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gnirent ouvertement les mulâtres, et le forcèrent avec un grand carnage. A Dondon, les blancs soutinrent le choc durant quelques heures; mais ils furent enfin accablés par le nombre et forcés de céder, après avoir perdu plus de cent hommes; ceux qui survécurent se réfugièrent sur le territoire espagnol,

Ces deux districts, ainsi que toute la riche et grande plaine du Cap, et les montagnes contiguës, furent entièrement abandonnés aux ravages de l'ennemi, et on ne peut rappeler sans horreur, ni rendre en des termes assez forts, les cruautés et les atrocités qu'ils y exercèrent.

Ils se saisirent de M. Blen, officier de police, et l'ayant cloué vivant à une des portes de son habitation, ils abattirent chacun de ses membres avec une hache.

Un pauvre homme nommé Robert, charpentier, tâchant de se soustraire à la connoissance des rebelles, fut découvert dans sa cachette. Les sauvages déclarèrent qu'il mourroit de la manière dont il travailloit; en conséquence, ils le lièrent entre deux planches, et de sang-froid le scièrent tout de son long.

M. Cardineau, un des planteurs de la grande Rivière, avoit deux fils naturels d'une femme noire, Il les avoit affranchis dès leur enfance,

et les élevoit avec la plus grande tendresse: Ils prirent parti dans la révolte; leur père voulut les en détourner par de douces paroles et par des offres pécuniaires; ils se saisirent de l'argent qu'il possédoit, et lui enfoncèrent un poignard dans le cœur.

Tous les enfants blancs, et même les mulâtres dont les pères ne s'étoient pas joints à la révolte, furent massacrés sans exception, souvent aux yeux de leurs mères, ou attachés à leur sein, Des barbares attroupés violèrent de jeunes femmes de tous les rangs, et ensuite les firent mourir. Ils en réservèrent quelques-unes pour satisfaire leur brutalité; à beaucoup d'autres, ils arrachèrent les yeux avec un canif,

par un

Dans la paroisse de Limbé, en un lieu appelé la grande Ravine, un vénérable planteur, père de deux belles filles, fut lié chef de bande qui prit l'aînée, et donna la cadette à un de ses compagnons; quand ces deux bêtes féroces eurent assouvi leur passion sous les yeux même du père, ils l'égorgèrent avec ses deux filles.

Cependant, au milieu de ces scènes d'horreurs, il s'offre un exemple d'attachement et de fidélité aussi touchant qu'inattendu de la part d'un nègre. M. et Madame Baillon, leur fille, leur gendre, et deux serviteurs blancs,

habitoient une plantation située sur une montagne, à trente milles à peu près du CapFrançais. Ils furent instruits de la révolte par un de leurs esclaves qui trempoit dans la conspiration, mais qui jura de sauver la vie à ses maîtres et à sa famille, s'il le pouvait, N'ayant, pour le moment, d'autre moyen de les préserver, il les conduisit dans un bois voisin, après quoi il alla joindre les révoltés. La nuit suivante, il trouva moyen de leur porter des provisions du camp des rebelles. La seconde nuit, il revint avec de plus grosses provisions, et leur déclara qu'il lui seroit désormais impossible de leur être d'aucun secours. Ils furent trois jours sans revoir le nègre; mais, au quatrième, il revint encore, et montra à la famille Baillon le chemin d'une rivière qui devoit la conduire au port Margot, l'assurant qu'elle trouveroit un canot à un endroit de la rivière qu'il lui indiqua.

Ces infortunés suivirent les indications de leur esclave, trouvèrent en effet le canot et s'y embarquèrent sans avoir été aperçus; mais ils furent renversés par la rapidité du courant, et, après avoir échappé avec peine au naufrage, ils préférèrent retourner dans. leur retraite de la montagne. Le nègre, inquiet de leur sort, les retrouva, leur désigna une partie plus large de la rivière, où il les

assura qu'il avoit attaché un bateau; et il ajouta que c'étoit le dernier effort qu'il pût faire pour les sauver. Ils y allèrent, mais ne découvrant point le bateau, ils se croyoient perdus, quand le nègre leur apparut encore comme un ange gardien. Il portoit des pigeons, des poulets, du pain; il conduisit la famille par des marches pénibles, durant la nuit, le long des bords de la rivière, jusqu'au quai du port Margot. Là, lui annonçant qu'elle étoit hors de danger, il lui dit un éternel adieu, et alla rejoindre les rebelles. La malheureuse famille resta dans les bois dixneuf nuits.

Reportons notre attention sur la ville du Cap. Les habitants étant enfin ou paroissant être en sûreté, le gouverneur crut nécessaire de renouveler les hostilités contre les révoltés. Une petite armée sous les ordres de M. Rouvray marcha vers la partie orientale de la Plaine, et campa à un endroit nommé Roucrou. Un corps considérable de nègres rebelles prit possession, à peu près dans ce temps, des bâtiments immenses de la plantation de M. Gallifet, et posa sur les murailles quelques grosses pièces d'artillerie ; les révolțés avoient pris ces canons en différents ports et lieux d'embarquement, le long de la côte, où ils avoient été mis par le gouvernement

en temps de guerré, et où on les avoit imprudemment abandonnés; mais on ne concevoit pas où ils avoient trouvé des munitions (1). De cette plantation ils envoyoient fourrager des partis, avec lesquels les blancs avoient de fréquentes escarmouches. Dans ces engagements, les nègres gardoient rarement le terrain plus de temps qu'il n'en falloit pour recevoir et rendre une seule décharge; mais ils reparoissoient le lendemain, et, quoiqu'ils fussent enfin chassés de leurs retranchemens avec un grand carnage, leur nombre ne sembloit pas diminuer, parce qu'aussitôt qu'un corps étoit détruit, un autre reparoissoit ; c'étoit ainsi qu'ils se succédoient, dans la vue de harasser et de détruire les blancs par une fatigue perpétuelle, et de transformer la contrée en un désert.

Le détail des divers conflits, escarmouches

(1) On découvrit ensuite que les nègres de la ville du Cap-Français avoient volé de grandes quantités de poudre et de balles dans l'arsenal du roi, et qu'ils les avoient euvoyées secrètement aux rebelles. La plupart des armes à feu qu'ils avoient eues d'abord, étoient celles, supposoit on, qu'avoit apportées Ogé. Mais j'ajoute avec douleur que les rebelles furent ensuite munis abondamment par de petits vaisseaux venant du nord de l'Amérique, dont les maîtres n'éprouvoient pas de scrupule de recevoir en paiement du sucre et du rum des pays dont les propriétaires. lavoient été massacrés.

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