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admis promptement que la situation et la condition des mulâtres des Iles françaises leur faisoit un devoir de la résistance, s'il ne paroissoit pas, d'après ce que j'ai déjà rapporté, que le soulagement de leurs peines n'eût éte l'objet des premières délibérations de la première assemblée générale des représentants à Saint-Domingue. Certes, alors il n'est point de justification pour les abominables réformateurs qui persuadèrent à ces infortunés de se procurer, par la rebellion et par le massacre, le soulagement que leur offroit le pouvoir suprême de la contrée comme une concession spontanée et volontaire, comme un hommage de la raison éclairée sur l'autel de l'humanité. Quant aux esclaves nègres, il ne paroît pas que la conduite des blancs envers eux fût répréhensible; je crois qu'en général elle fut douce et indulgente, parce que leur propre sûreté en dépendoit. C'étoient les mulâtres qui étoient des maîtres durs et inflexibles pour les nègres. Ils faisoient subir, sans scrupule, aux noirs les mêmes mauvais traitemens qu'ils recevoient des blancs, exerçant sur eux toutes les sortes d'oppressions dont ils se plaignoient si hautement et si justement; et c'est un tableau vrai de la nature humaine. Comment donc, demandera-t-on, les nègres oublièrent

ils leur ressentiment et s'unirent-ils à ceux qui étoient les objets constants de leur envie et de leur haine?

Afin de répondre à cette question avec autant de clarté et de précision que le sujet peut le permettre, il faut revenir aux procédés des deux associations dont on a fait mention dans un chapitre de cette histoire : nommément l'Association britannique, pour l'abolition du commerce des esclaves, qui tenoit ses assemblées dans la vieille Juiverie de Londres, et la société appelée les Amis des Noirs, à Paris. Un court aperçu de la conduite de ces sociétés servira, non seulement à diminuer la surprise que peut faire naître la révolte des nègres de Saint - Domingue, mais aussi à exciter beaucoup d'étonnement de ce que les esclaves nègres des Iles Britanniques ne leur eussent pas donné l'exemple.

J'ai observé que la société de Londres faisoit profession de n'avoir en vue que d'obtenir un acte de la législature, pour prohiber l'introduction ultérieure d'esclaves africains dans les colonies britanniques. J'ai dit « qu'elle » désavouoit toute intention de se mêler du gouvernement et de la condition des nègres déjà dans les plantations ; déclarant publi» quement qu'elle croyoit qu'une émancipa

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tion générale de ces gens, dans leur état présent d'ignorance et de barbarie, au lieu » d'être un bien, deviendroit pour eux une » source d'infortunes et de misères. >> Mais, quoique telles fussent leurs déclarations ostensibles, comme corps public, les meneurs de la société qui en étoient membres au même instant, tinrent un langage très-différent; et la société elle-même agissant comme telle, suivit un plan de conduite directement et immédiatement contraire à ses propres déclarations. En outre, faisant tout son possible pour enflammer le public de la GrandeBretagne contre les planteurs, elle distribuoit à grands frais dans toutes les colonies des traités et des pamphlets sans nombre, qui n'avoient pour but que de rendre les habitants blancs odieux et méprisables aux yeux de leurs propres esclaves, et d'inspirer à ces derniers des idées de leurs droits naturels et d'égalité de condition, propres à les conduire à faire des efforts pour recouvrer leur liberté par la rebellion et l'effusion du sang. Dans plusieurs de ces écrits, les raisonnements sont amenés trop clairement pour pouvoir s'y méprendre ; ils tendent à porter les nègres à se soulever et à massacrer leurs maîtres sans miséricorde. « Il n'est point de crime civil dans l'état d'esclavage.» Ces sentiments sont

répétés sous mille formes différentes; et afin qu'ils ne perdissent pas leur effet par un raisonnement abstrait, un admirable révérend de l'église d'Angleterre, dans un pamphlet adressé au président de la société, fait les plus ferventes prières, en termes précis, pour que les nègres puissent détruire tous les blancs, hommes, femmes et enfants des Indes occidentales. « N'approuverons - nous » pas, s'écrioit-il, leur conduite dans leurs » violences? Ne les couvrirons-nous pas d'éloges, s'ils exterminent leurs tyrans par » le feu et le fer? Doivent-ils même hésiter » de faire souffrir à leurs tyrans les tortures » les plus extraordinaires? Ne seront-ils pas » excusables au jugement moral de ceux qui » savent apprécier les biens ineffables de la » liberté physique et religieuse (1)? »

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Outre qu'elle distribuoit gratis des pamphlets de cette sorte aux portes de toutes les églises et lieux du culte du royaume, et par

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(1) Ceci est un fidèle extrait d'une lettre adressée à Granville Sharp, président de la société de la vieille Juiverie, par le révérend Percival Stockdale. A l'égard de tels écrivains, les planteurs peuvent bien s'écrier : « Pardonnez leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font! J'applique les mèmes paroles au savant et pieux Samuel Jonhson, qui avoit un serviteur nègre, devant lequel il portoit souvent ce toast: « A la prompte rebellion des nègres de la Jamaïque, et puissent-ils réussir ! »

toutes les colonies, la société fit frapper une médaille représentant un nègre nu, chargé de chaînes, et implorant miséricorde. On trouva moyen d'en répandre, des milliers parmi les nègres, dans chacune des îles à sucre, pour l'instruction, je présume, de ceux qui ne pouvoient pas lire. Mais malheureusement cette précaution n'étoit pas nécessaire, car tant de domestiques nègres retournoient annuellement d'Europe aux Indes occidentales, qu'il y avoit constamment un nombre suffisant d'instructeurs vivants. Il est certain, et c'est d'après ma propre connoissance à l'égard de la Jamaïque, que les travaux de la société en leur faveur, ainsi que plusieurs discours violents du parlement britannique, où tous les planteurs étoient dépeints comme une troupe de tyrans sans remords et altérés de sang, étoient expliqués aux esclaves nègres en termes bien adaptés à leur capacité, et aussi conformes qu'on eût pu le supposer à leurs sentiments. Il seroit difficile de dire ce que les associés de la vieille Juiverie eussent pu faire pour exciter une révolte, excepté de fournir aux objets de leur sollicitude des armes à feu, des munitions, et de diriger les poignards.

Jusque-là cette société avoit servi de modèle à celle de Paris; mais la société des amis

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