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celui de sa pauvreté. M. de Charost déposa cent mille francs sur l'autel de la patrie; et ne pauvre femme dont vingt-quatre sols composoient toute la fortune, rencontrant les députés de son district qui alloient porter leur contribution à l'Assemblée Nationale, voulut aussi avoir part à cette œuvre civique, et les contraignit à force de prières et de larmes de prendre du moins la moitié de son petit trésor et de joindre le denier de la veuve à leurs magnifiques offrandes. Dans plusieurs maisons particulières on vit les domestiques se réunir, dans les manufactures les journaliers se cottiser et consacrer une portion de leur foible pécule pour venir au secours de l'Etat quelques-uns même ouvrirent pour cet objet une souscription chez un notaire : l'amour de la parrie ne connoissoit point de bornes. Mais chaque jour amenoit de nouveaux besoins; le deficit absorboit tout, le vide étoit dans toutes les caisses, et il falloit quatre-vingt millions pour atteindre sans nouvelle secousse à la fin de l'année.

Dans cette terrible position l'Assemblée Nationale et M. Necker osèrent ne point désespérer de la chose publique. Le ministre

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eut le courage de présenter à de grands maux de grands et pénibles remèdes ; et l'Assemblée, celui de compter sur le patriotisme et les lumières de la nation, au milieu des alarmes de tout genre qui agitoient les esprits. Des réductions sur la dépense publique, diverses vues d'économie, les unes certaines, les autres indéterminées, des bonifications sur plusieurs branches des revenus de l'Etat, l'accroissement de l'impôt par une répartition plus égale et par la contribution des privilégiés, offroient de grands moyens de compenser les pertes que le trésor avoit éprouvées, et la certitude d'une restauration entière dans l'avenir. Mais pour atteindre à ces jours de prospérité, il falloit franchir un abîme immense : pour le combler, M. Necker proposa une contribution extraordinaire en raison du revenu annuel, qui devoit être portée au quart de ce revenu libre de toute charge, de tout impôt, de toute rente, et reçu sur la simplẹ déclaration des contribuables. Un délai de quinze à dix-huit mois étoit accordé pour le paiement de cette taxe assise sur une somme fixée de revenus, au-dessous de laquelle elle ne seroit plus qu'un sacrifice, et non un devoir.

Tome III.

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Ce projet fut vivement appuyé par le comité des finances et par M. de Mirabeau. II lui paroissoit également impossible, d'offrir un nouveau plan au ministre des finances, et d'examiner celui qu'il proposoit. L'Assemblée n'avoit pas les connoissances préliminaires, indispensables pour essayer de se former un ensemble des besoins de l'Etat et de ses ressources. L'examen du projet de M. Necker n'étoit pas moins impraticable. La seule vérification de ses chifres consumeroit des mois entiers, et les secours demandés étoient très-urgens. «C'est demain, c'est aujourd'hui, c'est à cet instant même que l'on a besoin de votre intervention. La confiance sans bornes que la nation a montrée dans tous les tems au ministre des finances que ses acclamations ont rappelé, vous autorise suffisamment à lui en montrer une illimitée, dans les circonstances. Acceptez ses propositions, sans les garantir, puisque vous n'avez pas le tems de les juger; acceptez-les de confiance dans le ministre, et croyez qu'en lui déférant cette espèce de dictature provisoire, vous remplissez vos devoirs de citoyens et de représentans de la nation ».

L'Assemblée, presque toute entière, fut debout à l'instant, et cette opinion faillit à être décrétée par acclamation, dans le premier moment d'enthousiasmė. Mais le président ayant demandé qu'on allât aux voix dans la forme ordinaire, et M. de Mirabeau s'étant retiré pour rédiger le projet d'acceptation qu'il avoit proposé, M. de Jessé monta à la tribune, et eut le courage de combattre une opinion qui étoit déjà presqu'un décret, « L'enthousiasme, dit-il, est un des plus beaux mouvemens du cœur humain ; mais la justice doit être plus respectée encore, et ce n'est point par ses mouvemens, mais par ses réflexions que doit se conduire une Assemblée de législateurs ». Alors il exposa que ce n'étoit pas un bon moyen de sauver l'État, que d'écraser les citoyens; que la contribution du quart de revenu ne pouvoit être exigée du peuple, plongé presque par- tout dans la misère, qu'après avoir épuisé toutes les ressources imaginables.

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Il fit la motion que toute l'argenterie des` églises et des monastères, peu nécessaire à une religion qui n'a pas besoin de luxe pour Etre toute divine, fût convertie en numérairé

et employée au soulagement des pauvres. «Un habile calculateur, dit-il, fait monter à un milliard l'argent orfévré du royaume, ce qui est assurément le calcul le plus modéré: évaluons l'argenterie des églises au septième seulement de cette somme, et nous aurons plus de cent quarante millions ».

Il y eut un instant de doute sur la manière dont cette motion seroit reçue; mais elle fut bientôt accueillie. L'archevêque de Paris se

leva pour y consentir au nom du clergé, et pour demander, qu'à la réserve de ce qui étoit indispensable à la décence du culte, tout le surplus de l'argenterie des églises fut converti en numéraire au profit du trésor public.

Le retour de M. de Mirabeau avec son projet de décret, et l'empressement de l'Assemblée pour terminer cette grande et importante affaire, empêchèrent de mettre aux voix la motion de M. de Jessé. Un murmure général s'éleva contre la rédaction de M. de Mirabeau. Les adversaires du plan du ministre étoient blessés de voir l'Assemblée s'y livrer sans examen, et abandonner sans discussion les intérêts de ses commettans. Ses partisans croyoient y apercevoir l'intention

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