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que leurs chefs pussent, sous de faux prétextes, dégrader ainsi leurs officiers; et le maréchal-des-logis fut rétabli dans son grade à la prière de la reine. Cet acte de justice calma le mécontentement de ces braves militaires, mais non leur indignation contre M. de Guiche, que ce trait de despotisme rendit aussi méprisable à leurs yeux qu'à ceux du public.

La cour effrayée du patriotisme des gardesdu corps, qu'elle regarde comme une rébellion ouverte, met tout en œuvre pour changer leurs dispositions. On les travaille dans leurs garnisons; on caresse les uns, on effraye les autres; on exalte chez les jeunes gens les préjugés de la vanité, l'orgueil de la naissance; on présente aux ambitieux l'appât de la faveur; à tous l'honneur de rétablir la splendeur du trône et la dignité de la noblesse. Les officiers vont jusqu'à oublier la supériorité du rang et du grade, jusqu'à descendre de la hauteur de leurs prétentions, et veulent bien feindre de s'abaisser à faire cause commune avec de simples (a) gentilshommes.

(a) Ceux qui ont vécu dans l'intimité avec l

On ne réussit pas, sans doute, à éteindre l'esprit patriotique de cette brillante élite de guerriers-citoyens; mais on étonna l'opinion du plus grand nombre, on l'alarma sur les intentions du corps législatif, et sur le sort d'un monarque chéri; on excita l'effervescence de la jeunesse. Il faut le dire, et cet aveu ne souillera point la gloire de cette brave légion, quelques-uns se laissèrent égarer ou séduire, et furent entraînés dans ce fatal complot, qui fut toujours un niystère pour la totalité du corps, qu'on se flattoit de tromper par de spécieuses apparences, parce qu'on n'ignoroit pas qu'il étoit impossible de le cor

rompre.

Telle étoit la disposition générale, quand ils arrivèrent à Versailles, pour le service du quartier d'Octobre. On y retint ceux qui avoient servi le trimestre précédent, et ce doublement de la garde, du roi qui annonçoit des projets ou des craintes, en inspira au public.

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ci-devant noblesse de la cour savent que tout gentilkomme qui n'avoit pas monté dans les carrosses du roi, n'étoit à ses yeux qu'un homme, c'est-à dire, un peu moins que rien.

Les gardes-du-corps n'avoient pas encore alors arboré la cocarde nationale. Un respect mal entendu pour la personne du roi leur avoit fait garder la cocarde blanche, et, seuls de toute l'armée, ils n'avoient pas prêté le serment civique. Le jour de l'entrée du régiment de Flandre on les avoit vus bottés et prêts à monter à cheval se promener sur l'avenue de Paris. Des bravades indiscrètes, échappées à quelques jeunes gens, parurent annoncer du mépris pour les parisiens et menacer de l'exécution prochaine de quelque grande entreprise funeste à la liberté. Ces démarches imprudentes, grossies par la renommée et envenimées par la haîne, excitèrent contre eux d'odieux soupçons; et le fatal repas du 1er Octobre les dévoua à l'exécration et aux vengeances de la multitude.

Le régiment de Flandre, en arrivant à Versailles, avoit remis son artillerie et ses mu nitions entre les mains de la garde nationale. Cette marque de confiance ayant dissipé les préventions des habitans de cette ville, ils s'empressèrent de donner aux soldats et aux officiers des marques fraternelles de bienveillance et d'amitié. La cour, de son côté,

crut devoir les attirer par des caresses. Les officiers sont présentés à la famille royale, accueillis avec bonté, admis au jeu de la reine, et pour comble de distinction, invités à un repas de corps, le premier que les gardes du roi eussent jamais donné à Versailles. L'on y invite aussi nominativement plusieurs officiers de la garde nationale, des chasseurs des évêchés et de la prévôté, qui ' n'avoient jamais communiqué, même de salutation, avec ces favoris de la cour. Enfin la salle de spectacle du château, qui jusqu'alors n'avoit servi que pour des fêtes données à la cour, est désignée pour être la salle du banquet, et pour que tout portât dans ce festin un caractère de singularité, un capitaine des gardes y assista, et ce capitaine étoit M. de Guiche.

C'étoit le jeudi 1er Octobre. Le rendezvous étoit au sallon d'Hercule, d'où l'on passa à la salle de l'opéra où étoit servi ce magnifique et malheureux repas. La musique, des gardes-du-corps et du régiment de Flandre embellissoit la fête. Au second service on porta quatre santés, celle du roi, de la reine, de M. le dauphin et de la famille royale. La

V

santé de la nation fut proposée, omise à dessein selon les uns; expressément rejetée par les gardes-du-corps qui étoient présens, selon un grand nombre de témoins.

Une dame du palais accourt chez la reine, lui vante la gaîté de la fête et demande d'abord que l'on y envoye M. le dauphin, que ce spectacle ne pouvoit manquer de divertir. La princesse paroissoit triste; on la presse de s'y rendre pour se dissiper: elle sembloit hé-' siter. Le rci arrive de la chasse, la reine lui propose de l'accompagner, et on les entraîne l'un et l'autre avec l'héritier de la couronne dans la salle du festin. Elle étoit pleine de soldats de tous les corps, car on 'y avoit fait passer à l'entremets et les grenadiers de Flan dre, et les suisses et les chasseurs des évêchés.'

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La cour arrive: la reine s'avance jusqu'au bord du parquet tenant par la main M. le dauphin. Cette visite inattendue fait pousser des cris d'allégresse et de joie. La princesse prend alors dans ses bras l'auguste enfant et fait le tour de la table au milieu des applaudissemens les plus vifs et des acclamations les plus bruyantes. Ce tableau si attendrissant

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