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Enfin, le 26 du même mois, D. Guillaume Picherey, Nicolas Le Carpentier, Louis Walincourt, Guillaume-François Filliaut, prêtres, Bernard Bernès, frère convers, Charles Duval, frère donné, M. Joly, « cy-devant religieux fuyant, prêtre, malade et demeurant au Bec », Jean-Romain Foutrel, organiste de l'abbaye, prêtèrent le serment 1. Tout ce civisme allait être bien mal récompensé.

Par sa loi du 18 août 1792, l'Assemblée législative avait décrété que les monastères encore occupés par des religieux seraient évacués pour le 1er octobre suivant. Avant même que ce délai fût expiré, l'abbaye, devenue propriété nationale, était utilisée pour l'établissement d' « un dépôt de chevaux de la nation! 2 ».

Ce fut donc le lundi 1er octobre 1792 que les derniers religieux du Bec quittèrent le monastère où plusieurs d'entre eux avaient vieilli. Un historien, racontant la fin d'une autre abbaye normande, a écrit ces lignes touchantes : « Ce fut un jour triste et solennel que celui où ces religieux parcoururent pour la dernière fois le cloître où ils avaient si souvent promené leurs pas silencieux, et s'agenouillèrent dans l'église qui avait si longtemps retenti de leurs chants, après avoir dit adieu, non sans verser des larmes, sans doute, à ces majestueux édifices, à ces frais ombrages sous lesquels ils avaient si longtemps trouvé un abri contre le bruit du monde. Ce n'est pas sans une vive émotion que nous nous représentons nous-même ces pauvres religieux, arrachés ainsi à leur pieuse demeure et jetés dans une société ennemie, au sein de laquelle ils ne devaient pas même trouver un asile pour reposer leur tête3 ». Sans doute, parmi les

Archives municipales du Bec-Hellouin, 2o Registre. Si l'on ajoute le serment de D. Jean-Baptiste Lainey, prêtre. le 7 novembre 1792, de D. Michel-Jean-Baptiste Hautement, de Noël-Nicolas Bourdon et de Jacques Depoix, le 30 mars 1793, anciens religieux qui avaient continué de demeurer au Bec après le licenciement de l'abbaye, on trouvera 1o, que des 27 religieux composant la communauté dans les derniers mois de 1790, 12 se trouvaient au Bec en septembre 1792; les 9 autres étaient venus de divers monastères.

* Archives municipales du Bec-Hellouin, 2° Registre.

3

Hippeau, L'Abbaye de Saint-Etienne de Caen, p. 325.

derniers moines du Bec, il y en eut dont le cœur se déchira en quittant cet asile vénérable, célèbre entre tous par ses origines et ses souvenirs. Mais, quoi qu'il nous en coûte, nous avons le devoir de dire qu'au 1er octobre 1792, il y eut dans la communauté du Bec des transfuges et des traîtres qui n'eurent pas le courage de prendre, avec leurs frères, le chemin de l'exil.

Le 24 germinal (13 avril) 1793, huit religieux, Louis Walincourt, Jean-Nicolas Le Carpentier, Michel-François Ligon, Charles-Joseph Govart, Pierre-Louis-Joseph Darras, Gilles. Le Chevalier, Louis-Julien Benoist et Louis Baron remettaient leurs lettres de prêtrise et signaient leur déclaration au registre des délibérations de la municipalité du Bec2.

Dès le 31 août 1792, Marette, curé constitutionnel du Bec, s'était adressé à la municipalité pour demander à emprunter des ornements qui se trouvaient dans la sacristie de l'abbaye3. L'église paroissiale ne semble pas avoir été bien riche. Le 19 septembre suivant, il demandait la translation à la paroisse « de deux reliquaires en pyramides couverts d'une simple feuille d'argent très mince et hauts d'un pied; de deux autres de forme quarrée, relevés en bosse, de bois d'ébène, sur lesquels il y a des lames de cuivre aussi très mince, avec une croix d'ébène dans laquelle il y a beaucoup de reliques, et recouverte aussi d'une mince lame d'argent ». Il sollicitait en même temps l'autorisation d'exhumer le corps du bienheureux Herluin pour le transporter dans son église. De temps à autre, et principalement pendant la foire du

'Le 3 germinal 1794, « le citoyen Chevallier, cy-devant bénédictin », est autorisé à dire l'office à l'église paroissiale à la demande d'environ cent cinquante citoyennes du Bec. Le 12 brumaire 1795, Gilles Le Chevalier. Pierre-Louis Darras, Michel-François Ligon prêtent le serment suivant : « Je reconnais que l'universalité des citoyens français est le souverain, et je promets soumission et obéissance aux lois de la République. » (Archives municip. du Bec-Hellouin, 3a Registre).

* Archives municipales du Bec-Hellouin, 3o Registre.

3 Archives municipales du Bec-Hellouin, 2° Registre.

Ces reliquaires étaient de ceux que le duc de Brancas avait donnés

à l'abbaye vers 1730.

bienheureux Hellouin', un grand nombre de fidèles se rendaient à son tombeau pour y prier. Séance tenante, le conseil municipal, considérant que l'abbaye allait être prochainement évacuée, fit droit à cette requête. Le sarcophage de pierre renfermant les restes du bienheureux Herluin fut transféré le dimanche 14 octobre 1792 3.

