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CHAPITRE IV

Confirmations royales. Donations faites à l'abbaye pendant les XIIIe et XIVe siècles. Les sépultures des seigneurs du Neubourg dans le chapitre du Bec.

Pendant le XIIIe et le XIVe siècle, les abbés ne manquèrent pas de demander aux rois de France, devenus ducs de Normandie, la protection générale et spéciale de leurs biens, droits et privilèges que les rois d'Angleterre leur avaient jadis accordée au même titre.

Le 1er juin 1204, Philippe-Auguste maintient le Bec en jouissance des droits et libertés qu'il possédait au temps de Henri II d'Angleterre. Le 1er juillet de la même année, il écrit à tous ses baillis et prévôts pour les informer qu'il prend l'abbaye sous sa garde spéciale, et leur ordonne de tenir la main à ce qu'aucune injustice, injure ou violence ne soit faite aux religieux dans leurs personnes ou dans leurs biens; ou, si la chose arrivait, de leur faire rendre justice aussitôt qu'ils en auraient été requis1.

Lorsque Richard de Saint-Léger eut été élu abbé du Bec, son premier soin fut de faire renouveler par le roi la confirmation des privilèges de son abbaye. Au mois de mars 1212, Philippe-Auguste se trouvant devant Pont-de-l'Arche, manda à ses baillis de Normandie de maintenir l'abbé et les moines du Bec dans les droits dont ils avaient joui précédemment 2.

'Bibl. nat., lat. 12884, fo 274 vo et 275; L. Delisle, Catalogue des actes de Philippe-Auguste, p. 188 et 191, nos 827 et 839.

Bibl. nat., lat. 12884, f° 289; L. Delisle, Catalogue des actes de Philippe-Auguste, p. 312, no 1375.

Saint Louis confirma et augmenta à plusieurs reprises les droits et privilèges de l'abbaye, notamment en 1233, 1237, 1256, 1257, 1260, 1263 et 12701.

Au mois de juillet 1276, Philippe le Hardi donna une charte datée de Paris, adressée à tous ses baillis, vicomtes et prévôts, par laquelle il déclare prendre sous sa garde et protection particulière l'abbaye du Bec et tous ses biens.

L'Inventaire des titres de l'abbaye du Bec mentionne à l'année 1328 une « confirmation accordée à l'abbaye du Bec par Philippe (VI), roy de France, des mesmes privilèges et libertés dont elle jouissait du temps de Henry roy d'Angleterre, fils de l'impératrice ».

Pour récompenser les services rendus par Robert d'Artois, seigneur de Beaumont-le-Roger, Philippe VI avait érigé, au mois de janvier 1329, sa terre de Beaumont en comté-pairie. On sait la forfaiture dont Robert se rendit coupable. Pour éviter le juste châtiment qui l'attendait, il s'enfuit d'abord en Brabant, en 1331, puis se réfugia en Angleterre, en 1334. Tous ses biens furent confisqués, et le comté de Beaumont fut rattaché au comté d'Evreux qui appartenait à Philippe, roi de Navarre. Les religieux du Bec craignirent que l'important prieuré de Beaumont-le-Roger, qui relevait de leur abbaye, ne fût ôté de la mouvance royale pour être inféodé au comté d'Evreux. Mais le roi, dans une charte du mois de mai 1337, déclara que l'abbaye et ses membres continueraient, comme par le passé, à relever directement de la couronne de France. Nous reproduisons cette charte, intéressante au point de vue féodal.

Philippe, par la grâce de Dieu roy de France, à tous ceux qui ces présentes lettres verront et orront, salut. Savoir faisons que nous, considérans la bonne affection et dévotion que nos prédécesseurs roys de France ont toujours eu en l'église du Bechelluyn, laquelle est en chief et membres en

Bibl. nat., lat. 13905, fo 19 v°: L. Delisle, Cartulaire normand, no 1150, p. 315; no 544, p. 100; n° 655, p. 1433; no 697, p. 151.

Bibl, nat., lat. 12884, f° 404 vo; L. Delisle, Cartul. norm., no 876, p. 208.

3 Bibl. nat. Cinq cents Colbert, 190, p. 27.

notre sauvegarde spécial; attendens les dévotes prières que les religieux font assiduement pour tous les royaulx, tant pour les trespassez comme pour les vivans, et la bonne volenté que ils ont toujours de faire services agréables à nous et aux nôtres, si comme plusieurs fois a apparu et souvent appert par effect; voulons pour ce ladite église soustraire, garder et deffendre et maintenir en ses bonnes franchises, libertez, immunitez et privilèges, pour ce que ycelle église, en chief et en membres, les personnes, les biens d'icelle soient et demeurent tousjours en paix et tranquilité dessoubz notre main; à la supplication des diz religieux, abbé et convent du dit lieu doustans que en lassiete que nous avons fait faire de nouvel à notre chier et féal cousin le roy de Navarre en la comté de Beaumont, nous voulsissions bailler et transporter aucuns des diz membres et appartenances de ladite église du Bec ou autres personnes ou temps avenir voulons et déclarons par la teneur de ces de présentes lettres estre de votre volenté et de votre entance que ladite église du Bec entièrement, en chief et en membres, sans aucune division ou diminucion quelconque chose que ce soit appartenante a icelle, soit et demeure tousjours mais perpétuellement pour nous et pour nos hoirs et successeurs roys de France dessoubz notre main royal et dessoubz la couronne de France, sans que ladite église ne aucuns de ses membres ne puisse estre mis hors, eschangiez ou alienez, ne aucune assiete estre faite soit en haulte justice ou en basse, non contestant donations, assiete, transport ou eschange que nous ou nos successeurs pourrions faire, esquelx ladite église ou aucuns des membres ou appartenances d'icelle pourroient être compris taisiblement ou expressément; lesquelles choses se faites sont ou estoient ou temps avenir, nous ne voulons porter préjudice à notre présente ordonnance, mais ycelle quant a ce estre de nul moment et de nul effect, sans ce que pour cette grâce que nous faisons nous voulions aucun nouvel droit estre acquis a nous; et ces choses voulons nous et avons octroyées aux diz religieux pour nous et pour nos hoirs et successeurs roys de France de plain povoir, auctorité royal, de certaine

