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des Jésuites, ainsi que plusieurs autres ordres religieux. Je leur ai dit qu'ils ne sçavoient ce qu'ils faisoient, et que s'ils ne pleuroient pas sur le sort des Jésuites, ils pleureroient bientôt sur le leur; je n'ai été que trop prophète. Comptez toujours, mon trez cher prieur, sur une sincère et véritable amitié pour vous. Le cardinal de Luynes1. >>

De son côté, l'évêque de Lombez écrivait à D. Boudier:

« Du 20 février 1765.

« C'est toujours avec un nouveau plaisir, mon cher prieur, que je reçois les nouvelles preuves de votre tendre amitié; je suis également sensible aux vœux obligeans qu'elle vous inspire pour moi dans ce renouvellement d'année. Je n'en fais pas de moins sincères et de moins étendus pour votre satisfaction. La mienne seroit plus grande, mon cher prieur, si j'étois à portée de vous voir plus souvent et de m'entretenir avec vous. J'ai vu dans le temps avec beaucoup de peine votre ancienne abbaye de Séez mise en commende, ainsi que les autres qu'on vous a enlevées par la même voye; il paroît qu'on est plus que jamais dans le goût des innovations, et les suites en sont fort à craindre. Vous avez dû vous féliciter que cela ne soit point arrivé pendant que vous en étiez abbé; j'en aurois été aussi plus fàché à cause de vous, et je pense bien qu'aimant votre ordre comme tous les bons religieux, ce coup vous auroit été trop sensible. J'ai l'honneur d'être avec un attachement respectueux, mon trez cher prieur, votre trez humble et trez obéissant serviteur. Jacques, évêque de Lombez2 ».

L'année suivante, Dom Pierre-François Boudier était élu supérieur général de la Congrégation de Saint-Maur, dans le chapitre qui fut tenu à Saint-Germain des Prés, le 25 novembre 1766.

Depuis son retour de la campagne de Hanovre, le comteabbé de Clermont ne faisait guère parler de lui. « Le général

'Copie ancienne, Collection de l'auteur. Copie ancienne, Collection de l'auteur.

des Bénédictins, comme on l'avait surnommé dans la dernière guerre, était désormais averti de songer tout de bon à se réformer. Pendant cette période de déclin, le comte de Clermont vécut plus habituellement dans une petite maison qu'il avait rue de la Roquette. Il subit la loi du temps: il devint dévot avec les années. C'est alors sans doute que, pour apaiser ses scrupules et pour épurer le passé, il contracta un mariage de conscience avec Mile Leduc. Il ne fit que suivre le courant de l'opinion publique en se mettant du parti contraire à la Cour dans l'affaire des Parlements, et en s'abstenant de paraître à la séance royale pour le Parlement Maupeou. Cependant il put, ainsi que les autres princes du sang engagés dans la même opposition parlementaire, entendre vanter, à cette occasion, son courage civil et ses vertus de citoyen. Il mourut le 16 juin 1771, avec cette légère auréole de popularité. Comme il était bienfaisant et charitable, il fut regretté par les pauvres gens de son faubourg1. »

En 1774, alors que l'abbaye était en économat, un bail ou ferme générale fut passé avec une société de trois membres solidaires, moyennant un loyer annuel de 140,550 livres. Cette opération fut avantageuse pour tout le monde, car les sous-baux passés par la société fermière produisirent environ 199,500 livres par an. De ce total, il convient de mettre en défalcation la part relativement considérable qui revenait aux fermiers comme prix de leur gestion ou de leurs avances de fonds. En 1780, un nouveau bail est passé au loyer annuel de 192,600 livres. Un troisième bail, signé le 20 mars 1784, devait commencer le premier janvier 1787 et expirer le 31 décembre 17952. La Révolution l'empêcha d'arriver à sa fin.

1 Sainte-Beuve, Le comte de Clermont, etc., p. 73. Sur la mort chrétienne et les obsèques du comte de Clermont voir l'abbé Vanel. Nécrologe, etc., p. 334.

2

* Le Revenu de l'abbaye du Bec à la fin du XVIIIe siècle, par M. Chanoine-Davranches, dans La Normandie, novembre 1897. Plusieurs baux passés devant le notaire d'Ilarcourt mentionnent, en 1787, la présence de « Pierre-Armand Foucquet, receveur de l'abbaye du Bec, demeurant au palais abbatial dudit lieu, au nom et comme fondé de la procuration généralle et spécialle du sieur François Chanoine, fermier général des biens et revenus de la manse abbatiale de ladite abbaye ».

CHAPITRE XXII

Graves dissensions au sein de la Congrégation de Saint-Maur. Diète provinciale de Normandie tenue au Bec en 1781. Chapitre extraordinaire tenu à Saint-Denis en 1783. L'arrêt du 8 janvier 1785 et les religieux du Bec.

