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Ils redoutoient cependant l'influence de l'Assemblée Nationale sur l'opinion publique, l'attachement des parisiens à la cause de la liberté, la valeur de cette armée de citoyens qui avoit juré de la défendre, la probité du monarque et son amour pour son peuple. Ils s'attachèrent donc à énerver la force de l'Assemblée; au-dedans, en suspendant le cours de ses travaux par des pratiques secrettes, quelquefois même par des manoeuvres plus lâches et plus criminelles encore, en votant dans les élections par poignée de billets pour faire tomber ainsi une majorité apparente sur ceux dont l'opinion connue leur promettoit une victoire plus facile; au-dehors, par des pamphlets imposteurs ou incendiaires, dans lesquels la rage soudoyée de quelques écrivains déshonoroit la cause du peuple en feignant de la défendre, ou versoit périodiquement tous les poisons de la calomnie sur les représentans de la nation. Ils s'efforçoient en même tems de décourager les bons citoyens par le spectacle hiɖeux de l'anarchie, ou par les prédictions les plus funestes, et d'affoiblir par la dissention cette armée patriotique qu'ils craignoient, tout en affectant de la mépriser,

et dont le courage vraiment héroïque, ne se vengeoit de ses détracteurs, qu'en proté

geant et sauvant tous les jours leurs personnes et leurs propriétés.

Les compagnies soldées qui entroient dans la composition de la garde nationale parisienne étoient formées en grande partie de . ces braves guerriers qui combattirent les premiers pour la liberté. Avant la révolution,' les gardes - françoises partageoient avec les gardes-du-corps l'honneur de veiller à la conservation du prince, et les postes extérieurs du lieu de sa résidence étoient confiés à leur fidélité. Ces soldats patriotes ne crurent pas avoir abandonné le service du monarque, en se dévouant plus particulièrement au service de la nation, et souffroient impatiemment de se voir privés d'une prérogative qu'ils regardoient comme une distinction honorable et comme le juste prix de leur valeur et de leur attachement pour le roi; aussi la réclamèrent-ils avec un empressement aussi louable dans ses motifs, qu'il étoit flatteur pour celui qui en étoit l'objet. Mais les ennemis de la paix n'en jugèrent pas ainsi, ou du moins voulurent en faire juger autrement.

Ils présentèrent au peuple cette demande des compagnies du centre comme une véritable défection; et à la cour, comme une prétention aussi insultante pour le prince à qui des légions rebelles vouloient imposer des loix jusques dans son propre palais, que dangereuse pour sa personne qui se trouveroit ainsi captive entre les mains des satellites de ses ennemis. Ces artificieuses insinuations trouvèrent peu de créance parmi les citoyens instruits; mais elles augmentèrent dans la multitude cet esprit de méfiance si prompt à s'irriter dans les troubles civils, et jetèrent l'alarme parmi ceux qui approchoient de plus près le monarque. C'est ce que desiroient leurs au

teurs.

M. de la Fayette avoit arrêté par sa prudence les premiers mouvemens des grenadiers qui vouloient aller reprendre leurs postes à Versailles. Mais craignant que dans un moment de fermentation ils n'échappassent à sa vigilance et à son autorité, il crut devoir faire part à M. Guignard de Saint-Priest, ministre de la maison du roi, de la disposition des esprits, soit pour calmer les inquiétudes que pourroit donner l'arrivée subite

des

gager

des compagnies du centre, soit afin d'enla cour à offrir d'elle-même comme une faveur ce qu'elle ne pourroit refuser à la force. Il lui écrivit donc de l'Hôtel-de-ville même la lettre suivante :

«Le duc de la Rochefoucault vous aura dit l'idée qu'on avoit mise dans la tête des grenadiers d'aller cette nuit à Versailles. Je vous ai mandé de n'être pas inquiet, parce que je comptois sur leur confiance en moi pour détruire ce projet, et je leur dois la justice de dire qu'ils avoient compté me demander la permission, et que plusieurs croyoient faire une démarche très-simple et qui seroit ordonnée par moi. Cette velléité est entièrement détruite par les quatre mots que je leur ai dits, et il ne m'en est resté que l'idée des ressources inépuisables des cabaleurs. Vous ne devez regarder cette circonstance que comme une nouvelle indication de mauvais desseins, mais non en aucune manière comme un danger réel. Envoyez ma lettre à M. de Montmorin.

» On avoit fait courir la lettre dans toutes les compagnies de grenadiers, et le rendez-vous étoit pour trois heures à la place Louis XV ».

Ce billet du général si intéressant pour l'histoire, en ce qu'il nous peint et la disposition des troupes et les moyens dent on se scrvoit pour les exciter à des démarches irré

Tome. III.

K

gulières, le devient encore plus par le parti qu'on en sut tirer à la cour.

M. d'Estaing, commandant de la garde nationale de Versailles, patriote par systême, étoit courtisan par habitude et par ambition. S'il faut en croire les bruits du tems, il avoit formé le projet de faire de sa troupe, des cokortes prétoriennes, qui seroient exclusivement chargées de la garde du prince ; et rien ne pouvoit plus contrarier tous ses plans, que cette résolution des ci-devant gardesfrançoises. Sa lettre à la reine annonce la loyauté courageuse d'un guerrier et l'ame d'un citoyen. Mais soit qu'il se fût laissé tromper ou séduire par le ministre, soit que nourri dans les cours, il y eût vu s'amollir cette roideur de courage qu'il avoit montrée dans les camps, et que le vainqueur de la Grenade ne fût pas à l'épreuve des charmes d'un regard ou de quelques paroles caressantes, i! parut changer tout-à-coup de sentiment et de conduite, et se prêter aveuglément aux impulsions ministérielles.

Peut-être aussi, car on se perd ici dans un océan de conjectures, et pour être juste, il ut, lorsqu'on ne peut garantir la vérité,

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