La grande table de marbre blanc, qui portait l'inscription commémorative composée par D. Guillaume Roussel en 1714, fut-elle transportée et placée en même temps que le sarcophage? Nous l'ignorons. Aujourd'hui, l'emplacement de la tombe d'Herluin, à laquelle il ne paraît pas que l'on ait touché depuis un siècle, est pavé de carreaux de marbre blanc et noir. Quatre pilastres courts, de marbre rouge, supportent une table de bois, noire, de six pieds de longueur sur deux et demi de largeur. On y a peint Herluin avec le costume noir des bénédictins, les mains jointes, avec une croix à sa droite et une crosse à sa gauche. L'abbé a les traits d'un vieillard exténué par l'âge et les austérités, et quoique la peinture soit loin d'être un chef-d'œuvre, elle cause cependant une certaine impression. En guise d'inscription on lit ce quatrain «< quelconque : »

Ci-git Hellouin, grand serviteur de Dieu,
Qui fonda, en 1034, l'abbaye de ce lieu.
Il vécut saintement jusqu'au dernier soupir,
Et trouva dans les cieux l'objet de ses désirs.

120 juillet 1792. Le corps municipal demande au directoire du département l'autorisation de créer une foire, le 26 août de chaque année, sous le nom de « foire du Bienheureux Hellouin ». Le département arrête et accorde l'établissement de la « foire saint Hellouin. » (Arch. munic. du Bec-Hellouin, 2° Registre).

Arch. munic. du Bec-Hellouin, 2e Registre.

3 Voir à l'Appendice no 30, le procès-verbal de l'exhumation du corps du vénérable Herluin, rédigé par le curé Marette.

Cette dalle de marbre aurait été vendue, pendant la Révolution, à un propriétaire voisin, blanchisseur de toiles.

CHAPITRE XXIV

La ruine définitive. L'abbaye transformée en dépôt de chevaux. Les cloches, les cuivres, l'argenterie. Le chartrier. La bibliothèque. Le « brûlement » des titres féodaux. Démolition de l'église abbatiale. Son mobilier fixe est distribué aux églises de Bernay, Brionne, Le Bec, etc. Démolition de la salle capitulaire. Aujourd'hui le Bec est « un dépôt de transition ».

A compter du jour où, sur tout le sol de la France, les religieux furent expropriés et expulsés de leurs demeures, la dévastation et la ruine s'abattirent sur ce qui avait été le domaine monastique. Une grande iniquité avait été commise; elle entraîna après soi son châtiment. L'État avait mis les biens de l'Église à la disposition de la nation; ce qui veut dire, sans phrases, qu'il les avait confisqués à son profit; or, il n'en profita guère, et ne réussit qu'à enrichir les agioteurs. L'opération elle-même n'aboutit qu'à un désastre financier. Jeter à la fois sur le marché trois milliards de biens nationaux, c'était dépasser les bornes du sens commun; il n'en pouvait résulter que l'avilissement général de la propriété foncière. «En admettant par impossible, a dit de Montalembert, le droit de l'État de s'emparer du bien d'autrui, de la propriété la plus inviolable et la plus sacrée ; en le supposant, par un accord possible avec l'Église. maitre légitime de cette immense dépouille; en se plaçant au point de vue purement politique et matériel, comment justifier l'emploi qu'il en fait ? Comment expliquer ces alienations en détail, pour des prix dérisoires, cette pulvérisation instantanée et stérile d'une masse de capitaux si solides, si durables et si fertiles, autrement que par la

nécessité imaginaire et la résolution immorale d'identifier la cause de la Révolution avec des intérêts nouveaux et avec la cupidité individuelle? J'en appelle à tous les économistes dignes de ce nom, à tous ceux qui ont manié les affaires publiques ou sérieusement étudié les grandes questions sociales était-ce là ce qu'il y avait à faire? Ne devait-on pas songer à mettre de côté cet énorme fonds commun pour les besoins publics, pour les intérêts généraux? Les orphelins, les enfants-trouvés et abandonnés, les aliénés pauvres, les sourds-muets, les aveugles, les vieux marins, les vieux ouvriers des campagnes, les vieux soldats du travail et de l'industrie, tant de misères diverses que la civilisation moderne crée ou découvre tous les jours et qu'elle se doit à elle-même de prendre à sa charge parce qu'elle a partout énervé l'initiative et la liberté privées, n'avaientelles pas un droit acquis sur ces trésors amassés par la charité du passé ? Mais non, la haine de ce passé, la haine de ce qui dure, de tout ce qui vient de loin, de tout ce qui a une origine sacrée, l'a emporté sur tous les calculs de la prévoyance, sur l'intérêt bien entendu de l'État comme sur celui des masses laborieuses et indigentes. On a mieux aimé tuer d'un seul coup la poule aux œufs d'or! On a détruit le capital des siècles, le fidéicommis inviolable des nations chrétiennes, des familles charitables, de la science, du travail et de la vertu. On a sacrifié l'avenir en calomniant le passé, et on s'est tenu justifié par des déclamations sur la mainmorte, c'est-à-dire sur cette main immortelle qui a donné la vie aux créations les plus durables et les plus fécondes du génie chrétien1».

L'État n'aliéna pas tous les biens dits nationaux; il se ré

serva un certain nombre des anciens établissements monastiques2; le Bec fut de ce nombre 3. Un dépôt de remonte de

Les Moines d'Occident, Introd., I, ccXVI.

Le Mont-Saint-Michel, Fontevrault, Clairvaux, Eysse, Beaulieu, Cadillac, Loos, etc., ont été ou sont encore des maisons centrales. Combien d'autres pourrait-on citer qui, comme le Bec, sont devenus des haras, des dépôts de remonte, des magasins à fourrages.

3 Les terres que l'abbaye possédait en quantité considérable dans les

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