Au moment où les querelles du jansénisme semblaient perdre de leur acuité, un acte de la plus haute gravité était venu renouveler l'agitation au sein de la Congrégation de Saint-Maur. Le 15 juin 1765, vingt-huit religieux de l'abbaye de Saint-Germain des Prés adressaient au roi une requête dans laquelle, non contents de signaler certains abus qui s'étaient glissés dans l'administration de leur monastère, ils se plaignaient des pratiques introduites dans l'ordre bénédictin, d'un habillement singulier et «avili aux yeux du public », d'austérités étrangères, disaient-ils, à la lettre de la règle. Ils demandaient une législation nouvelle, un habillement ecclésiastique modeste et décent, une nourriture simple et commune, et le réveil pour les matines à une heure plus commode. Ils ne voulaient être regardés que comme des ecclésiastiques, et offraient de se charger, dans chacune des six provinces de l'ordre, de l'éducation de dix jeunes gentilshommes, nommés par le roi'. Cette requête fut signée du prieur, D. Pierre Boucher, du doyen et du secrétaire de la communauté, de DD. Henry et Taschereau, continuateurs

L'imprimé suivant, condamné à être lacéré et brûlé par la main du bourreau: Lettre d'un religieux bénédictin de la Cong. de St-Maur à un magistrat sur la triennalité des supérieurs de la méme Congrégation, 1763, avait donné le signal de cette controverse.

du Gallia christiana, Poirier et Précieux, continuateurs du Recueil des historiens de France, Berthereau, de Brézillac, Bourotte, Caffiaux, Coutant, Haudiquier, Labbé, Lièble, Pernety, etc. Le lendemain, deux religieux portèrent la requête à l'évêque d'Orléans, de Jarente, qui se chargea de la présenter au roi. Ce factum et les observations qui l'accompagnaient parurent imprimés, et causèrent autant d'indignation que de surprise. On n'était pas encore accoutumé à voir des religieux rougir de leur habit, de leur nom et de leurs obser

vances.

Ce fut un cri unanime dans l'Assemblée du clergé qui se tenait alors1. Le roi fit témoigner aux supérieurs majeurs combien il était mécontent de la démarche des religieux de Saint-Germain. De son côté, l'archevêque de Paris, irrité de ce scandale qui éclatait dans son diocèse, provoqua des réclamations. La première et la plus énergique vint des religieux des Blancs-Manteaux. Dès le 30 juin, ils arrêtèrent les termes d'une requête au roi pour protester contre la démar

L'Assemblée du clergé de 1765 voulut remédier à ce mouvement de décadence qui se manifestait dans un certain nombre d'ordres religieux. La commission chargée de présenter un rapport nomma rédacteur l'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne. Celui-ci proposa une réforme générale on devait recourir au Saint-Siège qui serait sollicité de nommer des cardinaux ou des évêques commissaires, qui, au nom du pape, rétabliraient l'ordre et la régularité. Le Conseil d'État du roi, auquel fut soumise cette délibération, ne voulut pas c'était aisé à prévoir entendre parler de recours au pape, et donna l'ordre à l'Assemblée du clergé de suspendre ses séances. Pendant la prorogation, Louis XV signifia que la réforme des ordres religieux ne regardait que lui; en conséquence, et malgré les remontrances de l'Assemblée du clergé qui avait repris ses séances, le roi nomma deux commissions, l'une dite des Réguliers, et l'autre des deux Puissances. L'archevêque de Toulouse fut l'âme de la commission des Réguliers et son influence fut déplorable. C'est une figure vraiment répugnante que ce Loménie de Brienne. Ennemi des ordres religieux, il ne prit la charge de les réformer que pour mieux les affaiblir; devenu ministre sous Louis XVI, il quitta les affaires et les laissa dans le plus effrayant désordre pour aller recevoir à Rome le chapeau de cardinal que le roi avait eu la sottise de solliciter pour lui. A la Constituante, à la Législative, à la Convention, il prêta tous les serments qu'on voulut ; il renvoya dédaigneusement au pape les insignes du cardinalat, abdiqua ses fonctions sacrées, et finit par s'empoisonner pour éviter la mort à laquelle l'avait condamné le comité de Salut public. (Voir: Morellet, Mémoires, II, ch. xxIII.)

che des vingt-huit. Elle vengeait la règle de saint Benoit et les Constitutions d'une critique téméraire, et montrait qu'un habit distinct, les jeunes, les veilles, l'abstinence, avaient été sagement institués pour maintenir la régularité. Cette lettre était signée de treize religieux, au nombre desquels se trouvaient DD. Ducoud, Tassin, Clémencet, Clément, de Coniac, Deforis, connus par leurs savants travaux. En même temps que leur requête au roi, ils faisaient paraître une Réclamation des religieux bénédictins des Blancs-Manteaux contre la requête des religieux de Saint-Germain des Prés. Ceux-ci n'y étaient guère ménagés; on les accusait d'impiété, d'apostasie, de sécularisation1.

Bientôt une autre requête, en date du 23 juillet 1765, était présentée au roi par le supérieur général D. Delrue et le Régime de la Congrégation. On y blàmait très fortement la démarche des vingt-huit; on montrait: 1° que les statuts, dont on sollicitait l'affranchissement, avaient le caractère de lois publiques, et que vouloir s'en affranchir, c'était briser également le serment fait à Dieu et les engagements pris envers l'Etat; 2° que la requête tendait à anéantir la Congrégation, à avilir ses membres et à ruiner les espérances du bien que l'on pouvait attendre de leurs travaux. Cette requête était signée de D. Gondar, procureur général de la Congrégation, tant en son nom que comme fondé de pouvoir des abbayes et monastères dont il avait entre les mains les actes capitulaires, les lettres ou les réclamations. En effet, quatrevingt-huit abbayes, dix-huit prieurés, soit 1017 religieux avaient chargé D. Gondar de joindre leurs noms à celui de leur supérieur général. L'abbaye du Bec était de ce nombre.

Les vingt-huit protestataires, voyant l'insuccès de leur démarche et blàmés par l'archevêque de Paris, remirent

Picot. Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique pendant le XVIIIe siècle. Paris, 1855, IV, 172-174.

En 1766, la Congrégation de Saint-Maur comptait 191 maisons et 1917 religieux. Les abstentions avaient donc été fort nombreuses. (Ch. Gérin, Les Bénédictins français avant 1789 d'après les papiers inédits de la Commission des Réguliers, Revue des questions historiques, année 1879, p. 478.)

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