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tion. << Alors, me dit mon artificieuse compagne qui remplissait auprès de moi l'office de mouton, alors vous périrez, et avec vous, douze à quinze victimes, au nombre desquelles je serai. » Pendant quinze jours elle me tourmenta pour écrire. «Si ce n'est pas pour vous, faites-le du moins, me répétait-elle, pour les infortunes qui ont été arrachés à leurs familles, à tout ce qui leur est cher, uniquement à cause de vous, et qui périront parce que vous le voulez. »

Vaincue à la fin par les obsessions de cette femme, et la croyant mon amie, d'après toutes les protestations qu'elle me faisait, je lui dis: « Eh bien! écrivez, je signerai. » Elle s'empressa d'écrire, je ne sais quoi ; elle me présenta le papier, j'y apposai ma signature sans en lire le contenu, tant j'étais abattue et désolée. La lettre partit, et le lendemain je fus mise en liberté, ainsi que ma compagne, que je ne revis plus.

Qu'aura-t-elle pu écrire en mon nom? on m'avait mise en prison parce que, disaient mes persécuteurs, j'avais trempé dans la conspiration de mon frère contre la chose publique; quels argumens aura-t-elle invoqués pour me justifier? hélas! je crains trop que, profitant de mon affreuse situation, de mon abattement, de mon désespoir, et de l'égarement de mes esprits, elle ne m'ait fait signer un écrit qui renfermait des choses indignes de moi et que mon cœur réprouve. Je ne sais si les lâches thermidoriens auront

fait usage de cet écrit ; dans tous les cas, ils en sont bien capables, eux qui ont anéanti les papiers de Maximilien et qui ont substitué à la place d'autres papiers, où ils lui ont fait dire ce qu'ils ont voulu. C'était mettre le comble à tous leurs attentats.

FIN DES MÉMOIRES.

NOTES

ET

PIECES JUSTIFICATIVES.

N° 1.

Dédicace de Maximilien Robespierre aux mánes de
Jean-Jacques Rousseau.

39 9 C'est à vous que je dédie cet écrit, mânes du citoyen de Genève ! Que s'il est appelé à voir le jour, il se place sous l'égide du plus éloquent et du plus vertueux des hommes. Aujourd'hui plus que jamais nous avons besoin d'éloquence et de vertu. Homme divin! tu m'as appris à me connaître; bien jeune, tu m'as fait apprécier la dignité de ma nature, et réfléchir aux

grands principes de l'ordre social. Le vieil édifice s'est écroulé; le portique d'un édifice nouveau s'est élevé sur ses décombres et, grâces à toi, j'y ai apporté ma pierre. Reçois donc mon hommage; tout faible qu'il est, il doit te plaire; je n'ai jamais encensé les vivans.

Je t'ai vu dans tes derniers jours, et ce souvenir est pour moi la source d'une joie orgueilleuse; j'ai contemplé tes traits augustes, j'y ai vu l'empreinte des noirs chagrins auxquels t'avaient condamné les injustices des hommes. Dès lors j'ai compris toutes les peines d'une noble vie qui se dévoue au culte de la vérité; elles ne m'ont pas effrayé. La confiance d'avoir voulu le bien de ses semblables est le salaire de l'homme vertueux; vient ensuite la reconnaissance des peuples qui environne sa mémoire des honneurs que lui ont donnés ses contemporains. Comme toi, je voudrais acheter ces biens, au prix d'une vie laborieuse, au prix même d'un trépas prématuré.

Appelé à jouer un rôle au milieu des plus grands évènemens qui aient jamais agité le monde; assistant à l'agonie du despotisme et au réveil de la véritable souveraineté; près de voir éclater des orages amoncelés de toutes parts, et dont nulle intelligence humaine ne peut deviner tous les résultats, je me dois à moi-même, je devrai bientôt à mes concitoyens compte de mes pensées et de mes actes. Ton exemple est là, devant mes yeux. Tes admirables Confessions, cette émanation franche et hardie de l'âme la plus pure, iront à la postérité moins comme un modèle d'art, que comme un prodige de vertu. Je veux suivre ta trace vénérée, dussé-je ne laisser qu'un nom dont les siècles à venir ne s'informeront pas; heureux si, dans la périlleuse carrière qu'une révolution inouïe vient d'ou

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