle des formes de la politesse; on lui envoya un prêtre, il se fâcha; aux approches de sa dernière s'éteindre, et il rendit son ame à Dieu avec toute la piété qu'on pouvait désirer.

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A sa mort, M. de Goguelat n'avait plus d'autres parens qu'un neveu et une petite nièce qu'il n'avait pas vue depuis plus de trente ans ; c'est à elle qu'il a légué ce qu'il possédait comme un souvenir de l'amitié qu'il lui avait portée dans son enfance. Une fois entré dans son cœur, un sentiment n'en sortait plus : il s'y concentrait et devenait inaltérable; c'est ainsi qu'il aimait ses amis; c'est ainsi qu'il avait aimé Louis XVI et la reine, et qu'il aima, jusqu'à son dernier soupir, nos princes augustes exilés.

Voilà, monsieur, tout ce que peuvent renfermer quelques pages sur M. de Goguelat; à vous d'en faire tel usage qu'il vous plaira.

Agréez, etc.

ARTHUR DE BONISAL.

MÉMOIRES

DE

M. le Baron de Goguelat.

LOUIS XVI ET L'ÉMIGRATION.

Qui dit émigrés, dit royalistes; mais tous les émigrés ne furent pas royalistes de la même manière, et ceux qui sacrifièrent Louis XVI, par amour de la royauté ancienne, c'est-à-dire pour conserver cette institution dans toute sa plénitude primitive, se résignèrent à un bien coupable sacrifice. Les récompenses méritées ne pouvaient être pour eux, ou pour m'exprimer plus clairement et sans doute aussi plus complètement, l'équité ne permettait de leur accorder ni récompense ni indemnité. Quant aux faveurs, c'est autre chose; ils

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