science et grâce spécial et pour cause et pour que cette chose ait fermeté perdurable, en tesmoignage de vérité nous avons fait mettre nostre seel à ces présentes lettres. Donné à Moyenville l'an de grâce M CCC XXX VII au mois de may. Et sur le repli est écrit: Par le roy; présens mess. de Joinville; Geoffroy de Beaumont; Maurice... Chaumont ; et Guillaume de Vills1. >>

Les donations qui furent faites au profit de l'abbaye pendant le x et le xiv° siècle furent encore très nombreuses, mais beaucoup moins importantes que dans les deux siècles. précédents; nous ne mentionnerons que celles qui offrent quelque intérêt.

Au nombre des familles qui se sont signalées par une générosité que l'on pourrait appeler séculaire, il faut citer les Recuchon, seigneurs de Bosrobert. La première donation que nous rencontrons sous leur nom est de l'année 1142; Guillaume de Recuchon donne à l'abbaye la terre du Désert, à Bosrobert, moyennant un muid de froment de rente2.

En 1209, Raoul Recuchon, du consentement de Guillaume. son frère, fait don d'un tènement sis à Brionne3. Raoul Recuchon paraît être mort en 1232, et avoir eu trois fils, Pierre, Etienne et Hélie.

Après avoir cédé en 1233 aux moines du Bec, moyennant la somme de 15 livres tournois, le droit de panage dont lui et ses tenanciers jouissaient dans les bois de Bosrobert appartenant à l'abbaye, Pierre Recuchon, chevalier, donne, le 28 octobre 1235, tout son fief de la Haganière sis sur la paroisse de Bosrobert; il reçoit à cette occasion 17 livres tournois des mains de l'abbé du Bec. En 1236, Pierre fait don aux religieux d'un setier de méteil sur le tènement de Geoffroy le Manier. En 1240, il donne deux acres de terre

Bibl. nat., lat. 13905, f 30 v°.
Bibl. nat., lat. 12884, f 199.

Bibl. nat., lat. 12884, fo 284 v°.

Archives de l'Eure, Fragments du cartulaire du Bec, H, 91, f 12.

Arch. de l'Eure, Fragm. du cart. du Bec, II. 91, f° 12; Bibl. nat., lat. 1288, f 329 v°; Invent. des titres du Bec, p. 218.

Bibl. nat., lat. 12884, f° 188.

sises à la couture de l'Epine Vieil, à Bosrobert, et en 1246, deux acres et demie et quatre perches sises au même endroit1.

Son frère, Etienne Recuchon, chevalier, donne à l'abbaye, en 1238, 5 sols de rente sur son fief de Seiches-Fontaines, à Bosrobert. En 1247, Hélie Recuchon donne une acre de terre sise à la couture du Buisson, au même lieu2.

En 1270, Jean Recuchon, chevalier, vend à l'abbaye 24 acres de bois avec le fonds qu'il possédait à Bosrobert, près le chemin du May Moulin; en 1276, il lui cède les bois qui lui restaient encore à Bosrobert; l'année suivante, il vend à l'abbaye 10 livres de rente sur son manoir et tènement de Bosrobert; enfin, en 1278 et 1279, il vend à l'abbaye plusieurs autres pièces de terre3.

re

A l'entrée du XIVe siècle, on trouve les Recuchon établis à Touberville; leur éloignement favorisa les vues de l'abbaye sur le fief de Bosrobert, ainsi que nous l'apprend ce passage de l'Inventaire des titres du Bec à l'année 1349: «< Cession faite au profit de l'abbaye par Mr Jean de Tonneville (ou Tourneville) du droit qu'il avait sur le fief de Boscrobert à cause de sa femme, héritière de Mr Jean Recuchon; en recognoissance de quoy ladite abbaye donne audit Tonneville une ferme à Touberville, nommée la ferme Marie Badon, avec quarante livres de rente sur ladite abbaye payables en deux termes. »

'Bibl. nat., Invent. des titres du Bec, p. 219; lat. 12884, f° 336. * Bibl. nat., Invent. des litres du Bec, p, 219. Séches-Fontaines, hameau de la Haye de Calleville, canton de Brionne.

Bibl. nat., Invent. des titres du Bec, p. 194 et 195; lat. 12884, f° 394 et 405. Les Maimoulins, Mémoulin, ou Moulin-Mesnier, hameau du Bec-Hellouin.

* On constate en 1312, l'obligation pour Jean Recuchon, chevalier, de garder les chemins de la forêt de la Londe, à cause du droit d'usage attaché à son manoir de Touberville. Voir : L. Delisle, Etudes sur la condit. de la classe agricole, p. 738.

* Bibl. nat., Invent. des titres du Bec, p. 216; A. Le Prévost. Mém. et notes, III, 291. Ces quarante livres étaient peu de temps aprés aux mains du roi, comme l'indique cette mention de l'Inventaire des titres du Bec: « Transport fait au profit de l'abbaye du Bec par Philippe, roi de France, de quarante livres de rente qui luy étoient deues sur le fief de Raoul Recuchon scis au Boscrobert,1354. » f° 217.

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