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me dirent que les esclaves nègres de la partie française de cette île s'étoient révoltés au nombre, croyoit-on, de plus de cent mille, et qu'ils répandoient la mort et la désolation sur toute la province septentrionale. Ils ajoutèrent que le gouverneur - général, considérant l'état de la colonie comme une cauşe commune entre les habitants blancs de toutes les nations des Indes occidentales, avoit envoyé des commissaires aux îles voisines, ainsi qu'aux états du nord de l'Amérique, demander de prompts secours de troupes, d'armes, de munitions et de provisions; qu'eux-mêmes étoient députés à la Jamaïque pour le même sujet, et qu'ils me prioient de les présenter au comte d'Effingham, commandant en chef. Quoique les dépêches dont ces messieurs étoient chargés fussent certainement une introduction bien suffisante pour sa seigneurie, je ne balançai pas à les satisfaire. Peut-être est-il inutile d'observer que l'esprit de libéralité et

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de grandeur qui animoit toute la conduite du lord Effingham, n'avoit pas besoin de sollicitation lorsqu'il s'agissoit de bienfaisance et d'humanité; supérieur au préjugé national, il sentoit comme un homme comme un chrétien doit sentir pour les maux de ses semblables (1). Il vit dans toute son étendue le danger auquel seroit exposée chaque île des Indes occidentales par un tel exemple, si le triomphe de l'anarchie sauvage sur tout ordre et tout gouvernement devoit être complet. Aussi assura-t-il les commissaires qu'ils pouvoient compter recevoir du gouvernement de la Jamaïque tout l'appui et tous les secours qu'il

(1) L'injustice de nos ennemis ne doit jamais nous porter à être injustes, et nous devons applaudir aux sentiments généreux qu'ils nous montrent; mais s'il s'est trouvé quelques Anglais qui ont manifesté de vrais sentiments d'homme, cela ne suffit pas pour faire oublier la haine habituelle de la nation et la perfidie du gouvernement si les Anglais ont une fois cherché à nous être utiles, ils ont mille fois essayé de nous nuire. Après avoir fait un effort impuissant pour nous aider à apaiser une révolte, ils ont mis tout en œuvre pour fomenter les troubles chez nous. (Note du traducteur.)

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étoit en son pouvoir de donner. Pour des troupes, il n'en pouvoit offrir, n'en ayant pas; mais il fourniroit des armes, des munitions, des provisions; puis il promit de se concerter avec l'officier distingué, commandant le département naval, pour savoir s'il seroit à propros d'envoyer un ou plusieurs vaisseaux de sa majesté; les commissaires ayant donné à entendre que l'apparence dans leurs ports de quelques vaisseaux de guerre, pourroit servir à intimider les insurgés et à les tenir écartés, tandis que l'on faisoit ce qui étoit nécessaire pour préserver la ville du Cap-Français d'une attaque.

L'amiral Affleck (comme on pouvoit l'attendre de sa grande ame), fut trèssatisfait de coopérer au louable dessein de lord Effingham; il donna aussitôt les ordres aux capitaines des frégates la Blonde et la Daphné, de mettre à la voile avec un sloop de guerre pour le Cap-Français.

Le Centurion reçut bientôt après

l'ordre d'aller au Port-au-Prince. La Blonde étant commandée par le capitaine William Affleck, ami aimable et bien regretté, qui, par bonté, entreprit de ramener à Saint-Domingue les commissaires français, je me décidai aisément à les y accompagner, et quelques autres messieurs de la Jamaïque se mirent de la partie.

Nous arrivâmes dans le port du CapFrançais au soir du 26 septembre, et le premier objet qui fixa notre attention en approchant, fut le spectacle affreux d'une dévastation causée par le feu. La superbe plaine joignant le cap étoit couverte de cendre, et les côteaux d'alentour, aussi loin que l'œil pouvoit atteindre, ne nous offrirent partout que des ruines encore fumantes, des maisons et des plantations en proie aux flammes. Les habitants de la ville, rassemblés sur le rivage, dirigeoient toute leur attention vers nous, et nous débarquâmes au milieu d'une foule de spectateurs qui, les mains élevées, les yeux

remplis de larmes, bénissoient leurs libérateurs (car c'est ainsi qu'ils nous considéroient); et des cris de félicitation retentissoient de toutes parts.

Le gouverneur de Saint-Domingue étoit alors l'infortuné général Blanchelande, maréchal de camp au service de la France, lequel a péri depuis sur l'échafaud. Il nous fit l'honneur de nous recevoir sur le quai. Un comité de l'assemblée coloniale, accompagnée du fils du gouverneur, jeune homme aimable et très-distingué (1), étoit venu à notre rencontre à bord de la Blonde, et nous fûmes immédiatement conduits au lieu de leur assemblée. Le spectacle étoit frappant et solennel, la salle magnifiquement illuminée, et tous les membres vêtus de deuil. On plaça des chaises pour nous dans la barre, et le gouverneur ayant pris place à la droite du président, ce dernier nous adressa un discours éloquent et pathétique,

(1) Ce jeune homme périt aussi, âgé de 20 ans, à Paris, le 20 Juillet 1794.

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