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CHAPITRE II I.:

Stratagême des courtisans pour surprendre l'opinion publique et diviser les provinces. Famine de Paris: Développement du systême d'oppression de l'ancien gouvernement par l'accaparement des bleds. Tableau du monopole en France. Sa connexité avec la banqueroute Pinet. Comment les ennemis de la nation lui font éprouver une disette réelle au sein de l'abondance.

To

OUT annonçoit depuis plusieurs jours l'approche d'un violent orage. Les partisans des anciens abus, c'est-à-dire, presque tous ceux qui en profitcient, désespérés d'une révolution qui, affranchissant le trésor public du tribut auquel l'avoient assujetti la bassesse et l'intrigue, sappoit les fondemens de leur fortune, se liguèrent pour la faire échouer, et relever l'idole du despotisme. L'intérêt de l'autorité royale si long-tems chère à la nation, qui durant tant de siècles, n'avoit trouvé qu'en elle seule un rempart contre la tyrannie des prêtres et des grands, mais que

les vexations des ministres et le brigandage des favoris avoit depuis rendue si redoutable; un feint attendrissement sur le sort du roi qu'ils représentoient dépouillé, avili, détrôné, et qu'ils avoient, en effet, réduit à cette condition déplorable jusqu'au moment où le peuple le délivra enfin du cruel et honteux esclavage auquel ils l'avoient condamné, furent les prétextes dont ils usèrent pour colorer leurs perfides projets, pour donner une impulsion aux esprits peu éclairés, et rallier autour de leurs bannières une multitude d'hommes honnêtes, mais foibles, et plus susceptibles de recevoir une impression, que de se décider par des motifs raisonnés.

C'est par ces artifices, que, lors de la fameuse question de la sanction royale, ils parvinrent à séduire une grande partie de l'Assemblée Nationale elle-même, en présentant les sages précautions de la liberté comme des attentats contre la personne du prince, et les patriotes comme des conjurés. Comme si les vrais soutiens de la puissance du monarque n'étoient pas ceux qui l'affermissent sur la base immuable et sacrée de la constitution, et les vrais conspirateurs, ceux

qui mettent tout en œuvre pour dégrader à la fois et le prince et le peuple, en changcant le roi en despote et les citoyens en esclaves.

Vaincus dans cette lutte de l'intrigue contre le patriotisme, ils déployèrent de nouveaux efforts pour défendre leur orgueilleuse avarice, et s'opposèrent vivement à ce que les arrêtés du 4 Août fussent présentés à la sanction, dans la crainte que, si le prince l'accordoit, le sort de l'aristocratie ne fût irrévocablement décidé; et que s'ils parvenoient à lui arracher un refus, ils n'eussent pas assez de force pour parer aux suites qu'il pourroit entraîner.

Dans cette alternative, ils ne virent d'autre parti à prendre que d'amener une dissolution violente de l'Assemblée Nationale. Il est vrai qu'elle eût infailliblement été suivie de la guerre civile et de ses horreurs, et peut-être de la ruine entière du royaume. Mais qu'étoit la ruine de la France auprès de la destruction des titres de noblesse, des richesses des prêtres, et des droits féodaux? Ils avoient su, par de honteuses, mais habiles manœuvres, allumer la discorde entre les représentans de la nation; ils employèrent les mêmes mesures

pour semer la division entre les provinces, et répandirent le bruit d'une offre de soixante milions, d'un asyle et d'une armée faite au roi par la Normandie, et d'une invitation à sa majesté de s'éloigner d'une capitale révoltée, et de venir fixer son séjour à Rouen. Dans ce tems - là même la garde nationale rouennoise envoyoit une députation solemnelle à l'Assemblée générale de la commune de Paris pour lui manifester son vœu relativement à une association entre les deux villes, et lui offrir ses services pour l'escorte et la protection des convois qui seroient destinés pour elle. Ainsi la calomnie fut confondue ; mais son venin étoit lancé, et c'étoit beaucoup pour les ennemis de la chose publique d'avoir inspiré des craintes et des défiances. Aussi la plupart d'entr'eux se tenoient si assurés du succès, qu'ils s'en vantoient hautement, et répétoient avec leur jactance ordinaire, que, sous peu de jours, les choses reviendroient sur l'ancien pied, et que le roi, c'est-à-dire, le ministère et la cour, reprene droit toute son autorité.

Ce triomphe prématuré rallia tous les bons citoyens. Plusieurs de ceux qui s'étoient laissé

séduire reconnurent le piège et se réunirent aux amis de la patrie. Le peuple de la capitale, de son côté, ne perdoit pas un instant de vue ses ennemis; il suivoit toutes leurs traces, et leurs complots ne faisoient que redoubler sa passion pour la liberté. Cepen dant la famine qui l'avoit épargné dans les premiers jours de la révolution, quand elle désoloit les villes et les campagnes des environs, l'investit à son tour, lorsqu'une superbe récolte sembloit devoir lui assurer l'abondance. Cette disette étoit bien naturelle dans son principe: les provinces voisines dont la grêle avoit dévasté les moissons l'année précédente, et qui d'ailleurs étoient épuisées d'avance par l'approvisionnement de Paris, arrêtoient les convois de vivres que l'on y envoyoit, exigeoient qu'on leur en vendit une partie, et quelquefois même les retenoient en totalité. Les fermiers et les riches propriétaires, effrayés des visites que des villages armés faisoient dans leurs maisons, et encore plus du pillage des marchés souvent livrés à des hommes affamés et turbulens, cachoient soigneusement leurs grains. D'un autre côté, c'étoit le tems des semailles,

et

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