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» directe ou indirecte, quel que fût le sys» tème de commerce des colonies. » (1)

Le murmure que ce décret occasionna parmi les gens de couleur qui étoient dans la mère-patrie et dans la société philanthropique des amis des noirs, fut extrême. On interpréta la déclaration relative au commerce, comme un consentement tacite pour la continuation du commerce des esclaves; et même l'on soutint que l'assemblée nationale, en laissant aux colons la liberté de régler eux-mêmes les constitutions coloniales, les avoit affranchis de leur fidélité; on dit enfin qu'ils n'étoient plus sujets de l'empire français, mais membres d'un état indépendant.

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Cependant, si on avoit pris en considération les circonstances et la disposition des colons français d'alors, on eût vu que ce décret non seulement étoit prudent et politique, mais encore qu'il avoit pour fondement la nécessité morale. Les arguments qu'on lançoit contre lui, semblent impliquer que les bienfaits de la révolution française n'étoient destinés qu'à ceux qui résidoient dans le royaume, que les sujets des colonies en étoient exclus. Supposer, après ce grand évènement et d'après les exem(1) Voyez l'Appendice, no 1.

ples successifs et tout récents des AngloAméricains, que les habitants de ces colonies se seroient laissé gouverner et diriger dans leurs intérêts locaux par une législature distante d'eux de 3000 milles, c'étoit montrer une bien foible connoissance de la nature humaine. Les opérations de l'assemblée coloniale, depuis le premier jour de sa tenue jusqu'à sa dissolution, prouvent combien elle étoit peu disposée à une telle soumission. J'essaierai d'en donner un détail rapide dans le chapitre suivant.

CHAPITRE II.

Opérations de l'assemblée générale coloniale jusqu'à sa dissolution et à l'embarquement de ses membres pour la France, en août

1790.

L'ASSEMBLÉE générale de Saint-Domingue

se réunit à la ville de Saint-Marc le 16 avril. Elle étoit composée de 213 membres, dont la ville du Cap-François en avoit élu 24, le Port-au-Prince 16, les Cayes 8. La plupart des autres paroisses envoyèrent chacune deux représentants; et il est reconnu qu'en général la colonie fut très-bien représentée.

Cependant, les assemblées provinciales continuèrent l'exercice de leurs fonctions comme auparavant, ou formèrent des comités, pour agir durant leur intermission.

La session s'ouvrit par un discours du président, où, après avoir remontré divers abus de la constitution et de l'administration dans le premier gouvernement colonial, il désigna quelques-uns des grands objets qui sembloient exiger une attention immédiate il recommanda entre autres choses la cause des mulâtres, et une amélioration des lois de l'esclavage. L'assemblée partagea le sentiment de l'orateur, et une de ses premières mesures fut de soulager le peuple de couleur des duretés dont il étoit accablé sous la juridiction militaire. On décréta qu'à l'avenir on n'exigeroit pas plus d'eux dans la milice, que des blancs, et particulièrement que la dure autorité qu'exerçoient sur eux les lieutenants, les majors, aides-majors et commandants de la ville étoit déclarée oppressive et illégale. Ces actes d'indulgence annonçoient certainement de plus grandes faveurs, et une ouverture à la conciliation envers toutes les classes des gens de couleur.

L'assemblée rectifia ensuite quelques abus grossiers qui existoient depuis long-temps

dans les cours de judicature, se bornant néanmoins à ceux qui avoient le plus besoin d'être redressés; le principal objet de son attention étant de préparer le plan d'une nouvelle constitution, ou système de gouvernement colonial: ce qui fut le sujet de ses délibérations jusqu'au 28 mai.

M. *** étoit en ce moment gouverneurgénéral. Il encourageoit et soutenoit secrètement les partisans et les adhérents de l'ancien despotisme. Tout le corps des percepteurs de taxes et les officiers de l'administration fiscale étoient de ce nombre. Ils commencèrent donc à revenir de la peur panique où les avoit jetés une révolution aussi grande que soudaine, à rappeler, à unir leurs forces : rien n'étoit plus contraire à leurs désirs que le succès de l'assemblée générale à établir l'ordre et un bon gouvernement dans toute la colonie. Ils n'étoient pas les seuls qui vissent de mauvais œil les opérations de ce corps tout ce qui appartenoit aux cours de juridiction civile et criminelle (et le nombre en étoit considérable), intéressé au maintien des abus que l'assemblée avoit corrigés, étoit rempli d'indignation; à ceux-ci se joignoient d'autres hommes qui avoient des commissions militaires sous l'autorité du roi. Habitués à commander, ils voyoient avec colère le

renversement de tout ce qui accoutumoit à l'obéissance et à la subordination qu'on leur avoit appris à considérer comme essentielles au soutien du gouvernement, et ils s'offrirent d'eux-mêmes au gouverneur - général pour l'aider à renverser le nouveau système.

Tels étoient ceux qui s'opposoient au nouvel ordre des choses de la colonie, quand le chevalier Mauduit, colonel du régiment du Port-au-Prince, arriva à Saint-Domingue. Il ne venoit pas directement de la France; il avoit fait un circuit par l'Italie. C'étoit un homme à talents, brave, actif et entreprenant, zélé pour son parti; il acquit bientôt par son adresse de l'ascendant sur le génie foible et étroit de ***, et gouverna la colonie en son nom. Sa pénétration lui fit aisément découvrir que, pour troubler le nouvel ordre de choses, il falloit nécessairement empêcher une réunion d'intérêts entre l'assemblée coloniale et les gens libres de couleur. Il se déclara donc le protecteur des mulâtres, et il les flatta si bien qu'il gagna tout le corps.

Il paroît cependant très-probable qu'on se fût maintenu en paix malgré les manoeuvres de *** et de Mauduit, si les planteurs, fidèles à leur cause, fussent restés unis entre eux ; mais malheureusement l'assemblée pro

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