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et cette circonstance leur offroit un prétexte spécieux de garder une certaine quantité de bled, et de laisser en réserve la récolte nouvelle qu'ils ne pouvoient, disoient-ils, faire battre, leurs gens étant employés à ensemencer la terre. Plusieurs villes même effrayées des périls auxquels elles venoient d'échapper, et peu rassurées par une des années les plus abondantes qui eût jamais répondu aux travaux des cultivateurs, faisoient des amas de grains, et refusoient de les laisser sortir. Les mesures sages et vigoureuses du comité des subsistances, l'activité infatigable de la garde nationale parisienne, et plusieurs décrets de l'Assemblée Nationale, rétablirent enfin la libre circulation des comestibles. Les denrées affluèrent dans les marchés, mais la disette continua à se faire sentir dans les maisons.

Depuis long-tems le despotisme de la cour et l'avidité des riches de toutes les classes s'étoient ligués pour enchaîner le peuple par la faim, et lever un impôt sur ses sueurs et sa misère. Ce fut en 1730, sous le ministère de M. Orry, que commencèrent ces spéculations atroces. Tandis que des hommes de

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génie et amis de l'humanité discutoient les grandes questions d'économie politique et rurale, les agens du gouvernement caressant avec complaisance le fantôme du despotisme légal, se félicitoient de voir des écrivains distingués, dupes de leurs propres chimères, les présenter à l'adoration du peuple ; et saisissant avidement la partie du systême des économistes, qui pouvoit seconder leur systême de déprédation, donnèrent le célèbre arrêt du conseil de 1764, qui permit l'exportation des grains à l'étranger, sous prétexte de hausser le prix des terres; mais, en effet, pour doubler le produit des vingtièmes (a), et ouvrir la carrière au plus affreux brigandage.

Le plan d'opérations du gouvernement de-. mandoit de grandes avances, car on n'achète pas le bled à crédit. Les riches propriétaires, les financiers, les gens de robe, les gens de cour, tous s'empressèrent de lui porter leurs

(a) En 1787 le gouvernement exerça le même monopole sur la viande. Le prix en fut porté à douze sols au lieu de huit, ce qui augmenta de dix-huit millions l'imposition de Paris.

fonds dans l'espoir certain d'augmenter le revenu de leurs capitaux et de leurs propriétés territoriales. Les ministres et le feu roi lui-même prirent part à cet horrible trafic. Louis XV fit une avance de dix millions pour favoriser la sortie des grains hors du royaume, et gorger son propre trésor de la substance même de ce peuple dont il avoit si long-tems été l'idole et qui lui avoit donné le nom de Bien-aimé.

Pour assurer le succès de cette monstrueuse association, un arrêt du conseil vint défendre d'écrire et d'imprimer sur l'administration des finances. On répandit ensuite des légions de sbires inquisiteurs pour surveiller jusqu'aux soupirs du désespoir, et le plus impénétrable mystère couvrit et les meurtrières manœuvres, et les calculs affreux d'une société d'hommes, ou plutôt d'une troupe de bêtes féroces qui s'apprêtoient à dévorer la plus riche contrée de l'Europe. Enfin le 12 Juillet 1767, M. de Laverdy vendit la France pour douze ans à une compagnie de monopoleurs (a). Quatre millionnaires preneurs du

(a) Le pacte abominable qui fut le résultat de

bail, MM. Rai de Chaumont, receveur des domaines et bois du comté de Blois, Rousseau,

cette opération, et que l'on peut bien appeler le pacte de famine, fut rédigé en ces termes par M. Cromot-Dubourg, alors premier commis des finances :

Nous soussignés, Simon-Pierre Malisset, chargé de l'entretien et de la manutention des bleds du τοί ;

Jacques-Donatien le Ray de Chaumont, chevaHer, grand-maître honoraire des eaux et forêts de France;

Pierre Rousseau, conseiller du roi, receveur-général des domaines et bois du comté de Blois;

Et Bernard Perruchot, régisseur-général des hôpitaux des armées du roi, tous cautions dudit Malisset, demeurant à Paris.

- Après avoir examiné le traité ou soumission, dont copie est ci-après, passé au nom du roi, par monsieur le contrôleur - général, le 28 Août 1765, audit Malisset, pour la garde, l'entretien, la inanutention et le recouvrement des magasins des bleds du roi pendant douze années, dont la première a commencé le premier Septembre de ladite ́année 1765, avons jugé convenable de pourvoir par ces présentes au traitement à faire audit sieur Malisset, et subséquemment aux arrangemens relatifs au commerce et aux renouvellemens successifs des bleds qui ont été confiés audit sieur Ma

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receveur des domaines et bois du duché d'Orléans, Perruchot, ancien entrepreneur d'hô

lisset. En conséquence et pour remplir le premier objet, c'est-à-dire, celui du traitement dudit sieur Malisset, nous, le Ray de Chaumont, Rousseau et Perruchot, cautions dudit sieur Malisset, sommes convenus de ce qui suit :

Article I. Il sera alloué audit sieur Malisset 3 sols pour 250 livres de grains qui entreront dans les magasins de Corbeil et en sortiront en nature de grains, et qui seront voiturés par ses voitures; e: 5 sols par même poids sur les grains convertis en farine.

II. Il sera alloué audit sieur Malisset 30 sols pour la mouture de tous moulins qu'il emploiera, soit à Corbeil ou aux environs, à raison du sac de bled pesant 250 liv.

III. Il sera alloué audit munitionnaire 8 sols de septier de grains, du sac de farine ou septier d'issues, et 6 sols par chaque baril que ses bateaux amèneront de Corbeil à Paris, à l'effet de quoi il ́sera obligé d'avoir toujours, à la disposition du service, des bateaux suffisamment et en bon état. Il sera même tenu de faire garnir les bateaux, de 'sous-traits et de couvertures ou bannes, de telle sorte "que la denrée ne puisse être avariée dans les bateaux, desquelles marchandises avariées ledit sieur Malisset sera responsable, comme il le sera aussi des dites marchandises, dans le cas de perte de bateaux,

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